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(suite de l’article précédent)


Chap. IX. La bataille de Lépante.

            Après avoir exposé quelques-uns des nombreux faits qui confirment en général comment Marie protège les armes des chrétiens lorsqu’ils combattent pour la foi, passons à des faits plus particuliers qui ont donné à l’Église des raisons d’appeler Marie du titre glorieux d’Auxilium Christianorum. La bataille de Lépante est la plus importante d’entre elles.
            Au milieu du XVIe siècle, notre péninsule jouissait d’une certaine paix lorsqu’une nouvelle insurrection venue d’Orient vint semer le trouble parmi les chrétiens.
            Les Turcs établis à Constantinople depuis plus de cent ans voyaient avec regret que le peuple italien, et en particulier les Vénitiens, possédait des îles et des villes au milieu de leur vaste empire. Ils ont donc commencé à réclamer aux Vénitiens l’île de Chypre. Devant leur refus, ils prirent les armes et avec une armée de quatre-vingt mille fantassins, trois mille chevaux et une artillerie redoutable, dirigée par leur propre empereur Sélim II, ils assiégèrent Nicosie et Famagouste, les villes les plus fortes de l’île. Ces villes, après une défense héroïque, tombèrent toutes deux au pouvoir de l’ennemi.
            Les Vénitiens firent alors appel au pape pour qu’il leur vienne en aide afin de combattre et d’abaisser l’orgueil des ennemis de la chrétienté. Le pontife romain, qui était alors saint Pie V, craignait que si les Turcs étaient victorieux, ils n’apportent la désolation et la ruine parmi les chrétiens. C’est pourquoi il pensa à recourir à la puissante intercession de celle que la sainte Église proclame aussi terrible qu’une armée ordonnée au combat : Terribilis ut castrorum acies ordinata. Il ordonna des prières publiques pour toute la chrétienté et fit appel au roi Philippe II d’Espagne et au duc Emmanuel-Philibert.
            Le roi d’Espagne mit sur pied une puissante armée et la confia à un frère cadet, Jean d’Autriche. Le duc de Savoie envoya de bon gré un nombre choisi d’hommes vaillants, qui se joignirent au reste des forces italiennes et allèrent rejoindre les Espagnols près de Messine.
            L’affrontement avec l’armée ennemie eut lieu près de la ville grecque de Lépante. Les chrétiens attaquèrent les Turcs avec acharnement ; les Turcs opposèrent une résistance farouche. Chaque navire tournant brusquement au milieu de tourbillons de flammes et de fumée semblait vomir la foudre des cent canons dont il était armé. La mort prenait toutes les formes, les mâts et les cordages des navires brisés par les boulets tombaient sur les combattants et les écrasaient. Les cris d’agonie des blessés se mêlaient au fracas des vagues et des canons. Au milieu de ce bouleversement universel, Vernieri, chef de l’armée chrétienne, remarqua que la confusion commençait à entrer dans les navires turcs. Immédiatement, il fit mettre en ordre quelques galères peu profondes remplies d’adroits artilleurs, encercla les navires ennemis et, à coups de canon, les mit en pièces et les foudroya. À ce moment-là, alors que la confusion augmentait chez les ennemis, un grand enthousiasme se déclanche chez les chrétiens, et de toutes parts s’élèvent des cris de victoire ! victoire ! et la victoire est avec eux. Les navires turcs fuient vers la terre, les Vénitiens les poursuivent et les écrasent ; ce n’est plus une bataille, c’est un massacre. La mer est jonchée de vêtements, d’étoffes, de navires brisés, de sang et de corps mutilés ; trente mille Turcs sont morts ; deux cents de leurs galères passent au pouvoir des chrétiens.
            La nouvelle de la victoire provoqua une joie universelle dans les pays chrétiens. Le sénat de Gênes et de Venise décréta que le 7 octobre serait un jour solennel de fête à perpétuité car c’est ce jour-là, en l’an 1571, qu’eut lieu la grande bataille. Parmi les prières que le saint pontife avait ordonnées pour le jour de cette grande bataille, il y avait le Rosaire, et à l’heure même où cet événement s’est produit, il le récitait lui-même avec une foule de fidèles rassemblés auprès de lui. À ce moment, la Sainte Vierge lui apparut et lui révéla le triomphe des navires chrétiens, triomphe que saint Pie V s’empressa d’annoncer à Rome avant que quiconque ait pu apporter la nouvelle. Puis le saint pontife, en remerciement à Marie, au patronage de laquelle il attribuait la gloire de ce jour, ordonna qu’on ajoute aux litanies de Lorette l’oraison jaculatoire : Maria Auxilium Christianorum, ora pro nobis. Marie, secours des chrétiens, priez pour nous. Et pour que le souvenir de ce prodigieux événement soit perpétuel, le pape institua la solennité du très saint Rosaire qui sera célébrée chaque année le premier dimanche d’octobre.


