Le moment culminant de l’Année Jubilaire pour chaque croyant est le passage par la Porte Sainte, un geste hautement symbolique qui doit être vécu avec une profonde méditation. Il ne s’agit pas d’une simple visite pour admirer la beauté architecturale, sculpturale ou picturale d’une basilique : les premiers chrétiens ne se rendaient pas dans les lieux de culte pour cette raison, d’autant plus qu’à l’époque, il n’y avait pas grand-chose à admirer. Ils venaient plutôt prier devant les reliques des saints apôtres et martyrs, et pour obtenir l’indulgence grâce à leur puissante intercession. Se rendre sur les tombes des apôtres Pierre et Paul sans connaître leur vie n’est pas un signe d’appréciation. C’est pourquoi, en cette Année Jubilaire, nous souhaitons présenter les parcours de foi de ces deux glorieux apôtres, tels qu’ils ont été narrés par Saint Jean Bosco.
Vie de Saint Pierre, prince des apôtres, racontée au peuple par le prêtre Giovanni Bosco
Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? (Matt. XIV, 31).
PRÉFACE
CHAPITRE I. Patrie et profession de S. Pierre. — Son frère André le conduit à Jésus-Christ. An 29 de Jésus-Christ.
CHAPITRE II. Pierre conduit le Sauveur dans son bateau — Pêche miraculeuse. — Il accueille Jésus chez lui. — Miracles opérés. An 30 de Jésus-Christ.
CHAPITRE III. S. Pierre, chef des Apôtres, est envoyé prêcher. — Il marche sur les vagues. — Belle réponse donnée au Sauveur. An 31 de Jésus-Christ.
CHAPITRE IV. Pierre confesse pour la seconde fois Jésus-Christ comme fils de Dieu. — Il est constitué chef de l’Église et les clés du royaume des Cieux lui sont promises. An 32 de Jésus-Christ.
CHAPITRE V. S. Pierre dissuade le divin Maître de la passion. — Il va avec lui sur le mont Thabor. An 32 de J.-C.
CHAPITRE VI. Jésus ressuscite la fille de Jaïre en présence de Pierre. — Il fait payer le tribut par Pierre. — Il enseigne l’humilité à ses disciples. An 32 de J.-C.
CHAPITRE VII. Pierre parle avec Jésus du pardon des injures et du détachement des choses terrestres. — Il refuse de se laisser laver les pieds. — Son amitié avec S. Jean. An 33 de J.-C.
CHAPITRE VIII. Jésus prédit le reniement de Pierre et lui assure que sa foi ne faillira pas. — Pierre le suit dans le jardin de Gethsémani. — Il coupe l’oreille de Malchus. — Sa chute et son repentir. An 33 de J.-C.
CHAPITRE IX. Pierre au sépulcre du Sauveur. — Jésus lui apparaît. — Sur le lac de Tibériade il donne trois signes distincts de son amour pour Jésus qui le constitue effectivement chef et pasteur suprême de l’Église.
CHAPITRE X. Infaillibilité de S. Pierre et de ses successeurs
CHAPITRE XI. Jésus prédit à S. Pierre la mort sur la croix. — Il promet assistance à l’Église jusqu’à la fin du monde. — Retour des Apôtres au cénacle. An 33 de J.-C.
CHAPITRE XII. S. Pierre remplace Judas. — Venue de l’Esprit Saint. — Miracle des langues. An 33 de J.-C.
CHAPITRE XIII. Première prédication de Pierre. An 33 de J.-C.
CHAPITRE XIV. S. Pierre guérit un boiteux. — Son deuxième sermon. An 33 de J.-C.
CHAPITRE XV. Pierre est mis en prison avec Jean, puis est libéré.
CHAPITRE XVI. Vie des premiers Chrétiens. — Le fait d’Ananie et Saphire. — Miracles de S. Pierre. An 34 de Jésus-Christ.
CHAPITRE XVII. S. Pierre de nouveau mis en prison. — Il est libéré par un ange. An 34 de Jésus-Christ.
CHAPITRE XVIII. Élection des sept diacres. — S. Pierre résiste à la persécution de Jérusalem. — Il va en Samarie. — Son premier affrontement avec Simon le Magicien. An 35 de Jésus-Christ.
CHAPITRE XIX. S. Pierre fonde le siège d’Antioche ; il retourne à Jérusalem. — Il est visité par saint Paul. An 36 de Jésus-Christ.
CHAPITRE XX. Saint Pierre visite plusieurs Églises. — Il guérit Énée le paralytique. — Il ressuscite la défunte Tabitha. An 38 de J.-C.
CHAPITRE XXI. Dieu révèle à S. Pierre la vocation des Gentils. — Il va à Césarée et baptise la famille du centurion Corneille. An 39 de J.-C.
CHAPITRE XXII. Hérode fait décapiter S. Jacques le Majeur et mettre S. Pierre en prison. — Mais il est libéré par un Ange. — Mort d’Hérode. An 41 de J.-C.
CHAPITRE XXIII. Pierre à Rome. — Il y transfère la chaire apostolique. — Sa première lettre. — Progrès de l’Évangile. An 42 de Jésus-Christ.
CHAPITRE XXIV. Au concile de Jérusalem S. Pierre définit une question. — Saint Jacques confirme son jugement. An 50 de Jésus-Christ.
CHAPITRE XXV. Saint Pierre confère à Saint Paul et à Saint Barnabé la plénitude de l’Apostolat. — Il est averti par Saint Paul. — Il retourne à Rome. An 54 de Jésus-Christ.
CHAPITRE XXVI. Saint Pierre fait ressusciter un mort. An 66 de Jésus-Christ.
CHAPITRE XXVII. Un vol. — La chute. — Mort désespérée de Simon le Magicien. An 67 de Jésus-Christ.
CHAPITRE XXVIII. Pierre est recherché pour être tué. — Jésus lui apparaît et lui prédit un martyre imminent. — Testament du saint Apôtre.
CHAPITRE XXIX. Saint Pierre en prison convertit Processus et Martinien. — Son martyre. An 67 de l’ère vulgaire.
CHAPITRE XXX. Tombeau de Saint Pierre. — Attentat contre son corps.
CHAPITRE XXXI. Tombe et Basilique de Saint Pierre au Vatican.
APPENDICE SUR LA VENUE DE SAINT PIERRE À ROME
PRÉFACE
Celui qui doit entrer dans un palais fermé et en prendre possession doit nécessairement se rendre propice à celui qui en détient les clés.
Malheureux celui qui, se trouvant sur une barque en haute mer, n’est pas dans les bonnes grâces du pilote. La brebis perdue, qui est loin de son berger, ne connaît pas sa voix ou ne l’écoute pas.
Cher lecteur, ta demeure est le ciel, et tu dois aspirer à en obtenir la possession. Tant que tu vis ici-bas, tu navigues dans la mer agitée de ce monde, en danger de heurter les écueils, de faire naufrage et de te perdre dans les abîmes de l’erreur.
Comme une brebis, tu es chaque jour sur le point d’être conduit à des pâturages nocifs, de te perdre dans des précipices et de tomber même dans les griffes des loups rapaces, c’est-à-dire dans les pièges des ennemis de ton âme. Ah ! Oui, tu as besoin de te rendre propice à celui à qui ont été remises les clés du ciel ; il est nécessaire que tu confies ta vie au grand Pilote du Navire du Christ, au Noé du Nouveau Testament ; tu dois te rassembler autour du Suprême Pasteur de l’Église, qui seul peut te guider vers de bons pâturages et te conduire à la vie.
Or, le Portier du royaume des Cieux, le grand Pilote et Pasteur des hommes est justement S. Pierre, prince des Apôtres, qui exerce son pouvoir en la personne du Souverain Pontife, son Successeur. Aujourd’hui encore il ouvre et ferme, il gouverne l’Église et guide les âmes vers le salut.
N’hésite donc pas, pieux lecteur, à parcourir la brève vie que je te présente ici ; apprends à connaître qui il est, à respecter sa suprême autorité d’honneur et de juridiction ; apprends à reconnaître la voix aimante du Pasteur et à l’écouter. Car qui est avec Pierre, est avec Dieu, marche dans la lumière et court vers la vie ; qui n’est pas avec Pierre, est contre Dieu, va titubant dans les ténèbres et tombe dans la perdition. Où est Pierre, là est la vie ; où Pierre n’est pas, là est la mort.
CHAPITRE I. Patrie et profession de S. Pierre[1]. — Son frère André le conduit à Jésus-Christ. An 29 de Jésus-Christ.
S. Pierre était juif de naissance et fils d’un pauvre pêcheur nommé Jonas ou Jean, qui habitait dans une ville de Galilée appelée Bethsaïde. Cette ville est située sur la rive occidentale du lac de Génésareth, communément appelé mer de Galilée ou de Tibériade, qui est en réalité un vaste lac de douze milles de long et six de large.
Avant que le Sauveur ne changeât son nom, Pierre s’appelait Simon. Il exerçait le métier de pêcheur, comme son père ; il avait un tempérament robuste, un esprit vif et spirituel ; il était prompt à répondre, mais de cœur bon et plein de reconnaissance envers ses bienfaiteurs.
Cette nature vive le portait souvent à de grandes manifestations d’affection envers le Sauveur, qui lui donna également des signes indubitables de prédilection. À une époque où la virginité était encore peu honorée, Pierre prit femme dans la ville de Capharnaüm, capitale de la Galilée, sur la rive occidentale du Jourdain, qui est un grand fleuve, divisant la Palestine du nord au sud.
Comme Tibériade était située là où le Jourdain se jette dans la mer de Galilée, et donc très adaptée à la pêche, S. Pierre établit dans cette ville sa résidence ordinaire et continua à exercer son métier habituel. La bonté de son cœur ouvert à la vérité, l’innocent métier de pêcheur et l’assiduité au travail contribuèrent beaucoup à le maintenir dans la sainte crainte de Dieu.
À cette époque, nombreux étaient ceux qui pensaient que la venue du Messie était imminente ; en fait, certains disaient qu’il était déjà né parmi les Juifs. Cela poussait S. Pierre à faire le maximum d’efforts pour en avoir connaissance. Il avait un frère aîné, nommé André, qui, captivé par les merveilles racontées à propos de S. Jean-Baptiste, Précurseur du Sauveur, voulut devenir son disciple, vivant la majeure partie du temps avec lui dans un désert sauvage.
La nouvelle, qui se confirmait de jour en jour, que le Messie était déjà né, faisait que beaucoup se tournaient vers S. Jean, croyant qu’il était lui-même le Rédempteur. Parmi eux il y avait S. André, frère de Simon Pierre. Mais bientôt, instruit par Jean, il vint à connaître Jésus-Christ et la première fois qu’il l’entendit parler, il fut tellement captivé qu’il courut immédiatement en donner la nouvelle à son frère.
