Merveilles de la Mère de Dieu invoquée sous le titre de Marie Auxiliatrice (8/13)

(suite de l’article précédent)

Chap. XV. Dévotion et projet de l’église Marie-Auxiliatrice à Turin.

            Avant de parler de l’église érigée à Turin en l’honneur de Marie Auxiliatrice, il convient de rappeler que la dévotion des Turinois à cette Bienfaitrice céleste remonte aux premiers temps du christianisme. Saint Maxime, le premier évêque de cette ville, en parle comme d’un fait public et ancien.
            Le sanctuaire de la Consolata est un merveilleux monument qui montre bien ce que nous disons. Mais après la victoire de Lépante, les Turinois furent les premiers à invoquer Marie sous le titre particulier de Secours des Chrétiens. Le cardinal Maurice, prince de Savoie, encouragea fortement cette dévotion et, au début du Xe siècle, il fit construire une chapelle dans l’église Saint-François de Paule, avec un autel et une belle statue dédiée à Marie Auxiliatrice, faite d’un marbre précieux et élégant. La Vierge est représentée tenant l’Enfant divin dans ses mains.
            Ce prince était un fervent dévot de Marie Auxiliatrice. Comme il avait souvent fait l’offrande de son cœur à sa Mère céleste pendant sa vie, il demanda dans son testament qu’à sa mort, son cœur soit mis dans un coffret comme gage précieux de sa personne, et placé dans le mur à droite de l’autel.[1]
            Le temps ayant usé et rendu cette chapelle un peu défraîchie, le roi Victor-Emmanuel II fit restaurer le tout à ses frais.
            C’est ainsi que le sol, la prédelle et l’autel lui-même furent pour ainsi dire remis à neuf.
            Constatant que le recours des Turinois à Marie Auxiliatrice était un moyen très efficace d’obtenir des grâces extraordinaires, ils commencèrent à se joindre à la Confrérie de Munich en Bavière, mais en raison du nombre impressionnant de confrères, une Confrérie fut établie dans cette même église. Elle reçut l’approbation apostolique du pape Pie VI, qui accorda de nombreuses indulgences et d’autres faveurs spirituelles par un rescrit du 9 février 1798.
            La dévotion des Turinois envers l’auguste Mère du Sauveur se répandait donc de plus en plus, et ils en ressentirent les effets les plus salutaires, lorsqu’on fit le projet d’une église dédiée à Marie Auxiliatrice au Valdocco, un quartier très peuplé de la ville. Ici, en effet, vivent plusieurs milliers d’habitants sans autre église que celle de Borgo Dora, qui ne peut cependant pas accueillir plus de 1 500 personnes.[2]
            Dans ce quartier, il y avait les églises de la Petite Maison de la Divine Providence et de l’Oratoire Saint-François de Sales, mais toutes deux étaient à peine suffisantes pour desservir leurs communautés respectives.
            Dans l’ardent désir de répondre aux besoins urgents des habitants du Valdocco et des nombreux jeunes qui viennent à l’Oratoire les jours de fête de différentes parties de la ville, et que la petite église actuelle ne peut plus contenir, il a été décidé de construire une église capable de répondre à ce double objectif. Mais une raison très spéciale pour la construction de cette église était le besoin communément ressenti de donner un signe public de vénération envers la Bienheureuse Vierge Marie. C’est elle qui, avec son cœur de Mère vraiment miséricordieuse, avait protégé notre pays et nous avait sauvés des maux auxquels tant d’autres avaient succombé.
            Pour que cette pieuse entreprise puisse voir le jour, deux choses étaient nécessaires : un emplacement pour l’édifice et un titre sous lequel il devait être consacré. Pour pouvoir réaliser les desseins de la divine Providence, cette église devait être construite dans la rue Cottolengo, dans un endroit spacieux et libre, au centre d’un quartier populeux. Le choix s’est donc porté sur une zone située entre ladite rue Cottolengo et l’Oratoire Saint-François de Sales.
            Pendant que les délibérations étaient en cours concernant le titre sous lequel le nouvel édifice devait être érigé, un événement a mis fin à tous les doutes. Le Souverain Pontife Pie IX, à qui rien n’échappe de ce qui peut être avantageux pour la Religion, ayant été informé de la nécessité d’une église dans le lieu susmentionné, envoya sa première offrande gracieuse de 500 francs, en précisant que le titre de Marie Auxiliatrice serait certainement agréable à l’auguste Reine du Ciel. Il accompagna ensuite son offrande d’une bénédiction spéciale aux bienfaiteurs en ajoutant ces mots : “Que cette petite offrande soit suivie de dons plus grands et plus généreux qui contribueront à promouvoir la gloire de l’auguste Mère de Dieu sur la terre, et augmenteront ainsi le nombre de ceux qui seront un jour sa glorieuse couronne dans le ciel.”
            Le lieu et le nom de l’édifice ayant ainsi été fixés, un ingénieur de grand talent, Antonio Spezia, conçut le projet en lui donnant la forme d’une croix latine sur une surface de 1200 mètres carrés. Au cours de cette période, les difficultés ne manquèrent pas, mais la Sainte Vierge, qui voulait cet édifice pour sa plus grande gloire, dissipa, ou mieux, supprima tous les obstacles qui se présentaient à cette époque et qui allaient devenir encore plus sérieux dans la suite. On ne pensa donc plus qu’à commencer la construction tant désirée.