Chap. X. La libération de Vienne.

            En l’an 1683, les Turcs, pour se venger de leur défaite à Lépante, firent le projet de porter leurs armes au-delà du Danube et du Rhin, menaçant ainsi toute la chrétienté. Avec une armée de deux cent mille hommes, avançant à marches forcées, ils vinrent assiéger les murs de Vienne. Le souverain pontife, qui était alors Innocent XI, pensa à faire appel aux princes chrétiens, leur demandant de venir en aide à la chrétienté menacée. Peu d’entre eux répondirent à l’invitation du pontife ; c’est pourquoi il décida, comme son prédécesseur Pie V, de se placer sous la protection de celle que l’Église proclame terribilis ut castrorum acies ordinata. Il pria et invita les fidèles du monde entier à prier avec lui.
            Pendant ce temps, la consternation était générale à Vienne. Le peuple, craignant de tomber entre les mains des infidèles, quittait la ville et abandonnait tout. L’empereur n’avait pas de forces à opposer et abandonna sa capitale. Le prince Charles de Lorraine, qui avait à peine réussi à rassembler trente mille Allemands, parvint à entrer dans la ville pour tenter tant bien que mal de la défendre. Les villages voisins furent mis à feu. Le 14 août, les Turcs ouvrirent leurs tranchées à partir de la porte principale, et y campèrent malgré le feu des assiégés. Ils assiégèrent ensuite toutes les murailles de la ville, mirent le feu et brûlèrent plusieurs bâtiments publics et privés. Une affaire douloureuse augmenta le courage des ennemis et diminua celui des assiégés.
            Le feu mis à l’église des Écossais consuma ce superbe édifice, et en se rendant à l’arsenal, où se trouvaient la poudre et les munitions, allait ouvrir la ville aux ennemis, si par une protection toute spéciale de la Bienheureuse Vierge Marie, le jour de sa glorieuse Assomption, le feu ne s’était pas éteint, leur donnant ainsi le temps de sauver les munitions militaires. Cette protection sensible de la Mère de Dieu ranima le courage des soldats et des habitants. Le vingt-deux du même mois, les Turcs tentèrent d’abattre d’autres édifices en lançant un grand nombre de boulets et de bombes, avec lesquels ils firent beaucoup de dégâts, mais ils ne purent empêcher les habitants d’implorer jour et nuit le secours du ciel dans les églises, ni les prédicateurs de les exhorter à mettre toute leur confiance, après Dieu, en celle qui leur avait si souvent apporté un puissant secours. Le 31, les assiégeants poussèrent leurs efforts à leur terme, et les soldats des deux camps se battaient corps à corps.
            La ville n’était plus qu’un monceau de ruines, lorsque le jour de la Nativité de la Vierge Marie, les chrétiens redoublèrent de prières et, comme par miracle, reçurent l’avis d’un proche secours. En effet, le lendemain, deuxième jour de l’octave de la Nativité, ils virent la montagne, qui se dresse en face de la ville, toute couverte de troupes. C’était Jean Sobieski, roi de Pologne, qui, presque seul parmi les princes chrétiens, cédant à l’invitation du pontife, vint avec ses braves à la rescousse. Convaincu qu’avec le petit nombre de ses soldats la victoire lui serait impossible, il eut aussi recours à celle qui est redoutable au milieu des armées les plus ordonnées et les plus féroces. Le 12 septembre, il se rendit à l’église avec le prince Charles, et ils y entendirent la sainte messe, qu’il voulut lui-même servir, en tenant ses bras étendus en forme de croix. Après avoir communié et reçu une sainte bénédiction pour lui et son armée, le prince se leva et dit à haute voix : “Soldats, pour la gloire de la Pologne, pour la libération de Vienne, pour le salut de toute la chrétienté, sous la protection de Marie, nous pouvons marcher en toute sécurité contre nos ennemis et la victoire sera nôtre”.
            L’armée chrétienne descendit alors des montagnes et s’avança vers le camp des Turcs qui, après avoir combattu pendant un certain temps, battirent en retraite sur l’autre rive du Danube avec une telle hâte et dans une telle confusion qu’ils laissèrent dans le camp la bannière ottomane, environ cent mille hommes, la plupart de leurs équipages, toutes leurs munitions de guerre et cent quatre-vingts pièces d’artillerie. Il n’y eut jamais de victoire plus glorieuse qui ait coûté si peu de sang aux vainqueurs. On pouvait voir des soldats chargés de butin entrer dans la ville, conduisant devant eux de nombreux troupeaux de bœufs, que les ennemis avaient abandonnés.
            L’empereur Léopold, ayant appris la défaite des Turcs, revint à Vienne le même jour, fit chanter un Te Deum avec la plus grande solennité, puis, reconnaissant qu’une victoire aussi inattendue était entièrement due à la protection de Marie, fit apporter dans l’église principale la bannière qu’il avait trouvée dans la tente du grand vizir. Celle de Mahomet, plus riche encore, et qui était hissée au milieu du champ, fut envoyée à Rome et présentée au pape. Ce saint pontife, intimement persuadé aussi que la gloire de ce triomphe était toute due à la grande Mère de Dieu, et désireux de perpétuer la mémoire de ce bienfait, ordonna que la fête du saint nom de Marie, déjà pratiquée depuis quelque temps dans certains pays, serait à l’avenir célébrée dans toute l’Église le dimanche compris dans l’octave de sa Nativité.