Dès qu’il le vit, il lui dit : “Simon, j’ai trouvé le Messie ; viens avec moi pour le voir.”
Simon, qui avait déjà entendu raconter quelque chose, mais vaguement, partit aussitôt avec son frère et alla là où André avait laissé Jésus-Christ. Dès qu’il vit le Sauveur, Pierre fut comme ravi par son amour. Le divin Maître, qui avait conçu de grands desseins sur lui, le regarda avec bonté et, avant qu’il ne parlât, lui montra qu’il était pleinement informé de son nom, de sa naissance, de sa patrie, en disant : “Tu es Simon, fils de Jean, mais par la suite tu seras appelé Céphas.” Ce mot signifie pierre, d’où dérive le nom de Pierre. Jésus communique à Simon qu’il sera appelé Pierre, parce qu’il devait être cette pierre sur laquelle Jésus-Christ fondera son Église, comme nous le verrons au cours de cette Vie.
Dans ce premier entretien, Pierre reconnut immédiatement que ce que son frère lui avait raconté était de loin inférieur à la réalité et, dès ce moment, il devint très attaché à Jésus-Christ, ne sachant plus vivre loin de lui. Le divin Sauveur, d’autre part, permit à ce nouveau disciple de retourner à son ancien métier car il voulait le préparer peu à peu à l’abandon total des choses terrestres, le guider vers les plus hauts degrés de la vertu et ainsi le rendre capable de comprendre les autres mystères qu’il lui révélerait et le rendre digne du grand pouvoir dont il voulait l’investir.
CHAPITRE II. Pierre conduit le Sauveur dans son bateau — Pêche miraculeuse. — Il accueille Jésus chez lui. — Miracles opérés. An 30 de Jésus-Christ.
Pierre continuait donc à exercer sa première profession, mais chaque fois que le temps et les occupations le lui permettaient, il allait avec joie vers le divin Sauveur pour l’entendre parler des vérités de la foi et du royaume des cieux.
Un jour, Jésus marchant sur la plage de la mer de Tibériade, vit les deux frères Pierre et André en train de jeter leurs filets dans l’eau. Il les appela à lui et leur dit : “Venez avec moi et, de pêcheurs de poissons que vous êtes, je vous ferai devenir pêcheurs d’hommes.” Ils obéirent promptement aux signes du Rédempteur et, abandonnant leurs filets, devinrent des disciples fidèles et constants. Non loin de là il y avait une autre barque de pêcheurs, dans laquelle se trouvait un certain Zébédée avec ses deux fils, Jacques et Jean, qui réparaient leurs filets. Jésus appela aussi ces deux frères. Pierre, Jacques et Jean sont les trois disciples qui reçurent des signes de bienveillance spéciale du Sauveur et qui, de leur côté, se montrèrent fidèles et loyaux à chaque rencontre.
Quand le peuple apprit que le Sauveur se trouvait là, il affluait autour de lui pour écouter sa divine parole. Souhaitant satisfaire le désir de la multitude et en même temps offrir à tous la possibilité de l’entendre, il ne voulut pas prêcher sur le rivage, mais dans une des deux barques qui étaient près de la rive ; et pour donner à Pierre un nouveau témoignage d’amour, il choisit sa barque. Monté à bord et ayant fait monter aussi Pierre, il lui ordonna de s’éloigner un peu du rivage et, s’étant assis, il se mit à instruire cette dévote assemblée. À la fin de la prédication, il ordonna à Pierre de conduire la barque en haute mer et de jeter le filet pour prendre des poissons.
Pierre avait passé toute la nuit précédente à pêcher au même endroit et n’avait rien pris ; c’est pourquoi, se tournant vers Jésus, il lui dit : “Maître, nous nous sommes fatigués toute la nuit à pêcher et nous n’avons pris même pas un poisson ; cependant, sur votre parole, je jetterai le filet dans la mer.” C’est ce qu’il fit par obéissance et, contre toute attente, la pêche fut si abondante et le filet si plein de gros poissons qu’en essayant de le tirer hors de l’eau, il était sur le point de se déchirer. Ne pouvant seul porter le grand poids du filet, Pierre demanda de l’aide à Jacques et à Jean, qui se trouvaient dans l’autre barque, et ceux-ci vinrent à son secours. Ensemble mais avec peine, ils tirèrent le filet, versèrent les poissons dans les barques, qui restèrent toutes deux si pleines qu’elles menaçaient de sombrer.
Pierre commençait à percevoir quelque chose de surnaturel dans la personne du Sauveur. Il reconnut immédiatement que c’était un prodige et, plein d’étonnement, se jugeait indigne de rester avec lui dans la même barque. Humilié et confus, il se jeta à ses pieds en disant : “Seigneur, je suis un misérable pécheur, je vous prie donc de vous éloigner de moi.” Comme pour dire : “Oh ! Seigneur, je ne suis pas digne de rester en votre présence.” En admirant les dons de Dieu, dit Saint Ambroise, il méritait d’autant plus qu’il présumait moins de lui-même[2].
Jésus apprécia la simplicité de Pierre et l’humilité de son cœur et, voulant qu’il ouvre son esprit à de meilleures espérances, il lui dit pour le réconforter : “Dépose toute crainte ; dorénavant, tu ne seras plus pêcheur de poissons, mais tu seras pêcheur d’hommes.” À ces paroles, Pierre reprit courage et fut changé presque en un autre homme ; il conduisit la barque au rivage, abandonna tout et devint un compagnon inséparable du Rédempteur.
Comme Jésus-Christ parlait en marchant en direction de la ville de Capharnaüm, Pierre alla avec lui. Là, ils entrèrent tous deux dans la Synagogue et l’Apôtre écouta la prédication que le Seigneur y fit et fut témoin de la guérison miraculeuse d’un possédé.
En sortant de la Synagogue, Jésus alla dans la maison de Pierre où sa belle-mère était tourmentée par une fièvre très grave. Avec André, Jacques et Jean, il pria Jésus de bien vouloir libérer cette femme du mal qui l’oppressait. Le divin Sauveur exauça leurs prières et, s’approchant du lit de la malade, la prit par la main, la souleva et à cet instant la fièvre disparut. La femme se trouva si parfaitement guérie qu’elle put se lever immédiatement et préparer le repas pour Jésus et toute sa suite. La renommée de ces miracles attira à la maison de Pierre de nombreux malades ainsi qu’une foule innombrable, si bien que toute la ville semblait rassemblée là. Jésus rendit la santé à tous ceux qu’on lui amenait ; et tous, pleins de joie, s’en allaient en louant et en bénissant le Seigneur.
Pour les saints Pères la barque de Pierre représente l’Église, dont le chef est Jésus-Christ, représenté par Pierre, son Vicaire, et après lui tous les Papes, ses successeurs. Les paroles dites à Pierre : « Conduis la barque en haute mer », et les autres dites à lui et à ses Apôtres : « Jetez vos filets pour attraper des poissons », contiennent également un sens élevé. À tous les Apôtres, dit S. Ambroise, il ordonne de jeter les filets dans les vagues, car tous les Apôtres et tous les pasteurs sont tenus de prêcher la parole divine et de garder dans la barque, c’est-à-dire dans l’Église, les âmes qu’ils ont gagnées par leur prédication. Mais à Pierre seul, il ordonne ensuite de conduire la barque en haute mer, car lui, de préférence à tous, est fait participant de la profondeur des mystères divins et reçoit seul du Christ le pouvoir de résoudre les difficultés qui peuvent surgir en matière de foi et de morale. La venue des autres apôtres à sa barque signifie la collaboration des autres pasteurs, qui, s’unissant à Pierre, doivent l’aider à propager et à conserver la foi dans le monde et à gagner des âmes au Christ[3].
CHAPITRE III. S. Pierre, chef des Apôtres, est envoyé prêcher. — Il marche sur les vagues. — Belle réponse donnée au Sauveur. An 31 de Jésus-Christ.
Parti de la maison de Pierre, Jésus se dirigea vers un lieu solitaire, sur une montagne, pour prier. Pierre et les autres disciples, qui à ce moment-là étaient devenus nombreux, le suivirent ; mais, arrivés au lieu convenu, Jésus leur ordonna de s’arrêter et se retira, tout seul, dans un endroit isolé. Au lever du jour, il retourna vers les disciples. À cette occasion, le divin Maître choisit douze disciples, qu’il appela Apôtres, ce qui signifie envoyés, car les Apôtres étaient vraiment envoyés prêcher l’Évangile, d’abord dans les seuls villages de la Judée, puis dans le monde entier. Parmi ces douze, il désigna Saint Pierre pour occuper la première place et agir en tant que chef. En établissant parmi eux un supérieur, dit Saint Jérôme, il voulait supprimer toute occasion de discorde et de schisme. Ut capite constituto schismatis tolleretur occasio[4].
Les nouveaux prédicateurs allaient avec zèle annoncer l’Évangile, prêchant partout la venue du Messie et confirmant leurs paroles par des miracles éclatants. Puis ils retournaient vers le divin Maître pour rendre compte de ce qu’ils avaient fait. Il les accueillait avec bonté et avait l’habitude de se rendre lui-même à l’endroit où les Apôtres avaient prêché. Un jour, les foules, transportées d’admiration et d’enthousiasme, voulaient le faire roi ; mais il ordonna aux Apôtres de faire le trajet vers l’autre rive du lac, s’éloigna de cette bonne foule et alla se cacher dans le désert. Les Apôtres, suivant les ordres du Maître, montèrent dans une barque pour traverser le lac. La nuit avançait et ils étaient déjà arrivés au rivage quand une tempête terrible se leva et le navire, agité par les vagues et le vent, était sur le point de sombrer.
Au milieu de cette tempête, ils ne s’imaginaient certainement pas qu’ils pourraient voir Jésus-Christ, qu’ils avaient laissé sur l’autre rive du lac. Mais quelle ne fut pas leur surprise de le voir à peu de distance marcher sur les eaux, d’un pas libre et rapide, et s’avancer vers eux ! Dès qu’ils le virent, tous furent effrayés, craignant que ce ne fût un spectre ou un fantôme, et ils se mirent à crier. Jésus alors fit entendre sa voix et les encouragea en disant : « C’est moi, ayez foi, n’ayez pas peur. »
À ces mots, aucun des Apôtres n’osa parler ; seul Pierre, dans l’élan de son amour pour Jésus et pour s’assurer que ce n’était pas une illusion, dit : « Seigneur, si c’est vraiment vous, ordonnez que je vienne à vous en marchant sur les eaux. » Le Divin Sauveur acquiesça, et Pierre, plein de confiance, sauta hors du bateau et se mit à marcher sur les vagues, comme on marche sur un pavé. Mais Jésus, qui voulait éprouver sa foi et la rendre plus parfaite, permit à nouveau que se lève un vent impétueux, qui agitait les vagues en menaçant de submerger Pierre. Voyant ses pieds s’enfoncer dans l’eau, il fut effrayé et se mit à crier : « Maître, Maître, aidez-moi, sinon je suis perdu. » Alors Jésus le réprimanda à cause de la faiblesse de sa foi en disant : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? » En disant cela, Jésus et Pierre marchèrent ensemble sur les vagues. Quand ils entrèrent dans la barque, le vent cessa et la tempête se calma. Les saints Pères voient dans ce fait les dangers où se trouve parfois le Chef de l’Église et le secours rapide que lui apporte Jésus-Christ, son Chef invisible, qui permet certes les persécutions, mais lui donne toujours la victoire.