Chap. XVI. Début de la construction et pose de la première pierre.

            Une fois l’excavation réalisée à la profondeur habituelle, on était sur le point de poser les premières pierres et la première chaux, lorsqu’on s’est aperçu que les fondations reposaient sur un sol alluvionnaire et donc incapable de supporter les bases d’un édifice de cette taille. Il a donc fallu aller plus profond et réaliser un pilotis solide et large correspondant à la périphérie du bâtiment projeté.
            La pose de piles et le creusement à une profondeur considérable entraînèrent des dépenses plus importantes, en raison de l’augmentation des travaux et de la quantité de matériaux et de pièces de bois qui devaient être placés sous terre. Les travaux se poursuivirent néanmoins à un rythme soutenu et, le 27 avril 1865, on put bénir les fondations et poser la première pierre.
            Pour comprendre le sens de cette fonction, il convient de noter que la discipline de l’Église catholique veut que personne ne commence la construction d’un édifice sacré sans l’autorisation expresse de l’évêque sous la juridiction duquel se trouve le terrain qui doit être utilisé à cette fin. Aedificare ecclesiam nemo potest, nisi auctoritate dioecesani[3] .
            Après avoir reconnu la nécessité d’une église et fixé son emplacement, l’évêque, en personne ou par l’intermédiaire de l’un de ses représentants, va poser la première pierre. Cette pierre représente Jésus-Christ, qui est appelé pierre angulaire dans les livres saints, c’est-à-dire le fondement de toute autorité, de toute sainteté. Par cet acte, l’évêque indique qu’il reconnaît que son autorité vient de Jésus-Christ, à qui appartient cet édifice et dont doit dépendre tout exercice religieux qui se déroulera à l’avenir dans cette église, tandis que l’évêque en prend la possession spirituelle en posant la pierre angulaire.
            Les fidèles de l’Église primitive, lorsqu’ils souhaitaient construire une église, marquaient d’abord le site d’une croix pour indiquer que le lieu, destiné au culte du vrai Dieu, ne pouvait plus servir à un usage profane.
            L’évêque procède ensuite à la bénédiction, comme le fit le patriarche Jacob lorsqu’il éleva dans un désert une pierre sur laquelle il offrit un sacrifice au Seigneur : Lapis iste, quem erexi in titulum, vocabitur domus Dei.
            Il est bon de noter ici que toute église, et tout culte qui y est exercé, s’adresse toujours à Dieu, à qui tout acte, toute parole, tout signe est dédié et consacré. Cet acte religieux est appelé culte de latrie, ou culte suprême, ou service par excellence rendu à Dieu seul. Les églises sont également dédiées aux saints par un second culte appelé dulie, qui signifie service rendu aux serviteurs du Seigneur.
            Lorsque le culte est adressé à la Sainte Vierge, il est appelé hyperdulie, c’est-à-dire un service supérieur à celui qui est rendu aux saints. Mais la gloire et l’honneur rendus aux saints et à la Sainte Vierge ne s’arrêtent pas à eux, mais vont par eux à Dieu, qui est la fin de nos prières et de nos actions. C’est pourquoi les églises sont toutes consacrées d’abord à Dieu Optimus Maximus, puis à la Bienheureuse Vierge Marie, puis à un saint au choix des fidèles. Ainsi, nous lisons que saint Marc l’évangéliste a consacré à Alexandrie une église à Dieu et à son maître saint Pierre l’apôtre[4] .
            Il convient également de noter que, dans le cadre de ces fonctions, il arrive que l’évêque bénisse la pierre angulaire et qu’un personnage éminent la pose à sa place et y mette la première chaux. Ainsi, l’histoire nous apprend qu’en 1652, le souverain pontife Innocent X a béni la pierre angulaire de l’église Sainte-Agnès sur la place Navone, tandis que le prince Pamfili, duc de Carpinete, la posait dans les fondations.
            Dans notre cas, c’est l’évêque de Suse, Odone, d’heureuse mémoire, qui fut chargé du service religieux pendant que le prince Amédée de Savoie posait la pierre angulaire à sa place et y mettait la première chaux.
            Le 27 avril 1865, l’office religieux commença à deux heures de l’après-midi. Le temps était clair, une multitude de personnes, la noblesse de Turin et celle des environs y participaient. Les jeunes de la maison de Mirabello étaient venus à cette occasion former une sorte d’armée avec leurs camarades de Turin.
            Après les prières et les psaumes prescrits, le vénérable prélat aspergea d’eau lustrale les fondations de l’édifice, puis se rendit près du pilier de la coupole du côté de l’Évangile, qui se trouvait déjà au niveau du sol actuel. C’est là que l’on rédigea ce qui avait été fait, et on le lut à haute voix dans la teneur suivante :
