Merveilles de la Mère de Dieu invoquée sous le titre de Marie Auxiliatrice (12/13)
(suite de l’article précédent)
Souvenir de la pose de la première pierre de l’église dédiée à Marie Auxiliatrice le 27 avril 1865.
FILOTICO, BENVENUTO, CRATIPPO ET TEODORO.
Filot. Ce jour est une belle fête.
Crat. Une très belle fête. Je suis dans cet Oratoire depuis de nombreuses années, mais je n’ai jamais vu une telle fête, et il nous sera difficile d’en avoir une semblable à l’avenir.
Benv. Je me présente à vous, chers amis, plein d’étonnement, je n’arrive pas à comprendre.
Filot. Quoi donc ?
Benv. Je n’arrive pas à m’expliquer ce que j’ai vu.
Teod. Qui es-tu, d’où viens-tu, qu’as-tu vu ?
Benv. Je suis un étranger, et j’ai quitté mon village pour faire partie des jeunes de l’Oratoire Saint-François de Sales. Quand je suis arrivé à Turin, j’ai demandé qu’on me conduise ici, mais dès que je suis entré, j’ai vu des voitures royales, des chevaux, des palefreniers et des cochers, tous splendidement vêtus. Est-il possible, me dis-je, que ce soit la maison où moi, pauvre orphelin, je suis venu habiter ? J’entre alors dans l’enceinte de l’Oratoire, je vois une multitude de jeunes qui crient, ivres de joie et presque frénétiques : Vivat, gloire, triomphe, bienveillance de tous et toujours. – Je lève les yeux vers le clocher et je vois une petite cloche qui s’agite dans tous les sens pour produire à chaque battement un son harmonieux. – Dans la cour, partout de la musique ; on court, on saute, on chante et on joue. Qu’est-ce que tout cela ?
Filot. Voici en deux mots la raison de tout cela. Aujourd’hui, on a béni la première pierre de notre nouvelle église. Le prince Amédée a daigné venir y déposer la première chaux ; l’évêque de Suse est venu célébrer le service religieux ; les autres sont de nobles personnages et d’éminents bienfaiteurs venus rendre hommage au fils du roi Victor-Emmanuel, et en même temps donner de l’éclat à la solennité de ce beau jour.
Benv. Je comprends maintenant la raison de cette joie, et vous avez de bonnes raisons de célébrer une grande fête. Mais, si vous me permettez une observation, il me semble que vous avez négligé le point le plus important. En ce jour solennel, pour accueillir comme il convient tant de personnages distingués et l’auguste fils de notre Souverain, vous auriez dû préparer de grandes choses. Vous auriez dû construire des arcs de triomphe, couvrir les rues de fleurs, embellir chaque coin de rue avec des roses, orner chaque mur de tapis élégants, et mille autres choses encore.
Teod. Tu as raison, cher Benvenuto, tu as raison, c’était notre désir commun. Mais que veux-tu ? Pauvres jeunes gens que nous sommes, ce n’est pas la volonté, qui est grande en nous, qui nous en a empêchés, mais notre impuissance absolue.
Filot. Pour recevoir dignement notre Prince bien-aimé, nous nous sommes tous réunis, il y a quelques jours, pour discuter de ce qu’il fallait faire en ce jour si solennel. L’un d’eux dit : si j’avais un royaume, je le lui offrirais, car il en est vraiment digne. Excellent, répondirent-ils tous, mais, pauvres de nous, nous n’avons rien. Ah ! ajoutèrent mes compagnons, si nous n’avons pas de royaume à lui offrir, nous pouvons au moins le faire roi de l’Oratoire Saint-François de Sales. Quelle chance ce serait ! s’exclamèrent-ils tous, alors la misère cesserait parmi nous, et ce serait une fête sans fin. Un troisième, voyant que les propositions des autres étaient sans fondement, conclut que nous pourrions le faire roi de nos cœurs, maître de notre affection ; et comme plusieurs de nos camarades sont déjà sous ses ordres dans l’armée, lui offrir notre fidélité et notre sollicitude quand viendra le moment de servir dans le régiment qu’il commande.
Benv. Qu’ont répondu tes camarades ?
Filot. Ils ont tous accueilli ce projet avec joie. Quant à l’organisation de la réception, nous avons été unanimes : étant donné que ces messieurs voient déjà chez eux de grandes choses, des choses magnifiques, des choses majestueuses, ils sauront avoir un regard de bienveillante compassion sur notre impuissance ; et nous avons lieu d’espérer beaucoup de la générosité et de la bonté de leur cœur.
Benv. Bravo, tu as bien parlé.
Teod. Très bien, j’approuve ce que tu dis. Mais en attendant, ne devons-nous pas au moins leur témoigner notre reconnaissance d’une manière ou d’une autre, et leur adresser quelques mots de remerciement ?
Benv. Oui, chers amis, mais je voudrais d’abord que vous acceptiez de satisfaire ma curiosité sur plusieurs choses concernant les Oratoires et les choses qui s’y font.