Quelque temps après, le Divin Sauveur retourna dans la ville de Capharnaüm avec les Apôtres, suivi d’une grande foule. Alors qu’il se trouvait dans cette ville, beaucoup se pressaient autour de lui, le priant de leur enseigner quelles étaient les œuvres absolument nécessaires pour se sauver. Jésus se mit à les instruire sur sa doctrine céleste, le mystère de son Incarnation, le Sacrement de l’Eucharistie. Mais comme ces enseignements visaient à déraciner l’orgueil du cœur des hommes, à y engendrer l’humilité en les obligeant à croire en des mystères très élevés et surtout au mystère des mystères, la divine Eucharistie, ses auditeurs trouvèrent ces discours trop rigides et trop sévères ; se montrant offensés, la plupart l’abandonnèrent.
Se voyant abandonné presque par tous, Jésus s’adressa aux Apôtres et dit : « Voyez-vous comme beaucoup s’en vont ? Voulez-vous vous en aller, vous aussi ? » À cette question soudaine, chacun se tut. Seul Pierre, comme chef et au nom de tous, répondit : « Seigneur, à qui irions-nous ? Vous avez des paroles de vie éternelle ; nous avons cru et connu que vous êtes le Christ, le fils de Dieu. » Saint Cyrille pense que cette question fut posée par Jésus-Christ afin de les inciter à confesser la vraie foi, comme cela se produisit effectivement par la bouche de Pierre. Quelle différence entre la réponse de notre Apôtre et les murmures de certains chrétiens qui trouvent que la sainte loi de l’Évangile est dure et sévère, parce qu’elle ne s’adapte pas à leurs passions (Cyrille, in Ioann. lib. 4).
CHAPITRE IV. Pierre confesse pour la seconde fois Jésus-Christ comme fils de Dieu. — Il est constitué chef de l’Église et les clés du royaume des Cieux lui sont promises. An 32 de Jésus-Christ.
À plusieurs reprises, le divin Sauveur avait manifesté les projets particuliers qu’il avait sur la personne de Pierre, mais il ne s’était pas encore exprimé aussi clairement, comme nous le verrons dans le fait suivant, qui peut être considéré comme le plus mémorable de la vie de ce grand Apôtre. Parti de la ville de Capharnaüm, Jésus était allé dans les environs de Césarée de Philippe, une ville non loin du fleuve Jourdain. Là, un jour, après avoir prié, Jésus se tourna soudainement vers ses disciples, qui étaient revenus de la prédication, leur fit signe de s’approcher et commença à les interroger : « Que disent les hommes, qui suis-je selon eux ? » L’un des Apôtres répondit : « Certains disent que vous êtes le prophète Élie. » Un autre ajouta : « On m’a dit que vous êtes le prophète Jérémie, ou Jean-Baptiste ou l’un des anciens prophètes ressuscités. » Pierre ne prononça pas un mot. Jésus reprit : « Mais vous, qui dites-vous que je suis ? » Pierre alors s’avança et répondit au nom des autres Apôtres : « Vous êtes le Christ, le fils du Dieu vivant. » Alors Jésus dit : « Bienheureux es-tu, Simon, fils de Jean, car ce ne sont pas les hommes qui t’ont révélé ces paroles, mais mon Père céleste. Dorénavant, tu ne t’appelleras plus Simon, mais Pierre, et sur cette pierre j’édifierai mon Église, et les portes de l’enfer ne pourront pas la vaincre. Je te donnerai les clés du royaume des cieux ; ce que tu lieras sur terre sera lié aussi dans les cieux, et ce que tu auras délié sur terre sera délié aussi dans les cieux.[5] »
Ce fait et ces paroles méritent d’être un peu expliqués pour être bien compris. Pierre se tut tant que Jésus voulait seulement savoir ce que disaient les hommes à son sujet ; mais lorsque le divin Sauveur invita les Apôtres à exprimer leur sentiment, Pierre parla immédiatement au nom de tous, car il jouissait déjà d’une primauté, ou supériorité, sur ses compagnons.
Pierre, divinement inspiré, dit : « Vous êtes le Christ. » C’était la même chose que de dire : « Vous êtes le Messie promis par Dieu venu sauver les hommes ; vous êtes le fils du Dieu vivant. » Jésus-Christ n’était pas fils de Dieu comme les divinités des idolâtres, faites de la main et du caprice des hommes, mais fils du Dieu vivant et vrai, c’est-à-dire fils du Père éternel, donc avec Lui créateur et suprême maître de toutes choses. Par là, il parvenait à le confesser comme la seconde personne de la Sainte Trinité. Pour le récompenser de sa foi, Jésus l’appelle Bienheureux, et en même temps il change son nom de Simon en celui de Pierre, signe évident qu’il voulait l’élever à une grande dignité. C’est ainsi que Dieu avait fait avec Abraham, lorsqu’il le constitua père de tous les croyants ; avec Sara, lorsqu’il lui promit la naissance prodigieuse d’un fils ; avec Jacob, lorsqu’il l’appela Israël et lui assura que de sa descendance naîtrait le Messie.
Jésus dit : « Sur cette pierre, je fonderai mon Église. » Ces paroles signifient : toi, Pierre, tu seras dans l’Église ce que le fondement est dans une maison. Le fondement est la partie principale de la maison, tout à fait indispensable ; toi, Pierre, tu seras le fondement, c’est-à-dire la suprême autorité dans mon Église. Sur le fondement on construit toute la maison, afin qu’elle soit soutenue, maintenue solidement immobile. Sur toi, que j’appelle Pierre, comme sur un rocher ou une pierre inébranlable, j’élève l’éternel édifice de mon Église par ma force toute-puissante ; appuyée sur toi, elle restera forte et invincible contre tous les assauts de ses ennemis. Il n’y a pas de maison sans fondation, il n’y a pas d’Église sans Pierre. Une maison sans fondation n’est pas l’œuvre d’un architecte sage ; une Église séparée de Pierre ne pourra jamais être mon Église. Dans les maisons, les parties qui ne reposent pas sur les fondations tombent et se ruinent ; dans mon Église, quiconque se sépare de Pierre tombe dans l’erreur et se perd.
« Les portes de l’enfer ne vaincront jamais mon Église. » Les portes de l’enfer, comme l’expliquent les Saints Pères, signifient les hérésies, les hérétiques, les persécutions, les scandales publics et les désordres que le démon cherche à susciter contre l’Église. Toutes ces puissances infernales pourront certes, séparément ou réunies, mener une guerre acharnée contre l’Église et troubler son esprit pacifique, mais elles ne pourront jamais la vaincre.
Pour finir, le Christ ajoute: « Et je te donnerai les clés du royaume des cieux. » Les clés sont le symbole de la puissance. Lorsque le vendeur d’une maison remet les clés à l’acheteur, cela signifie qu’il lui en donne la pleine et entière possession. De même, lorsque les clés d’une ville sont présentées à un roi, cela signifie que cette ville le reconnaît comme son seigneur. Ainsi, les clés du royaume des cieux, c’est-à-dire de l’Église, données à Pierre, montrent qu’il est fait maître, prince et gouverneur de l’Église. C’est pourquoi Jésus-Christ ajoute à Pierre : « Tout ce que tu lieras sur terre sera également lié dans les cieux, et tout ce que tu délieras sur terre sera aussi délié dans les cieux. » Ces paroles indiquent manifestement l’autorité suprême donnée à Pierre : autorité de lier la conscience des hommes par des décrets et des lois en vue de leur bien spirituel et éternel, et autorité de les délier des péchés et des peines qui empêchent ce même bien spirituel et éternel.
Il est bon de noter ici que le vrai Chef suprême de l’Église est Jésus-Christ, son fondateur. Saint Pierre, quant à lui, exerce ensuite sa suprême autorité en exerçant ses fonctions, en étant son vicaire sur la terre. Jésus-Christ agit avec Pierre comme le font justement les rois de ce monde, lorsqu’ils donnent les pleins pouvoirs à un de leurs ministres avec ordre que tout doit dépendre de lui. C’est ainsi que le roi Pharaon donna un tel pouvoir à Joseph que personne ne pouvait mouvoir la main ou le pied sans son autorisation[6].
Il convient également de noter que les autres Apôtres reçurent de Jésus-Christ la faculté de délier et de lier[7], mais cette faculté leur fut donnée après que Saint Pierre l’ait reçue seul, pour indiquer qu’il était le seul chef destiné à conserver l’unité de foi et de morale. Les autres Apôtres, et tous les évêques qui leur succéderont, devaient toujours dépendre de Pierre et des Papes qui lui succéderont, afin de rester unis à Jésus-Christ, qui du ciel assiste son Vicaire et toute l’Église jusqu’à la fin des siècles. Pierre reçut la faculté de délier et de lier avec les autres Apôtres, et ainsi lui et ses successeurs sont égaux aux Apôtres et aux Évêques ; mais ensuite il la reçut seul, et c’est pourquoi Pierre et les Papes qui lui succèdent sont les Chefs suprêmes de toute l’Église, non seulement des simples fidèles, mais aussi des Prêtres et de tous les Évêques. Ils sont évêques et pasteurs de Rome, papes et pasteurs de toute l’Église.
Dans le fait que nous venons d’exposer, le divin Sauveur promet de vouloir constituer Saint Pierre comme chef suprême de son Église, et lui explique la grandeur de son autorité. Nous verrons l’accomplissement de cette promesse après la résurrection de Jésus-Christ.
CHAPITRE V. S. Pierre dissuade le divin Maître de la passion. — Il va avec lui sur le mont Thabor. An 32 de J.-C.