Chap. XI. Association de Marie Auxiliatrice à Munich.

            La victoire de Vienne augmenta merveilleusement la dévotion à Marie parmi les fidèles et donna naissance à une pieuse société de dévots sous le titre de Confrérie de Marie Auxiliatrice. Un père capucin qui prêchait avec beaucoup de zèle dans l’église paroissiale Saint-Pierre de Munich, exhortait avec des expressions ferventes et émouvantes les fidèles à se placer sous la protection de Marie Auxiliatrice et à implorer son patronage contre les Turcs qui menaçaient d’envahir la Bavière à partir de Vienne. La dévotion à la Sainte Vierge Marie Auxiliatrice prit une telle ampleur que les fidèles voulurent la continuer même après la victoire de Vienne, alors que les ennemis avaient déjà été contraints de quitter leur ville. C’est alors qu’une confrérie sous le titre de Marie Auxiliatrice fut créée pour éterniser le souvenir de la grande faveur obtenue de la Sainte Vierge.
            Le duc de Bavière, qui avait commandé une partie de l’armée chrétienne, tandis que le roi de Pologne et le duc de Lorraine commandaient le reste de la milice, pour donner suite à ce qui avait été fait dans sa capitale, demanda au souverain pontife, Innocent XI, l’érection de la confrérie. Le pape y consentit volontiers et accorda l’institution implorée par une Bulle datée du 18 août 1684, en l’enrichissant d’indulgences. C’est ainsi que, le 8 septembre de l’année suivante, alors que l’ennemi assiégeait la ville de Buda, la confrérie fut établie par son ordre avec une grande solennité dans l’église Saint-Pierre de Munich. Dès lors, les confrères de cette association, unis de cœur dans l’amour de Jésus et de Marie, se réunissaient à Munich et offraient à Dieu des prières et des sacrifices pour implorer son infinie miséricorde. Grâce à la protection de la Sainte Vierge, cette confrérie s’est rapidement répandue, de sorte que les plus grandes personnalités ont tenu à s’y inscrire pour s’assurer l’assistance de cette grande Reine du Ciel dans les périls de la vie et surtout à l’article de la mort. Des empereurs, des rois, des reines, des prélats, des prêtres et une infinité de personnes de toutes les parties de l’Europe considèrent encore aujourd’hui que c’est une grande chance d’y être inscrit. Les papes ont accordé de nombreuses indulgences à ceux qui font partie de cette confrérie. Les prêtres qui y sont agrégés peuvent en agréger d’autres. Des milliers de messes et de chapelets sont récités pendant la vie et après la mort pour ceux qui en sont membres.


Chap. XII. Convenance d’une fête de Marie Auxiliatrice.