Filot. Oui, mais nous risquons d’abuser de la patience de nos chers bienfaiteurs.
Benv. Mais non, je crois que cela leur plaira. Car comme ils ont été et sont encore nos insignes bienfaiteurs, ils écouteront avec plaisir l’objet de leur bienfaisance.
Filot. Je ne peux pas faire grand-chose, car cela fait à peine un an que je suis ici. Peut-être Cratippo, qui est l’un des plus âgés, pourra-t-il nous satisfaire ; n’est-ce pas, Cratippo ?
Crat. Si vous m’en jugez capable, je m’efforcerai volontiers de vous satisfaire. – Je dirai tout d’abord que les Oratoires, à leur origine (1841), n’étaient rien d’autre que des rassemblements de jeunes, pour la plupart étrangers, qui venaient les jours de fête dans les lieux indiqués pour apprendre le catéchisme. Lorsque des locaux plus adaptés furent disponibles, les Oratoires (1844) devinrent des lieux où les jeunes se réunissaient pour se divertir agréablement et honnêtement après avoir accompli leurs devoirs religieux. Jouer, rire, sauter, courir, chanter, faire de la musique, jouer de la trompette, battre le tambour, tels étaient les divertissements. – Un peu plus tard (1846), on a ajouté les cours du dimanche, puis (1847) les cours du soir. – Le premier Oratoire est celui où nous nous trouvons actuellement, appelé Saint-François de Sales. Après celui-ci, un autre fut ouvert à Porta Nuova, puis un autre plus tard à Vanchiglia, et quelques années plus tard celui de Saint-Joseph à San Salvano.
Benv. Tu me racontes l’histoire des Oratoires festifs, et cela me plaît beaucoup, mais je voudrais savoir quelque chose sur cette maison. Dis-moi dans quelles conditions les jeunes gens sont reçus dans cette maison. À quoi s’occupent-ils ?
Crat. Je peux te répondre. Parmi les jeunes qui fréquentent les Oratoires, et aussi ceux qui viennent d’autres pays, il y en a qui sont complètement abandonnés à eux-mêmes, ou qui sont pauvres ou qui manquent des biens de la fortune. Un triste avenir les attendrait, si une main bienveillante ne prenait soin d’eux avec un cœur paternel, et ne les accueillait, et ne leur procurait pas ce qui est nécessaire à la vie.
Benv. D’après ce que tu me dis, il semble que cette maison est destinée à des jeunes gens pauvres, et pourtant je vous vois tous si bien habillés que vous me semblez être autant de petits messieurs.
Crat. Comme tu le vois, Benvenuto, en prévision de la fête extraordinaire que nous avons aujourd’hui, chacun a sorti ce qu’il avait ou pouvait avoir de plus beau, et ainsi nous pouvons faire bonne figure le mieux possible.
Benv. Êtes-vous nombreux dans cette maison ?
Crat. Nous sommes environ huit cents.
Benv. Huit cents ! huit cents ! Et comment satisfaire l’appétit de tous ces mangeurs de pagnotes ?
Crat. Ce n’est pas notre affaire, le boulanger y veille.
Benv. Mais comment faire face aux dépenses nécessaires ?
Crat. Regarde tous ces gens qui ont la bonté de nous écouter, et tu sauras qui et comment ils se procurent ce qu’il faut pour la nourriture, les vêtements et les autres choses nécessaires à cet effet.
Benv. Mais le chiffre de huit cents m’étonne ! A quoi peuvent bien être occupés tous ces jeunes gens, jour et nuit !
Crat. Il est très facile de les occuper la nuit : chacun dort dans son lit et reste discipliné, ordonné et silencieux jusqu’au matin.
Benv. Mais tu plaisantes !
Crat. Je dis cela pour suivre la plaisanterie que tu m’as proposée. Si tu veux savoir quelles sont nos occupations quotidiennes, je vais te le dire en quelques mots. Les jeunes sont divisés en deux grandes catégories, l’une est celle des apprentis, l’autre celle des étudiants. – Les apprentis s’appliquent aux métiers de tailleur, cordonnier, ferronnier, menuisier, relieur, compositeur, imprimeur, musicien et peintre. Par exemple, ces lithographies, ces peintures sont l’œuvre de nos camarades. Ce livre a été imprimé ici, il a été relié dans notre atelier.
En général, ils vont tous à l’école, car ils doivent tous suivre les cours du soir, mais ceux qui en ont les capacités et ont une bonne conduite, nos supérieurs les mettent exclusivement aux études. C’est pourquoi nous avons la satisfaction de compter parmi nos compagnons des médecins, des notaires, des avocats, des instituteurs, des professeurs, et même des curés de paroisse.
Benv. Et toute cette musique est celle des jeunes de cette maison ?
Crat. Oui, les jeunes qui viennent de chanter et de jouer sont des jeunes de cette maison ; d’ailleurs, les compositions musicales sont presque toutes l’œuvre de l’Oratoire ; car chaque jour, à une heure déterminée, il y a cours de musique, et chacun, en plus du métier ou des études littéraires, peut progresser dans la connaissance de la musique.