Après avoir fait connaître à ses disciples comment il édifiait son Église sur des bases stables, inébranlables et éternelles, le divin Rédempteur voulut leur donner un enseignement afin qu’ils comprennent bien qu’il ne fondait pas ce royaume, c’est-à-dire son Église, avec des richesses ou une magnificence mondaine, mais avec l’humilité, par les souffrances. Dans cette intention, il manifesta à Saint Pierre et à tous ses disciples la longue série des souffrances et la mort infamante que les Juifs devaient lui faire endurer à Jérusalem. C’est alors que Pierre, à cause du grand amour qu’il avait pour son divin Maître, horrifié d’entendre les maux auxquels sa sainte personne allait être exposée, porté par l’affection qu’un bon fils a pour son père, le prit à part et commença à le persuader de s’éloigner de Jérusalem pour éviter ces maux et conclut : « Loin de vous, Seigneur, tous ces maux. » Jésus le reprit pour son affection trop sensible, en lui disant : « Retire-toi de moi, mon adversaire ; tes paroles me scandalisent, tu ne sais pas encore goûter les choses de Dieu, mais seulement les choses humaines. » « Voici donc, dit Saint Augustin, ce Pierre qui peu auparavant l’avait confessé comme fils de Dieu et qui craint maintenant qu’il meure comme fils de l’homme. »
Au moment où le Rédempteur manifesta les mauvais traitements qu’il aurait à subir de la part des Juifs, il promit que certains des Apôtres auraient un avant-goût de sa gloire avant qu’il ne meure, et cela pour les confirmer dans la foi et afin qu’ils ne se laissent pas abattre lorsqu’ils le verraient exposé aux humiliations de la passion. Aussi, quelques jours après, Jésus choisit les trois Apôtres Pierre, Jacques et Jean, et les conduisit sur une montagne appelée communément Thabor. En présence de ces trois disciples, il se transfigura, c’est-à-dire qu’il laissa transparaître un rayon de sa divinité autour de sa très sainte personne. Au même moment, une lumière éclatante l’enveloppa et son visage devint semblable à l’éclat du soleil, et ses vêtements blancs comme la neige. Lorsqu’il arriva sur la montagne, peut-être fatigué du voyage, Pierre s’était mis à dormir avec les deux autres ; mais tous, à ce moment-là, se réveillèrent et virent la gloire de leur Divin Maître. En même temps, Moïse et Élie apparurent également. En voyant le Sauveur resplendissant, et à l’apparition de ces deux personnages et de cet éclat insolite, Pierre, stupéfait, voulait parler, mais ne savait que dire. Presque hors de lui, et considérant comme un rien toute grandeur humaine en comparaison de cet avant-goût du paradis, il sentit brûler en lui le désir de rester toujours là avec son Maître. Il se tourna donc vers Jésus et dit : « Seigneur, combien il est bon d’être ici ; si cela vous plaît, faisons ici trois tentes, une pour vous, une pour Moïse et une pour Élie. » Comme le rapporte l’Évangile, Pierre était hors de lui et parlait sans savoir ce qu’il disait. C’était un transport d’amour pour son Maître et un vif désir de bonheur. Il parlait encore lorsque Moïse et Élie disparurent et une nuée merveilleuse enveloppa les trois Apôtres. À ce moment-là, du milieu de cette nuée, une voix se fit entendre qui disait : « Celui-ci est mon fils bien-aimé, en qui j’ai mis toute ma complaisance. Écoutez-le. » Alors les trois Apôtres, de plus en plus terrifiés, tombèrent à terre comme morts ; mais le Rédempteur, s’approchant, les toucha de la main, leur rendit courage et les releva. Levant les yeux, ils ne virent plus ni Moïse ni Élie ; il n’y avait plus que Jésus dans son état naturel. Jésus leur ordonna de ne révéler à personne cette vision, sauf après sa mort et sa résurrection[8]. Après cet événement, les trois disciples grandirent démesurément dans leur amour pour Jésus. Saint Jean Damascène explique pourquoi Jésus a de préférence choisi ces trois Apôtres, et dit que Pierre, ayant été le premier à témoigner de la divinité du Sauveur, méritait d’être aussi le premier à pouvoir contempler de manière sensible son humanité glorifiée ; Jacques eut également ce privilège parce qu’il devait être le premier à suivre son Maître dans le martyre ; Saint Jean avait le mérite de la virginité qui le rendit digne de cet honneur[9].
L’Église catholique célèbre le vénérable événement de la transfiguration du Sauveur sur le mont Thabor le 6 août.
CHAPITRE VI. Jésus ressuscite la fille de Jaïre en présence de Pierre. — Il fait payer le tribut par Pierre. — Il enseigne l’humilité à ses disciples. An 32 de J.-C.
Cependant le temps approchait où la foi de Pierre devait être mise à l’épreuve. C’est pourquoi le divin Maître, pour l’enflammer toujours plus d’amour pour lui, lui donnait souvent de nouveaux signes d’affection et de bonté. Jésus étant venu dans une partie de la Palestine appelée terre des Géraséniens, un prince de la synagogue nommé Jaïre s’avança vers lui, le priant de vouloir rendre la vie à sa fille unique de 12 ans, morte peu auparavant. Jésus voulut l’exaucer ; mais arrivé chez lui, il interdit à tous d’entrer, et ne prit avec lui que Pierre, Jacques et Jean, afin qu’ils soient témoins de ce miracle.
Le lendemain, Jésus s’éloigna un peu des autres disciples, entra avec Pierre dans la ville de Capharnaüm pour se rendre chez lui. À la porte de la ville, les collecteurs d’impôts, c’est-à-dire ceux qui étaient chargés par le gouvernement de percevoir les impôts et les taxes, tirèrent Pierre à part et lui dirent : « Est-ce que votre Maître paie le tribut ? » Certainement, répondit Pierre. Cela dit, il entra dans la maison où le Seigneur l’avait précédé. Dès que l’aperçut le Sauveur, à qui tout était manifeste, il l’appela à lui et lui dit : « Dis-moi, Pierre, qui sont ceux qui paient le tribut ? Est-ce que ce sont les fils du roi, ou les étrangers de la famille royale ? » Pierre répondit : « Ce sont les étrangers. » « Donc, reprit Jésus, les fils du roi sont exempts de tout tribut. » Ce qui voulait dire : « Donc moi qui suis, comme tu l’as déclaré, le Fils de Dieu vivant, je ne suis pas obligé de payer quoi que ce soit aux princes de la terre ; cependant, ces bonnes gens ne me connaissent pas comme toi, et ils pourraient en prendre scandale ; c’est pourquoi je compte payer le tribut. Va à la mer, jette le filet, et dans la bouche du premier poisson que tu prendras, tu trouveras la monnaie pour payer le tribut pour moi et pour toi. » L’Apôtre exécuta ce qui lui avait été commandé, et après un certain temps, il revint plein d’étonnement avec la monnaie indiquée par le Sauveur ; et le tribut fut payé.
Les Saints Pères ont admiré deux choses dans cet événement : l’humilité et la douceur de Jésus, qui se soumet aux lois des hommes, et l’honneur qu’il daigna faire à l’Apôtre Pierre, l’égalant à lui-même et le montrant ouvertement comme son Vicaire.
Lorsque les autres Apôtres apprirent la préférence faite à Pierre, ils en éprouvèrent de l’envie, étant encore très imparfaits dans la vertu. C’est pourquoi ils discutaient entre eux pour savoir qui d’entre eux était le plus grand. Quand ils furent arrivés en sa présence, Jésus, qui voulait peu à peu les corriger de leurs défauts, leur fit connaître comment les grandeurs du ciel sont bien différentes de celles de la terre, et que celui qui veut être le premier au Ciel doit se faire le dernier sur la terre. Il leur dit ensuite : « Qui est le plus grand ? Qui est le premier dans une famille ? Est-ce celui qui est assis, ou celui qui sert à table ? Certainement celui qui est à table. Maintenant que voyez-vous en moi ? À quel personnage est-ce que je ressemble ? Certainement à celui d’un pauvre qui sert à table. »
Cet avis devait principalement valoir pour Pierre, qui devait recevoir dans le monde de grands honneurs à cause de sa dignité, et cependant se conserver dans l’humilité et se nommer serviteur des serviteurs du Seigneur, comme le font d’ailleurs les Papes, ses successeurs.
CHAPITRE VII. Pierre parle avec Jésus du pardon des injures et du détachement des choses terrestres. — Il refuse de se laisser laver les pieds. — Son amitié avec S. Jean. An 33 de J.-C.
Un jour, le divin Sauveur se mit à enseigner les Apôtres au sujet du pardon des offenses, en disant qu’il fallait supporter tous les outrages et pardonner toutes les injures. Pierre resta plein d’étonnement, car il était prévenu, comme tous les Juifs, en faveur des traditions judaïques, qui permettaient à la personne offensée d’infliger une peine à l’offenseur, appelée peine du talion. Il s’adressa donc à Jésus et lui dit : « Maître, si l’ennemi nous faisait du tort sept fois et venait me demander sept fois le pardon, devrais-je lui pardonner sept fois ? » Jésus, qui était venu pour atténuer les rigueurs de l’ancienne loi par la sainteté et la pureté de l’Évangile, répondit à Pierre qu’il « ne devait pas seulement pardonner sept fois, mais soixante-dix fois sept fois, » expression qui signifie qu’il faut toujours pardonner. Les Saints Pères reconnaissent dans cet événement principalement l’obligation pour chaque chrétien de pardonner à son prochain toutes ses offenses, en tout temps et en tout lieu. En second lieu, ils reconnaissent la faculté donnée par Jésus à Saint Pierre et à tous les ministres sacrés de pardonner les péchés des hommes, quels que soient leur gravité et leur nombre, pourvu qu’ils en soient repentis et promettent un sincère amendement.
Un autre jour, Jésus enseignait le peuple en parlant de la grande récompense que recevraient ceux qui méprisent le monde, font bon usage des richesses et détachent leur cœur des biens de la terre. Pierre, qui n’avait pas encore reçu les lumières de l’Esprit Saint et qui plus que les autres avait besoin d’être instruit, s’adressa à Jésus avec sa franchise habituelle et lui dit : « Maître, nous avons abandonné toutes choses, nous vous avons suivi et nous avons fait ce que vous avez commandé ; quelle sera la récompense que vous nous donnerez ? » Le Sauveur apprécia la question de Pierre et, tout en louant le détachement des Apôtres de tout bien terrestre, assura qu’à eux était réservée une récompense particulière, car ils l’avaient suivi en ayant laissé leurs biens. « Quant à vous, dit-il, qui m’avez suivi, vous serez assis sur douze trônes majestueux et, devenus mes compagnons dans ma gloire, vous jugerez avec moi les douze tribus d’Israël et avec elles toute l’humanité. »
Peu de temps après, Jésus se rendit au temple de Jérusalem et se mit à discuter avec Pierre de la construction de ce grand édifice et de la beauté des pierres qui l’ornaient. Le divin Sauveur profita alors de l’occasion pour prédire sa complète ruine en disant : « De ce magnifique temple, il ne restera plus pierre sur pierre. » En sortant ensuite de la ville, Jésus passa près d’un figuier qu’il avait maudit. Pierre, stupéfait, fit remarquer au divin Maître comment cet arbre était déjà devenu aride et sec. C’était une preuve de la véracité des promesses du Sauveur. C’est pourquoi, pour encourager les Apôtres à avoir foi, Jésus répondit qu’avec la foi ils obtiendront tout ce qu’ils demandent.