            Les faits que nous avons exposés jusqu’ici en l’honneur de Marie Auxiliatrice font comprendre combien Marie aime à être invoquée sous ce titre. L’Église catholique a tout observé, examiné et approuvé, guidant elle-même les pratiques des fidèles, afin que ni le temps ni la malice des hommes ne dénaturent le véritable esprit de dévotion.
            Rappelons ici ce que nous avons souvent dit sur les gloires de Marie comme secours des chrétiens. Dans les livres saints, elle est symbolisée dans l’arche de Noé, qui sauve du déluge universel les disciples du vrai Dieu ; dans l’échelle de Jacob, qui s’élève jusqu’au ciel ; dans le buisson ardent de Moïse ; dans l’arche de l’alliance ; dans la tour de David, qui défend contre tous les assauts ; dans la rose de Jéricho ; dans la fontaine scellée ; dans le jardin bien cultivé et gardé de Salomon ; elle est figurée dans un aqueduc de bénédictions ; dans la toison de Gédéon. Ailleurs, elle est appelée l’étoile de Jacob, belle comme la lune, choisie comme le soleil, l’iris de la paix, la pupille de l’œil de Dieu, l’aurore, la porteuse de consolations, la Vierge, la Mère et la Mère de son Seigneur. Ces symboles et expressions que l’Église applique à Marie rendent manifestes les desseins providentiels de Dieu qui a voulu nous la faire connaître avant sa naissance comme la première-née parmi toutes les créatures, l’éminente protectrice, l’aide et le soutien du genre humain.
            Dans le Nouveau Testament, les figures et les expressions symboliques cessent ; tout est réalité et accomplissement du passé. Marie est saluée par l’archange Gabriel, qui la dit pleine de grâce ; Dieu admire la grande humilité de Marie et l’élève à la dignité de Mère du Verbe éternel. Jésus, Dieu immense, devient le fils de Marie ; par elle il naît, par elle il est éduqué, assisté. Et le Verbe éternel fait chair se soumet en tout à l’obéissance de son auguste Mère. C’est à sa demande que Jésus accomplit le premier de ses miracles à Cana en Galilée ; sur le Calvaire, elle devient de facto la mère commune des chrétiens. Les apôtres la prennent comme guide et maîtresse de vertu. Avec elle ils se réunissent pour prier au cénacle ; avec elle ils se consacrent à la prière, et est avec elle enfin ils reçoivent l’Esprit Saint. Elle adresse ses dernières paroles aux apôtres et s’envole glorieusement au ciel.
            Du haut de son siège de gloire, elle dit : Ego in altissimis habito ut ditem diligentes me et thesauros eorum repleam. J’habite le plus haut trône de gloire pour enrichir de bénédictions ceux qui m’aiment et pour remplir leurs trésors de faveurs célestes. C’est pourquoi, depuis son Assomption au ciel, les chrétiens ne cessent de s’adresser à Marie, et jamais, dit saint Bernard, on n’a entendu dire que celui qui s’adressait à elle avec confiance n’avait pas été exaucé. C’est pourquoi chaque siècle, chaque année, chaque jour et, pourrions-nous dire, chaque instant est marqué dans l’histoire par une grande faveur accordée à ceux qui l’ont invoquée avec foi. D’où aussi la raison pour laquelle chaque royaume, chaque ville, chaque pays, chaque famille possède une église, une chapelle, un autel, une image, un tableau ou un signe rappelant une grâce accordée à ceux qui ont eu recours à Elle dans les nécessités de la vie. Les glorieux événements contre les Nestoriens et contre les Albigeois ; les paroles dites par Marie à saint Dominique au moment où elle lui recommandait la prédication du Rosaire, que la Sainte Vierge elle-même appela magnum in Ecclesia praesidium, la victoire de Lépante, de Vienne, de Buda, la Confrérie de Munich, celle de Rome, de Turin et beaucoup d’autres érigées dans divers pays de la chrétienté, tous ces faits démontrent combien la dévotion à Marie Auxiliatrice est ancienne et répandue, combien ce titre lui est agréable et combien il apporte de bienfaits aux peuples chrétiens. C’est donc à juste titre que Marie a pu prononcer les paroles que l’Esprit Saint a mises dans sa bouche : In omni gente primatum habui. Dans toutes les nations j’ai eu la primauté.
            Ces faits, si glorieux pour la Sainte Vierge, faisaient désirer une intervention expresse de l’Église pour définir la limite et la manière dont Marie pouvait être invoquée sous le titre de secours des chrétiens. En réalité, l’Église était déjà intervenue d’une certaine manière avec l’approbation des confréries, des prières et des nombreuses pratiques pieuses auxquelles sont attachées les saintes indulgences, et qui proclament dans le monde entier Maria Auxilium Christianorum.
            Mais il manquait encore une chose, à savoir un jour établi dans l’année pour honorer ce titre de Marie Auxiliatrice, c’est-à-dire un jour de fête avec un rite, une messe et un office approuvés par l’Église, et que l’on fixe le jour de cette solennité. Pour décider les pontifes déterminent à établir cette importante institution, il fallait un événement extraordinaire, qui ne tarda pas à se manifester aux hommes.


(suite)