            “L’an du Seigneur mil huit cent soixante-cinq, le vingt-sept avril, à deux heures du soir ; la dixième année du pontificat de Pie IX, de la famille des comtes Mastai Ferretti, heureusement régnant ; la dix-septième année de Victor-Emmanuel II ; le siège archiépiscopal de Turin étant vacant par suite du décès de Monseigneur Luigi, de la famille des marquis Franzoni, le Vicaire capitulaire étant Giuseppe Zappata ; le curé de la paroisse de Borgo Dora, Cattino Agostino ; le directeur de l’Oratoire Saint-François, le prêtre Bosco Giovanni ; en présence de Son Altesse Royale, le Prince Amédée de Savoie, duc d’Aoste ; du comte Costantino Radicati, Préfet de Turin ; du Conseil Municipal, représenté par le Maire de cette ville, le marquis Emanuele Lucerna di Rorà, et de la Commission promotrice de cette église[5] dédiée à Dieu Optimus Maximus et à Marie Auxiliatrice, Mgr Odone G. Antonio, évêque de Suse, après avoir reçu l’autorisation de l’Ordinaire de l’archidiocèse, a procédé à la bénédiction des fondations de cette église et à la pose de la pierre angulaire dans le grand pilier de la coupole, du côté de l’évangile du maître-autel. Dans cette pierre ont été enfermées un certain nombre de pièces de monnaie de métal et de valeurs diverses, quelques médailles à l’effigie du Souverain Pontife Pie IX et de notre Souverain, ainsi qu’une inscription en latin rappelant l’objet de cette fonction sacrée. Le mérite de la construction en revient à l’ingénieur architecte Spezia Antonio, qui a conçu le projet et qui, dans un esprit chrétien, a prêté et continue de prêter son concours à la direction des travaux.
            La forme de l’église est celle d’une croix latine, avec une surface de mille deux cents mètres ; la raison de cette construction est le manque d’églises pour les fidèles du Valdocco, et pour donner une attestation publique de gratitude à l’auguste Mère de Dieu pour les grands bienfaits reçus, et pour ceux qui sont attendus en plus grand nombre de la part de notre céleste Bienfaitrice. L’œuvre a été commencée, et on espère qu’elle sera menée à une heureuse conclusion grâce à la charité des fidèles.
            Les habitants du quartier Valdocco, les Turinois et les autres fidèles bienfaiteurs de Marie, réunis dans cette enceinte bénie, adressent unanimement une fervente prière au Seigneur Dieu, à la Vierge Marie, Secours des chrétiens, pour obtenir du ciel d’abondantes bénédictions sur les Turinois, sur les chrétiens du monde entier, et en particulier sur le Chef Suprême de l’Eglise Catholique, promoteur et éminent bienfaiteur de cet édifice sacré, sur toutes les autorités ecclésiastiques, sur notre auguste Souverain, et sur toute la Famille Royale, et spécialement sur Son Altesse Royale le Prince Amédée, qui, en acceptant l’humble invitation, a donné un signe de vénération à la Mère de Dieu. Que l’auguste Reine du Ciel assure une place dans la béatitude éternelle à tous ceux qui ont contribué ou contribueront à achever cet édifice sacré, ou qui contribueront d’une autre manière à accroître son culte et sa gloire sur la terre”.
            Après la lecture et l’approbation de ce rapport, il fut signé par tous ceux qui ont été nommés ci-dessus et par les personnes les plus illustres qui étaient présentes. Il fut ensuite plié et enveloppé avec le dessin de l’église et quelques autres écritures, et placé dans un vase de verre préparé à cet effet. Fermé hermétiquement, il a été placé dans le creux fait au milieu de la première pierre. Après la bénédiction de l’évêque, une autre pierre a été posée dessus, et le prince Amédée y déposa la première chaux. Ensuite, les maçons continuèrent leur travail jusqu’à une hauteur de plus d’un mètre.
            Après les autres rites religieux, les personnalités visitèrent l’établissement, puis assistèrent à un spectacle donné par les jeunes eux-mêmes : lecture de poèmes, exécution de morceaux de musique vocale et instrumentale, avec un dialogue évoquant la solennité de ce jour historique.[6]
            À l’issue de ces agréables divertissements, la journée se termina par une action de grâce au Seigneur avec la bénédiction du Saint-Sacrement. Son Altesse Royale et sa suite quittèrent l’Oratoire à 17 heures 30, chacun se montrant pleinement satisfait.
Entre autres marques de bienveillance, l’auguste Prince a offert la gracieuse somme de 500 Francs sur ses biens personnels, et a donné son matériel de gymnastique aux jeunes de cet établissement. Peu après, l’ingénieur a été décoré de la croix des saints Maurice et Lazare.