La vertu que le Christ voulait enraciner profondément dans le cœur des Apôtres, et spécialement de Pierre, était l’humilité. En de nombreuses occasions, il leur en donna des exemples lumineux, surtout la veille de sa passion. C’était le premier jour de la Pâque juive, qui devait durer sept jours et qui est souvent appelée jour des azymes. Jésus envoya Pierre et Jean à Jérusalem en leur disant : « Allez et préparez les choses nécessaires pour la Pâque. » Ils dirent : « Où voulez-vous que nous les préparions ? » Jésus répondit : « En entrant dans la ville, vous rencontrerez un homme qui porte une cruche d’eau ; allez avec lui, et il vous montrera une grande salle mise en ordre, et là préparez ce qu’il faut pour cette occasion. » C’est ce qu’ils firent. Quand arriva le soir de cette nuit, qui était la dernière de la vie mortelle du Sauveur, voulant instituer le Sacrement de l’Eucharistie, il commença par un acte qui démontre la pureté d’âme avec laquelle chaque chrétien doit s’approcher de ce sacrement de l’amour divin, et qui sert en même temps à freiner l’orgueil des hommes jusqu’à la fin du monde. Alors qu’il était à table avec ses disciples, vers la fin du repas, le Seigneur se leva de table, prit un linge, le ceignit autour des hanches et versa de l’eau dans un bassin, en montrant qu’il voulait laver les pieds des Apôtres. Ils étaient assis et regardaient émerveillés ce que leur Maître voulait faire.
Jésus vint avec de l’eau vers Pierre, s’agenouilla devant lui en lui demandant son pied pour le laver. Horrifié, voyant le Fils de Dieu se comporter comme un pauvre serviteur, le bon Pierre se souvint qu’il l’avait vu peu auparavant resplendissant de lumière. Plein de honte et presque en pleurs, il dit : « Que faites-vous, Maître, que faites-vous ? Vous voulez me laver les pieds ? Cela ne sera jamais, jamais je ne pourrai le permettre. » Le Sauveur lui dit : « Ce que je fais, tu ne le comprends pas maintenant, mais tu le comprendras plus tard. Prends garde de ne pas me contredire ; si je ne te lave pas les pieds, tu n’auras pas part avec moi, » c’est-à-dire tu seras privé de tout mon bien et déshérité. À ces paroles, le bon Pierre fut terriblement troublé. D’une part, il souffrait de devoir être séparé de son Maître et ne voulait pas lui désobéir ni le contrister ; d’autre part, il lui semblait qu’il ne pouvait pas lui permettre un service aussi humble. Mais lorsqu’il comprit que le Sauveur voulait être obéi, il dit : « Ô Seigneur, puisque vous le voulez ainsi, je ne dois ni ne veux résister à votre volonté ; faites de moi tout ce qu’il vous plaît ; s’il ne suffit pas de me laver les pieds, lavez-moi aussi les mains et la tête. »
Après avoir accompli cet acte de profonde humilité, le Sauveur se tourna vers ses Apôtres et leur dit : « Avez-vous vu ce que j’ai fait ? Si moi, qui suis votre Maître et Seigneur, je vous ai lavé les pieds, vous devez faire de même entre vous. » Ces paroles signifient qu’un disciple de Jésus-Christ ne doit jamais refuser de faire la plus humble des œuvres de charité, si elle procure le bien du prochain et la gloire de Dieu.
Pendant ce repas, il se produisit un fait qui concerne particulièrement S. Pierre et S. Jean. On a déjà pu observer que le divin Rédempteur portait une affection particulière à ces deux Apôtres ; l’un pour la sublime dignité à laquelle il était destiné, l’autre pour la pureté singulière de ses mœurs. Ils aimaient leur Sauveur d’un amour intense, et étaient liés entre eux par des liens d’amitié très spéciale, dont le Rédempteur lui-même se montrait heureux, parce qu’elle était fondée sur la vertu.
En effet, pendant qu’il était à table avec ses Apôtres, Jésus prédit au milieu du repas que l’un d’eux le trahirait. À cette annonce, tous furent effrayés, et chacun craignait pour lui-même. Ils commencèrent à se regarder les uns les autres en disant : « Est-ce moi ? » Comme il était plus fervent dans l’amour pour son Maître, Pierre désirait savoir qui était ce traître ; il voulait interroger Jésus, mais le faire en secret, afin que personne des présents ne s’en aperçoive. Il fit un signe à Jean, sans prononcer un mot, pour qu’il pose cette question. Ce cher apôtre avait pris place près de Jésus, et sa position était telle qu’il appuyait sa tête sur sa poitrine, tandis que la tête de Pierre reposait sur celle de Jean. Jean donna satisfaction au désir de son ami avec tant de discrétion qu’aucun des Apôtres ne put entendre ni le signe de Pierre, ni la question de Jean, ni la réponse du Christ ; car personne à ce moment ne savait que le traître était Judas Iscariote, sauf les deux apôtres privilégiés.
CHAPITRE VIII. Jésus prédit le reniement de Pierre et lui assure que sa foi ne faillira pas. — Pierre le suit dans le jardin de Gethsémani. — Il coupe l’oreille de Malchus. — Sa chute et son repentir. An 33 de J.-C.
On approchait du temps de la passion du Sauveur, et la foi des Apôtres devait être mise à rude épreuve. Après le dernier repas, lorsque Jésus s’apprêtait à sortir du cénacle, il se tourna vers ses Apôtres et leur dit : « Cette nuit est très douloureuse pour moi et très dangereuse pour vous tous ; il m’arrivera des choses qui vous scandaliseront, et ce que vous avez connu et ce que vous croyez maintenant à mon sujet ne vous paraîtra plus croyable. C’est pourquoi je vous dis qu’en cette nuit, vous me tournerez tous le dos. » Pierre fut le premier à répondre avec son ardeur habituelle : « Comment ? Nous tous vous tourner le dos ? Même si tous ceux-ci étaient faibles au point de vous abandonner, moi, je ne le ferai jamais ; au contraire, je suis prêt à mourir avec vous. » « Ah ! Simon, Simon, répondit Jésus-Christ, voici que Satan a ourdi contre vous une terrible tentation, et il vous passera au crible comme on fait avec le blé ; et toi-même, cette nuit, avant que le coq ait chanté deux fois, tu me renieras trois fois. » Pierre parlait sous l’influence d’un sentiment ardent d’affection, sans réfléchir qu’en dehors de l’aide divine, l’homme tombe dans des excès déplorables. C’est pourquoi il renouvela les mêmes promesses en disant : « Non, certainement ; il se peut que tous vous renient, mais moi, jamais. » Jésus savait bien que cette présomption de Pierre venait d’un enthousiasme irréfléchi et d’une grande affection pour lui. Il eut pitié de lui et ajouta : « Tu tomberas certainement, Pierre, comme je te l’ai dit ; cependant, ne te décourage pas. J’ai prié pour toi, afin que ta foi ne faiblisse pas ; mais toi, lorsque tu te seras repenti de ta chute, confirme tes frères : Rogavi pro te, ut non deficiat fides tua, et tu aliquando conversus, confirma fratres tuos. » Par ces mots, le divin Sauveur promit une assistance particulière au Chef de son Église, afin que sa foi ne faiblisse jamais, c’est-à-dire qu’en tant que Maître universel, s’agissant de questions concernant la religion et la morale, il a toujours enseigné et il enseignera toujours la vérité, bien qu’il puisse tomber dans la faute dans sa vie privée, comme cela arriva effectivement à Saint Pierre.
Après ce mémorable Repas Eucharistique, à la nuit avancée, Jésus-Christ sortit du cénacle avec les onze Apôtres et se dirigea vers le mont des Oliviers. Arrivé là, il prit avec lui Pierre, Jacques et Jean, et se retira dans un endroit appelé Gethsémani, où il avait l’habitude d’aller prier. Jésus s’éloigna encore des trois Apôtres d’un jet de pierre et se mit à prier. Au moment de se séparer d’eux, il les avertit en disant : « Veillez et priez, car la tentation est proche. » Mais à cause de l’heure tardive et de la fatigue, Pierre et ses compagnons s’assirent pour se reposer et s’endormirent.
Ce fut là une nouvelle faute de Pierre, qui devait suivre les ordres du Sauveur en veillant et en priant. Pendant ce temps, les gardes arrivèrent dans le jardin pour capturer Jésus et l’emmener en prison. Dès qu’il les vit, Pierre courut à leur rencontre pour les éloigner. Voyant qu’ils résistaient, il mit la main à l’épée qu’il avait avec lui, frappa au hasard et coupa l’oreille d’un serviteur du pontife Caïphe, nommé Malchus.
Ce n’étaient pas là les preuves de fidélité que Jésus attendait de Pierre ; jamais il ne lui avait enseigné d’opposer la force à la force. C’était l’effet de son grand amour pour le divin Sauveur mais hors de propos. Jésus dit à Pierre : « Remets l’épée dans le fourreau, car celui qui frappe avec l’épée périra par l’épée. » Puis, mettant en pratique ce qu’il avait tant de fois enseigné dans ses prédications, c’est-à-dire de faire du bien à ceux qui nous font du mal, il prit l’oreille coupée et, avec une grande bonté, la remit avec ses saintes mains à l’endroit de la coupure, si bien qu’elle fut instantanément guérie.
Voyant que toute résistance était inutile et qu’en fait ils couraient un danger pour eux-mêmes, Pierre et les autres Apôtres mirent de côté les promesses faites peu auparavant au Maître, prirent la fuite et abandonnèrent Jésus, le laissant seul entre les mains de ses bourreaux.
Honteux de sa lâcheté, confus et indécis, Pierre ne savait où aller ni où rester. Il suivit Jésus de loin jusque dans la cour du palais de Caïphe, chef de tous les prêtres juifs, et grâce à une recommandation il réussit même à y entrer. Jésus était là à l’intérieur au pouvoir des scribes et des pharisiens, qui l’avaient accusé devant ce tribunal et cherchaient à le faire condamner avec quelque apparence de justice.
À peine entré dans ce lieu, notre Apôtre trouva une foule de gardes qui se réchauffaient là près d’un feu, et il s’assit aussi avec eux. À la clarté des flammes, la servante qui l’avait laissé entrer par faveur, le voyant pensif et mélancolique, commença à soupçonner qu’il était un partisan de Jésus. « Hé, lui dit-elle, tu me sembles un compagnon du Nazaréen, n’est-ce pas ? » L’Apôtre, se voyant découvert devant tant de gens, resta stupéfait ; et craignant pour lui la prison, peut-être même la mort, il perdit tout son courage et répondit : « Femme, tu te trompes, je ne suis pas de ceux-là, je ne connais même pas ce Jésus dont tu parles. » Cela dit, le coq chanta pour la première fois, mais Pierre n’y prêta pas attention.