Nous avons aussi le plaisir d’avoir plusieurs de nos camarades qui exercent d’importantes fonctions civiles et militaires en raison de leurs connaissances littéraires, tandis que d’autres sont affectés à la musique dans divers régiments, dans la Garde nationale, et même dans le régiment de Son Altesse, le Prince Amédée.
Benv. Cela me plaît beaucoup ; ainsi, les jeunes qui ont reçu de la nature de bonnes capacités peuvent les cultiver, et ne sont pas contraints par l’indigence à les laisser stériles ou à faire des choses contraires à leurs inclinations. – Mais dites-moi encore une chose : en entrant ici, j’ai vu aussi une belle église, et tu m’as dit qu’on veut en construire une autre. Quel besoin y a-t-il pour cela ?
Crat. La raison en est très simple. L’église que nous utilisions jusqu’à présent était surtout destinée aux jeunes de l’extérieur qui venaient les jours de fête. Mais en raison du nombre toujours croissant de jeunes accueillis à l’Oratoire, l’église est devenue exiguë et les externes en sont presque totalement exclus. On peut calculer qu’un tiers des jeunes qui venaient n’ont pas pu être accueillis. – Combien de fois avons-nous dû refuser des tas de jeunes et les abandonner sur les places pour la seule raison qu’il n’y avait plus de place dans l’église !
Il faut ajouter que, depuis l’église paroissiale de Borgo Dora jusqu’à San Donato, il y a une multitude de maisons et plusieurs milliers d’habitants pour lesquels il n’y a ni église, ni chapelle suffisamment grande pour accueillir les enfants et les adultes qui pourraient s’y rendre. Il fallait donc une église suffisamment spacieuse pour accueillir les enfants, mais aussi pour les adultes. C’est pour répondre à ce besoin public et sérieux qu’est entreprise la construction de l’église qui fait l’objet de notre fête.
Benv. Les choses que tu viens d’exposer me donnent une juste idée des Oratoires et de la destination de l’église, et je crois que cela est également du goût de ces Messieurs, qui savent ainsi à quoi est destinée leur charité. Je regrette beaucoup de ne pas être un orateur éloquent ou un poète talentueux pour improviser un discours splendide ou un poème sublime sur ce que tu m’as dit et pour exprimer ainsi toute notre gratitude et nos remerciements à ces Messieurs.
Teod. Moi aussi je voudrais faire de même, mais je sais seulement qu’en poésie la longueur des vers doit être égale et rien de plus ; c’est pourquoi au nom de mes compagnons et de nos chers Supérieurs, je dirai seulement à Son Altesse le Prince Amédée et à tous les autres Messieurs que nous avons été enchantés de cette belle fête, et que nous ferons une inscription en lettres d’or avec ces mots :
Vive à jamais ce jour !
Avant que le soleil du Couchant
Ne retourne à son Orient,
Et chaque fleuve à sa source
Avant qu’il ne revienne,
Et s’efface de nos cœurs
Ce jour sera pour nous
Le jour le plus beau.
À vous en particulier, Altesse Royale, je dis que nous vous portons une grande affection, que vous nous avez fait une grande faveur en venant nous rendre visite, et que chaque fois que nous aurons le bonheur de vous voir en ville ou ailleurs, ou d’entendre parler de vous, ce sera toujours pour nous un sujet de gloire, d’honneur et un vrai plaisir. Mais avant votre départ, permettez-moi, au nom de mes chers Supérieurs et de mes chers compagnons, de vous demander une faveur, celle de daigner venir nous visiter en d’autres occasions pour renouveler la joie de ce beau jour. Quant à vous, Monseigneur, continuez la bienveillance paternelle que vous nous avez témoignée jusqu’à présent. Et vous, Monsieur le Maire, qui avez participé de tant de manières à notre bien, continuez à nous protéger, et à nous procurer la faveur de rectifier la rue Cottolengo face à la nouvelle église ; et nous vous assurons que nous redoublerons notre profonde gratitude à votre égard. Et vous, Monsieur le Curé, veuillez nous considérer toujours non seulement comme des paroissiens, mais comme des enfants chéris qui reconnaîtront toujours en vous un père tendre et bienveillant. Et à vous tous, nous vous recommandons de continuer à être, comme vous l’avez été dans le passé, d’éminents bienfaiteurs, surtout pour achever le saint édifice qui fait l’objet de la solennité d’aujourd’hui. Il est déjà commencé, il s’élève déjà de terre, et c’est lui-même en fait qui tend la main aux personnes charitables pour qu’elles le mènent à bonne fin. Enfin, tout en vous assurant que le souvenir de cette belle journée ne s’effacera jamais de nos cœurs, nous prions unanimement la Reine du Ciel, à qui le nouveau sanctuaire est dédié, pour qu’elle vous obtienne du Donateur de tous biens une longue vie et des jours heureux.