(suite)


[1] À la mort de ce prince, le comte Tesauro rédigea l’épigraphe suivante, qui fut gravée sur le sol de l’autel.
D. O. M.
SERENISSIMIS PRINCEPS MAURITIUS SABAUDIAE
MELIOREM SUI PARTEM
COR
QUOD VIVENS
SUMMAE REGINAE COELORUM LITAVERAT
MORIENS CONSECRAVIT
HICQUE AD MINIMOS QUOS CORDE DILIGERAT
APPONI VOLUIT
CLAUSIT ULTIMUM DIEM
QUINTO NONAS OCTOBRIS MDCLVII.

[2] Ce quartier s’appelle Valdocco, d’après les initiales Val. Oc. Vallis Occisorum ou vallée des « occis » (morts), parce qu’elle fut arrosée du sang des saints Adventor et Octavius, qui ont remporté ici la palme du martyre.

De l’église paroissiale de Borgo Dora, en tirant une ligne vers l’église de la Consolata et celle de Borgo San Donato ; puis en tournant vers la forge royale de canons de fusil jusqu’à la rivière Dora, il y a un espace couvert de maisons, où vivent plus de 35 000 habitants, pour lesquels il n’y avait aucune église publique.

[3] Concile d’Orléans. dist. l, De consacr.

[4] Voir Moroni, article Églises.

[5] Les membres de la commission de promotion de la loterie pour cette église.

LUCERNA DI RORA’, Marquis Emanuele, maire de la ville de Turin, Président d’honneur.

SCARAMPI DI PRUNEY, Marquis LODOVICO, Président.

FASSATI, Marquis DOMENICO, Vice-Président.

MORIS, Commandeur GIUSEPPE, Conseiller municipal, Vice-Président.

GRIBAUDI, Monsieur GIOVANNI, Docteur en médecine et chirurgie, Secrétaire.

OREGLIA DI S. STEFANO, Chevalier FEDERICO, Secrétaire.

COTTA, Commandeur GIUSEPPE, Sénateur du Royaume, Trésorier.

ANZINO, Chanoine VALERIO, Aumônier de Sa Majesté.

BERTONE DI SAMBUY, Comte ERNESTO, Directeur de l’exposition.

BOGGIO, Baron GIUSEPPE, Directeur de l’exposition.

BOSCO DI RUFFINO, Chevalier ALERAMO.

BONA, commandeur, Directeur général des chemins de fer du Sud.

BOSCO, Don GIOVANNI, Directeur des Oratoires.

CAYS DI GILETTA, Comte CARLO, Directeur de l’exposition.

DUPRA’, Chevalier GIO. BATT., Comptable de la Chambre des Comptes.

DUPRÈ, Chevalier GIUSEPPE, Conseiller municipal.

FENOGLIO, Commandeur PIETRO, Intendant général.

FERRARI DE CASTELNUOVO, Marquis EVASIO.

GIRIODI, Chevalier CARLO, Directeur de l’exposition.

MINELLA, Don VINCENZO, Directeur de l’exposition.

PERNATI DI MOMO, Chevalier commandeur, ministre d’État, sénateur du Royaume.

PATERI, Chevalier ILARIO, Professeur et conseiller municipal.

PROVANA DE COLLEGNO, Comte et avocat ALESSANDRO.

RADICATI, Comte COSTANTINO, Préfet.

REBAUDENGO, Commandeur GIO., Secrétaire général du Ministère de la Maison royale.

SCARAMPI DI VILLANUOVA, Chevalier CLEMENTE, Directeur de l’exposition.

SOLARO DELLA MARGHERITA, Comte ALBERTO.

SPERINO, Commandeur CASIMIRO, Docteur en médecine.

UCCELLETTI, Monsieur CARLO, Directeur de l’exposition.

VOGLIOTTI, Chevalier ALESSANDRO, Chanoine Pro-vicaire général.

VILLA DI MOMPASCALE, Comte GIUSEPPE, Directeur de l’exposition.

VIRETTI, Avocat MAURIZIO, Directeur de l’exposition.

[6] L’un des poèmes avec le dialogue et l’inscription peut être lu dans l’annexe à la fin du livret.