Après un moment passé en compagnie des gardes, il se dirigea vers le vestibule. Au moment de retourner près du feu, une autre servante, désignant Pierre, se mit aussi à dire aux alentours : « Celui-ci était lui aussi avec Jésus de Nazareth. » Le pauvre disciple, de plus en plus effrayé en entendant ces mots, presque hors de lui, répondit qu’il ne le connaissait pas et qu’il ne l’avait jamais vu. Pierre parlait ainsi, mais sa conscience le lui reprochait et lui faisait sentir un grand remords. Aussi, tout pensif, le regard trouble et le pas incertain, il restait, entrait et sortait sans savoir que faire. Or, un abîme conduit à un autre abîme.
Après quelques instants, un parent de ce Malchus à qui Pierre avait coupé l’oreille le vit et, le fixant bien en face, dit : « C’est certain, celui-ci est l’un des compagnons du Galiléen ! Tu l’es certainement, ton accent te trahit. Et puis, ne t’ai-je pas vu dans le jardin avec lui, lorsque tu as coupé l’oreille de Malchus ? » Se voyant dans une si mauvaise passe, Pierre ne trouva d’autre échappatoire que de jurer avec serment qu’il ne le connaissait pas. Il n’avait pas encore bien prononcé la dernière syllabe, que le coq chanta pour la deuxième fois.
Lorsque le coq chanta la première fois, Pierre n’y avait pas fait attention, mais cette deuxième fois, il prêta attention au nombre de ses dénégations, se rappelant la prédiction de Jésus-Christ qu’il voyait s’accomplir exactement. À ce souvenir, il se trouble, il sent toute l’amertume de son cœur, et en tournant son regard vers le bon Jésus, son regard croisa le sien. Ce regard de Christ fut une action muette, mais en même temps un coup de grâce, qui, à la manière d’une flèche acérée, alla le blesser au cœur, non pour lui donner la mort, mais pour lui rendre la vie[10].
À ce trait de bonté et de miséricorde, secoué comme après un profond sommeil, Pierre sentit son cœur se gonfler et la douleur lui fit verser des larmes. Pour donner libre cours à ses pleurs, il sortit de cet endroit funeste et alla pleurer sa faute, et implora le pardon de la divine miséricorde. L’Évangile nous dit seulement : et egressus Petrus flevit amare (Pierre sortit et pleura amèrement). Le remords de cette chute accompagna le saint Apôtre pendant toute sa vie, et on peut dire que depuis cette heure jusqu’à sa mort, il ne fit que pleurer son péché, en faisant une dure pénitence. On dit qu’il avait toujours sur lui un linge pour s’essuyer les larmes, et que chaque fois qu’il entendait le coq chanter, il sursautait et tremblait, en se rappelant le moment douloureux de sa chute. On dit même que les larmes qui coulaient continuellement lui avaient creusé deux sillons sur les joues. Bienheureux Pierre qui abandonna si vite la faute et en fit une si longue et si dure pénitence ! Bienheureux aussi le chrétien qui, après avoir eu le malheur de suivre Pierre dans la faute, le suit aussi dans le repentir.
CHAPITRE IX. Pierre au sépulcre du Sauveur. — Jésus lui apparaît. — Sur le lac de Tibériade il donne trois signes distincts de son amour pour Jésus qui le constitue effectivement chef et pasteur suprême de l’Église.
Pendant que le divin Sauveur était traîné devant les divers tribunaux et ensuite conduit au Calvaire pour mourir sur la Croix, Pierre ne le perdit pas de vue, car il désirait voir où allait finir ce lugubre spectacle.
Bien que l’Évangile ne le dise pas, il y a des raisons de croire qu’il se trouva en compagnie de son ami Jean aux pieds de la croix. Mais après la mort du Sauveur, le bon Pierre, tout humilié par la manière indigne dont il avait répondu au grand amour de Jésus, pensait continuellement à lui, oppressé par le plus amer des chagrins et des regrets.
Cependant, cette humiliation était précisément ce qui attirait sur Pierre la bienveillance de Jésus. Après sa résurrection, Jésus apparut d’abord à Marie-Madeleine et à d’autres pieuses femmes, car elles seules étaient au sépulcre pour l’embaumer. Après s’être manifesté à elles, il ajouta : « Allez vite, rapportez à mes frères, et en particulier à Pierre, que vous m’avez vu vivant. » Pierre, qui se croyait peut-être déjà oublié par le Maître, en entendant que Jésus lui annonçait à lui personnellement la nouvelle de sa résurrection, se mit à pleurer à chaudes larmes et ne pouvait plus contenir la joie dans son cœur.
Transporté de joie et du désir de voir le Maître ressuscité, il se mit à courir rapidement vers le mont Calvaire en compagnie de son ami Jean. Leur esprit était agité à ce moment par deux sentiments contraires : l’espoir de voir Jésus ressuscité et la peur que le récit des pieuses femmes ne fût que l’effet de leur imagination, car au début, ils ne comprenaient pas comment il devait vraiment ressusciter. Ils couraient ensemble tous les deux, mais Jean, étant plus jeune et plus agile, arriva au tombeau avant Pierre. Cependant, il n’eut pas le courage d’entrer ; il se pencha un peu à l’entrée et vit les bandelettes dans lesquelles le corps de Jésus avait été enveloppé. Peu après, Pierre arriva également et entra immédiatement dans le sépulcre sans s’arrêter à l’extérieur, soit parce qu’il savait qu’il avait une autorité plus grande, soit parce qu’il avait un caractère plus résolu et plus prompt. Il examina le tombeau dans toutes ses parties en cherchant et en touchant tout partout, mais ne vit rien d’autre que les bandelettes et le suaire roulé à part. Suivant ensuite l’exemple de Pierre, Jean entra lui aussi, et ils furent tous deux d’avis que le corps de Jésus avait été enlevé du tombeau et volé. En effet, tout en désirant ardemment que le divin Maître fût ressuscité, ils ne croyaient pas encore à cette consolante vérité. Après avoir fait leurs observations minutieuses dans le tombeau, les deux Apôtres sortirent et retournèrent là d’où ils étaient partis. Mais ce même jour, Jésus voulut lui-même visiter Pierre en personne pour le consoler par sa présence, et il apparut justement à Pierre avant tous les autres Apôtres.
Plusieurs fois, le divin Sauveur se manifesta à ses Apôtres après la résurrection pour les instruire et les affermir dans la foi.
Un jour, pour éviter l’oisiveté et avoir quelque chose à manger, Pierre, Jacques et Jean avec quelques autres disciples allèrent pêcher sur le lac de Tibériade. Ils montèrent tous dans une barque, s’éloignèrent un peu du rivage et jetèrent leurs filets. Ils s’épuisèrent toute la nuit à jeter les filets tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, mais en vain. Déjà le jour se levait et ils n’avaient rien pris. Alors le Seigneur apparut sur le rivage, sans se faire reconnaître, comme s’il voulait acheter des poissons. « Mes enfants, leur dit-il, avez-vous quelque chose à manger ? » « Pueri, numquid pulmentarium habetis ? » « Non, répondirent-ils, nous avons travaillé toute la nuit et nous n’avons rien pris. » Jésus ajouta : « Jetez le filet à droite de la barque et vous en prendrez. » Alors, poussés par un élan intérieur, ou suivant le conseil de Celui qui, à leurs yeux, semblait un pêcheur expérimenté, ils jetèrent le filet. Peu de temps après, ils le trouvèrent rempli de tant et si gros poissons qu’ils purent à peine le tirer dehors. À cette pêche inattendue, Jean se tourna vers celui qui, du rivage, avait donné ce conseil et, ayant reconnu que c’était Jésus, dit immédiatement à Pierre : « C’est le Seigneur. » En entendant ces paroles, Pierre se sentit transporté par son habituel et fervent enthousiasme, et sans autre considération, se jeta à l’eau et nagea jusqu’au rivage pour être le premier à saluer le Divin Maître. Pendant que Pierre s’entretenait familièrement avec Jésus, les autres Apôtres s’approchèrent également en traînant le filet.
À leur arrivée, ils trouvèrent le feu allumé par la main même du Divin Sauveur et du pain préparé avec du poisson qui rôtissait. Les Apôtres, poussés par le désir de voir le Seigneur, laissèrent tous les poissons dans la barque, de sorte que le Sauveur leur dit : « Apportez ici les poissons que vous avez pris maintenant. » Quand Pierre, qui était en toute chose le plus prompt et le plus obéissant, entendit cet ordre, il monta immédiatement dans la barque et tira à terre tout seul le filet plein de 153 gros poissons.
Le texte sacré nous avertit que ce fut un miracle que le filet ne se soit pas déchiré, bien qu’il y eût tant de poissons et d’une telle grosseur. Les saints Pères reconnaissent dans ce fait la divine puissance du chef de l’Église, qui, assisté de manière particulière par l’Esprit Saint, guide la barque mystique pleine d’âmes à conduire aux pieds de Jésus-Christ, qui les a rachetées et les attend au ciel.
Alors Jésus, qui avait lui-même préparé le repas, invita les Apôtres à s’asseoir sur le sable, et distribua à chacun du pain et du poisson qu’il avait grillé. Une fois le repas terminé, Jésus-Christ se remit à discuter avec Saint Pierre et à l’interroger devant ses compagnons de la manière suivante : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu plus que ceux-ci ? » « Oui, répondit Pierre, vous savez que je vous aime. » Jésus lui dit : « Pais mes agneaux. » Puis il lui demanda une autre fois : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? » « Seigneur, répliqua Pierre, vous savez bien que je vous aime. » Jésus répéta : « Pais mes agneaux. » Le Seigneur ajouta : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? » Pierre, en se voyant interrogé trois fois sur le même sujet, fut fortement troublé ; lui revinrent alors à l’esprit les promesses déjà faites autrefois, et qu’il avait violées, et il craignait que Jésus-Christ ne voie dans son cœur un amour bien plus faible que celui qu’il pensait avoir, et qu’il veuille lui prédire d’autres reniements. Doutant alors de ses propres forces, Pierre répondit avec grande humilité : « Seigneur, vous savez tout, vous savez que je vous aime. » Ces mots signifiaient que Pierre était sûr à ce moment de la sincérité de ses sentiments, mais pas tant pour l’avenir. Jésus, qui connaissait son désir de l’aimer et la franchise de ses sentiments, le consola en disant : « Pais mes brebis. » Par ces mots, le Fils de Dieu accomplissait la promesse faite à Saint Pierre de le constituer prince des Apôtres et pierre fondamentale de l’Église. En effet, les agneaux représentent tous les fidèles chrétiens, dispersés dans les différentes parties du monde, qui doivent être soumis au Chef de l’Église, tout comme le sont les agneaux à l’égard de leur pasteur. Les brebis, quant à elles, représentent les évêques et les autres ministres sacrés, qui donnent le pâturage de la doctrine de Jésus-Christ aux fidèles chrétiens, mais toujours d’accord, toujours unis et soumis au suprême pasteur de l’Église, qui est le Pontife romain, le Vicaire de Jésus-Christ sur terre.
S’appuyant sur ces paroles de Jésus-Christ, les catholiques de tous les temps ont toujours cru comme vérité de foi que Saint Pierre a été constitué par Jésus-Christ son Vicaire sur terre et chef visible de toute l’Église, et qu’il a reçu de lui la plénitude de l’autorité sur les autres apôtres et sur tous les fidèles. Cette autorité passa aux Pontifes romains, ses successeurs. Cela a été défini comme un dogme de foi au concile de Florence en l’année 1439 dans les termes suivants : « Nous définissons que le Saint-Siège apostolique et le Pontife romain est le successeur du prince des Apôtres, le véritable Vicaire du Christ et le chef de toute l’Église, le maître et père de tous les chrétiens, et qu’à lui, en la personne du bienheureux Pierre, a été donné par notre Seigneur Jésus-Christ le plein pouvoir de paître, gouverner et diriger l’Église universelle. »
Les saints Pères notent également que le divin Rédempteur a voulu que Pierre dise trois fois publiquement qu’il l’aimait, comme pour réparer le scandale qu’il avait donné en le niant trois fois.
CHAPITRE X. Infaillibilité de S. Pierre et de ses successeurs
Le divin Sauveur a donné à l’Apôtre Pierre le pouvoir suprême dans l’Église, c’est-à-dire le primat d’honneur et de juridiction, que nous verrons bientôt exercé par lui. Mais afin qu’il puisse exercer convenablement cette suprême autorité en tant que chef de l’Église, Jésus-Christ l’a également doté d’un privilège singulier, à savoir l’infaillibilité. Étant donné que c’est l’une des vérités les plus importantes, je pense qu’il est bon d’ajouter quelque chose en confirmation et en déclaration de la doctrine que l’Église catholique a professée à travers tous les temps concernant ce dogme.
Tout d’abord, il est nécessaire de comprendre ce que l’on entend par infaillibilité. On entend par là que le Pape, lorsqu’il parle ex cathedra, c’est-à-dire en remplissant la fonction de Pasteur ou de Docteur de tous les chrétiens, et qu’il juge des choses concernant la foi ou les mœurs, ne peut, grâce à l’assistance divine, tomber dans l’erreur, donc ni se tromper ni tromper les autres. Il convient donc de noter que l’infaillibilité ne s’étend pas à toutes les actions, à toutes les paroles du Pape ; elle ne lui appartient pas en tant qu’homme privé, mais seulement en tant que Chef, Pasteur, Docteur de l’Église, et lorsqu’il définit une doctrine concernant la foi ou la morale et entend obliger tous les fidèles. De plus, il ne faut pas confondre l’infaillibilité avec l’impeccabilité ; en effet, Jésus-Christ a promis l’infaillibilité à Pierre et à ses successeurs dans leur enseignement, mais il n’a pas voulu leur donner le privilège de l’impeccabilité.
Cela étant dit, l’une des vérités les plus certaines est justement celle de l’infaillibilité doctrinale, accordée par Dieu au Chef de l’Église. Les paroles de Jésus-Christ ne peuvent faillir, car ce sont des paroles de Dieu. Or, Jésus-Christ a dit à Pierre : « Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre elle. Je te donnerai les clés du royaume des cieux, et tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié aussi dans les cieux, et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié aussi dans les cieux. »
Selon ces paroles, les portes[11], c’est-à-dire les puissances infernales, parmi lesquelles l’erreur et le mensonge occupent la première place, ne pourront jamais prévaloir ni contre la Pierre, ni contre l’Église qui est fondée sur elle. Mais si Pierre, en tant que Chef de l’Église, se trompait sur des questions de foi et de mœurs, ce serait comme s’il manquait le fondement. S’il venait à manquer, l’édifice, c’est-à-dire l’Église elle-même, s’effondrerait, et ainsi le fondement et la construction devraient être considérés comme vaincus et abattus par les portes infernales. Cela est impossible, après les paroles susmentionnées, sauf à vouloir blasphémer en affirmant que les promesses du divin Fondateur étaient fallacieuses. Chose horrible, non seulement pour les catholiques, mais pour les schismatiques et les hérétiques eux-mêmes.
De plus, Jésus-Christ a assuré que tout ce que Pierre, en tant que Chef de l’Église, liait ou déliait, approuvait ou condamnait sur terre, serait sanctionné dans le ciel. Mais étant donné que l’erreur ne peut être approuvée dans le ciel, il faut nécessairement admettre que le Chef de l’Église est infaillible dans ses jugements et dans ses décisions en tant que Vicaire de Jésus-Christ ; et donc, en tant que maître et juge de tous les fidèles, il n’approuve et ne condamne que ce qui peut être également approuvé ou condamné dans le ciel. Et cela mène à l’infaillibilité.
Cette vérité apparaît encore plus clairement dans les paroles que Jésus-Christ a adressées à Pierre lorsqu’il lui a ordonné de confirmer dans la foi les autres Apôtres : « Simon, Simon, lui dit-il, voici que Satan a demandé à vous passer au crible comme on fait avec le blé ; mais j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne faiblisse pas ; et toi, quand tu seras revenu, confirme tes frères. » Jésus-Christ prie donc pour que la foi du Pape ne faiblisse pas. Or, il est impossible que la prière du Fils de Dieu ne soit pas exaucée. De plus, Jésus a ordonné à Pierre de confirmer dans la foi les autres pasteurs et à ceux-ci de l’écouter ; mais s’il ne lui avait pas communiqué aussi l’infaillibilité doctrinale, il l’aurait mis en danger de les tromper et de les entraîner dans l’abîme de l’erreur. Peut-on croire que Jésus-Christ ait voulu laisser l’Église et son Chef dans un tel danger ?
Enfin, après sa Résurrection, le divin Rédempteur a établi Pierre comme Pasteur suprême de son troupeau, c’est-à-dire de son Église, en confiant à ses soins les agneaux et les brebis : « Pais mes agneaux, lui dit-il, pais mes brebis. » Instruis, enseigne les uns et les autres en les guidant vers les pâturages de vie éternelle. Mais si Pierre se trompait en matière de doctrine, soit par ignorance ou par malice,il serait comme un pasteur qui conduit les agneaux et les brebis à des pâturages empoisonnés qui, au lieu de leur donner la vie, leur donnerait la mort. Mais peut-on supposer que Jésus-Christ, qui a donné tout son être pour sauver ses brebis, ait voulu établir un pasteur semblable ?
Ainsi donc, selon l’Évangile, l’Apôtre Pierre a reçu le don de l’infaillibilité :
I. Parce qu’il est la Pierre fondamentale de l’Église de Jésus-Christ ;
II. Parce que ses jugements doivent être confirmés aussi dans le ciel ;
III. Parce que Jésus-Christ a prié pour son infaillibilité, et sa prière ne peut faillir ;
IV. Parce qu’il doit confirmer dans la foi, paître et gouverner non seulement les simples fidèles, mais aussi les pasteurs eux-mêmes.
Il est utile maintenant d’ajouter qu’avec l’autorité suprême sur toute l’Église, le don de l’infaillibilité est passé de Pierre à ses successeurs, c’est-à-dire aux Papes romains.
Cela aussi est une vérité de foi.
Jésus-Christ, comme nous l’avons vu, a donné un pouvoir plus grand à Saint Pierre et l’a doté de l’infaillibilité, afin de veiller à l’unité et à l’intégrité de la foi chez ses disciples. « Parmi les douze, l’un d’eux est élu, affirme le grand docteur Saint Jérôme, afin que la désignation d’un Chef supprime toute occasion de schisme : Inter duodecim unus eligitur, ut, capite constituto, schismatis tolleretur occasio.[12] » Saint Cyprien a écrit que « le primat est conféré à Pierre afin que l’Église montre qu’elle est une, et une est la chaire de vérité.[13]«
Ceci étant posé, disons que le besoin d’unité et de vérité n’existait pas seulement à l’époque des Apôtres, mais aussi dans les siècles suivants. En fait, ce besoin s’est accru avec l’expansion de l’Église elle-même et avec la disparition des Apôtres, dotés par Jésus-Christ de dons extraordinaires pour la promulgation de l’Évangile. Dans l’intention du divin Sauveur, en effet, l’autorité et l’infaillibilité du premier Pape ne devaient pas cesser à sa mort, mais se transmettre à un autre, en se perpétuant ainsi dans l’Église.
Cette transmission apparaît très clairement surtout dans les paroles de Jésus-Christ à Pierre, par lesquelles il l’établissait comme base et fondement de l’Église. Il est manifeste que le fondement doit durer aussi longtemps que l’édifice, qui ne peut subsister sans cela. Mais l’édifice, qui est l’Église, doit durer jusqu’à la fin du monde, Jésus ayant promis lui-même d’être avec son Église jusqu’à la consommation des siècles : « Et voici, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde. » Donc, le fondement qui est Pierre doit durer jusqu’à la consommation des siècles. Mais puisque Pierre est mort, l’autorité et l’infaillibilité doivent encore subsister en quelqu’un d’autre. Elles subsistent en fait dans ses successeurs sur le Siège de Rome, c’est-à-dire dans les Pontifes romains. Par conséquent, on peut dire que Pierre vit encore et juge dans ses successeurs. C’est ainsi, en effet, que s’exprimaient les légats du Siège Apostolique, aux applaudissements du Concile général d’Éphèse en l’an 431 : « Qui vit et exerce le jugement jusqu’à ce moment, et toujours dans ses successeurs. »
Pour cette raison, dès les premiers siècles de l’Église, quand surgissaient des questions religieuses, on faisait appel à l’Église de Rome, et ses décisions et ses jugements étaient considérés comme règle de foi. Il suffit de rappeler pour preuve les paroles écrites par Saint Irénée, Évêque de Lyon, mort martyr en l’an 202 : « Pour confondre tous ceux qui, de quelque manière que ce soit, par vaine gloire, par cécité ou par malice, se rassemblent en conciliabules, il suffira de leur indiquer la tradition et la foi que la plus grande et la plus ancienne de toutes les églises, l’Église connue dans le monde entier, l’Église romaine, fondée et constituée par les glorieux Apôtres Pierre et Paul, a annoncées aux hommes et transmises jusqu’à nous par le moyen de la succession de ses évêques. En effet, à cette Église, en raison de son prééminent principat, doit recourir chaque Église, c’est-à-dire tous les fidèles, d’où qu’ils soient.[14]«
Pour ce qui est de l’infaillibilité du Pape, nous savons que certains hérétiques, dont les protestants et les soi-disant vieux catholiques, la nient en disant que seul Dieu est infaillible.
Nous ne nions pas que Dieu seul est infaillible par nature, mais nous disons qu’il peut accorder le don de l’infaillibilité même à un homme en l’assistant de telle manière qu’il ne se laisse pas abuser. Dieu seul peut faire de véritables miracles ; et pourtant, nous savons par la Sainte Écriture que de nombreux hommes en ont fait, et des miracles stupéfiants. Ils les ont opérés non par leur propre vertu, mais par la vertu divine qui leur a été communiquée. Ainsi, le Pape n’est pas infaillible par nature, mais par la vertu de Jésus-Christ qui l’a voulu ainsi pour le bien de l’Église.
D’ailleurs, les protestants et leurs partisans, qui croient encore à l’Évangile, ne doivent pas faire autant de bruit, parce que nous, catholiques, nous tenons pour infaillible un homme lorsqu’il fait office de docteur suprême et universel. Ils croient en effet avec nous, sans penser faire tort à Dieu, qu’il y en a au moins quatre, à savoir les Évangélistes Matthieu, Marc, Luc et Jean, qui sont infaillibles. En fait, ils considèrent comme infaillibles tous les écrivains sacrés tant du Nouveau que de l’Ancien Testament. Or, si l’on peut, et même on doit, croire à l’infaillibilité de ces hommes qui nous ont transmis par écrit la parole de Dieu, qu’est-ce qui peut nous empêcher de croire à l’infaillibilité d’un autre homme destiné à la conserver intacte et à l’expliquer au nom de Dieu lui-même ?
La raison elle-même nous suggère qu’il est tout à fait convenable que Jésus-Christ accorde le don de l’infaillibilité à son Vicaire, au Docteur de tous les fidèles. Et quoi ? Si un père sage et aimant a des enfants à instruire, n’est-il pas vrai qu’il choisit le maître le plus savant et le plus sage qu’il puisse trouver ? N’est-il pas vrai aussi que, si ce père pouvait donner à ce maître le don de ne jamais tromper son fils, par ignorance ou par malice, il le lui communiquerait de tout cœur ? Or, tous les hommes, en particulier les chrétiens, sont les enfants de Dieu ; le Pape est leur grand Maître choisi par lui. Or, Dieu pouvait lui conférer le don de ne jamais tomber dans l’erreur lorsqu’il les instruit. Qui donc peut raisonnablement admettre que ce merveilleux Père n’ait pas fait ce que nous ferions nous, misérables ?
Dans tous les siècles, tous les vrais catholiques ont toujours cru en l’infaillibilité du successeur de Pierre. Mais en ces derniers temps se sont levés certains hérétiques pour la contester, et même, en raison de l’absence d’une définition expresse, certains catholiques mal avisés en ont également profité pour la mettre en doute. C’est pourquoi, le 18 juillet 1870, le Concile du Vatican, composé de plus de 700 Évêques présidés par l’immortel Pie IX, a voulu prémunir les fidèles contre toute erreur en définissant solennellement en ces termes l’infaillibilité pontificale comme un dogme de foi : « Nous déclarons que le Pontife romain, lorsqu’il parle ex cathedra, c’est-à-dire en remplissant la fonction de Pasteur et de Docteur de tous les chrétiens, et définit par son autorité apostolique suprême une doctrine sur la foi et les mœurs à tenir par toute l’Église, jouit, en raison de l’assistance divine qui lui a été promise en la personne du Bienheureux Pierre, de l’infaillibilité dont le divin Rédempteur a voulu doter son Église dans la définition des doctrines concernant la foi et les mœurs. Par conséquent, ces décisions du Pape romain sont irréformables en elles-mêmes, et non avec le consentement de l’Église. Si quelqu’un ose contredire cette définition, qu’il soit excommunié. »
Après cette définition, quiconque nie l’infaillibilité pontificale commet une grave désobéissance à l’Église, et s’il persiste dans son erreur, il n’appartient plus à l’Église de Jésus-Christ, et nous devrions l’éviter comme hérétique. « Celui qui n’écoute pas l’Église, dit l’Évangile, qu’il soit pour toi comme un païen et un publicain, » c’est-à-dire excommunié.
CHAPITRE XI. Jésus prédit à S. Pierre la mort sur la croix. — Il promet assistance à l’Église jusqu’à la fin du monde. — Retour des Apôtres au cénacle. An 33 de J.-C.
Quand S. Pierre comprit que les questions répétées du Sauveur n’étaient pas un présage de chute, mais la confirmation de la haute autorité qui lui avait été promise, il fut consolé. Et comme Jésus savait que Pierre tenait beaucoup à glorifier son divin Maître, il voulut lui prédire le genre de supplice par lequel il terminerait sa vie.
C’est pourquoi, immédiatement après les trois déclarations d’amour qu’il lui avait faites, il commença à lui parler ainsi : « En vérité, en vérité, je te le dis, quand tu étais plus jeune, tu te ceignais toi-même et tu allais où tu voulais ; mais quand tu seras vieux, un autre, c’est-à-dire le bourreau, te ceindra, c’est-à-dire te liera, et tu étendras les mains et il te conduira où tu ne veux pas. » Par ces mots, dit l’Évangile, il signifiait de quelle mort Pierre glorifiera Dieu, c’est-à-dire en étant attaché à une croix et en recevant la couronne du martyre. En voyant que Jésus lui donnait une autorité suprême et lui prédisait le martyre à lui seul, Pierre se montra curieux de savoir ce qu’il adviendra de son ami Jean et dit : « Et celui-ci, que deviendra-t-il ? » À quoi Jésus répondit : « Que t’importe ? Si je veux qu’il demeure jusqu’à mon retour, à toi qu’importe ? Toi, fais ce que je te dis et suis-moi. » Alors Pierre adora les décrets du Sauveur et n’osa plus poser d’autres questions à ce sujet.
Jésus-Christ apparut plusieurs fois à Saint Pierre et aux autres Apôtres. Un jour, il se manifesta sur une montagne où plus de 500 disciples étaient présents. À une autre occasion, après leur avoir fait connaître le pouvoir suprême et absolu qu’il avait dans le ciel et sur la terre, il conféra à S. Pierre et à tous les Apôtres le pouvoir de remettre les péchés en disant : « Comme mon Père m’a envoyé, ainsi je vous envoie. Recevez l’Esprit Saint : les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, et ils seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez. Quorum remiseritis peccata, remittuntur eis ; quorum retinueritis, retenta sunt. Allez, prêchez l’Évangile à toutes les créatures ; enseignez-les et baptisez-les au nom du Père, du Fils et de l’Esprit Saint. Qui croira et recevra le baptême sera sauvé, qui ne croira pas sera condamné. J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour le moment vous ne pouvez pas les comprendre. Mais l’Esprit Saint, que je vous enverrai dans quelques jours, vous enseignera toutes choses. Ne perdez pas courage. Vous serez conduits devant les tribunaux, devant les magistrats et même les rois. Ne vous inquiétez pas de ce que vous devrez répondre ; l’Esprit de vérité, que le Père céleste vous enverra en mon nom, mettra les mots dans votre bouche et vous suggérera toutes choses. Toi, Pierre, et vous tous, mes Apôtres, ne pensez pas que je vous laisse orphelins ; non, je serai avec vous tous les jours jusqu’à la fin des siècles : Et ecce ego vobiscum sum omnibus diebus usque ad consummationem saeculi. »
Il dit encore beaucoup de choses à ses Apôtres. Puis, le quarantième jour après sa résurrection, il leur recommanda de ne pas quitter Jérusalem jusqu’à la venue de l’Esprit Saint et les conduisit sur le mont des Oliviers. Là, il les bénit et commença à s’élever en hauteur. Au même moment, une nuée resplendissante apparut qui l’entoura et l’enleva à leur regard.
Les Apôtres avaient encore les yeux tournés vers le ciel, comme ceux qui sont ravis en une douce extase, lorsque deux Anges en apparence humaine, magnifiquement vêtus, s’approchèrent et dirent : « Hommes de Galilée, pourquoi restez-vous ici à regarder le ciel ? Ce Jésus, qui s’éloigne maintenant de vous et monte au ciel, reviendra de la même manière que vous l’avez vu s’élever. » Cela dit, ils disparurent. Alors cette pieuse troupe quitta le mont des Oliviers et rentra à Jérusalem pour attendre la venue de l’Esprit Saint, selon le commandement du divin Sauveur.
CHAPITRE XII. S. Pierre remplace Judas. — Venue de l’Esprit Saint. — Miracle des langues. An 33 de J.-C.
Nous avons jusqu’à présent considéré Pierre seulement dans sa vie privée, mais bientôt nous le verrons parcourir une carrière beaucoup plus glorieuse, après avoir reçu les dons de l’Esprit Saint. Observons maintenant comment il commença à exercer l’autorité de Souverain Pontife, dont il avait été investi par Jésus-Christ.
Après l’ascension du divin Maître, S. Pierre, les Apôtres et de nombreux autres disciples se retirèrent dans le cénacle, qui était une habitation située sur la partie la plus élevée de Jérusalem, appelée mont Sion. Là, au nombre d’environ 120 personnes, avec Marie, la Mère de Jésus, ils passaient leurs journées en prière, attendant la venue de l’Esprit Saint.
Un jour, pendant les fonctions sacrées, Pierre se leva au milieu d’eux, imposa le silence avec la main, et dit : « Frères, il est nécessaire que s’accomplisse ce que l’Esprit Saint a prédit par la bouche du prophète David au sujet de Judas, qui fut le guide de ceux qui arrêtèrent le Divin Maître. Comme vous, il avait été élu au même ministère ; mais il a prévariqué, et avec le prix de ses iniquités, il a acheté un champ ; et il s’est pendu, se déchira par le milieu en versant ses entrailles sur la terre. Le fait est connu de tous les habitants de Jérusalem, et ce champ reçut le nom de Haceldama, c’est-à-dire champ du sang. Or, il a été écrit à son sujet dans le livre des Psaumes : Que sa demeure devienne déserte, et qu’il n’y ait personne qui y habite ; et qu’un autre prenne sa charge[15]. C’est pourquoi il est nécessaire que parmi ceux qui ont été avec nous tout le temps que Jésus-Christ a demeuré avec nous, depuis le baptême de Jean jusqu’à ce jour où, s’éloignant de nous, il est monté au ciel, il est nécessaire, dis-je, qu’on en choisisse un parmi eux, qui soit avec nous témoin de sa résurrection pour l’œuvre à laquelle nous sommes envoyés. »
Tous accueillirent en silence les paroles de Pierre, car tous le considéraient comme le chef de l’Église, élu par Jésus-Christ pour remplir ses fonctions sur la terre. On en présenta deux, à savoir Joseph, appelé aussi Barsabbas (qui avait pour surnom le Juste), et Matthias. Reconnaissant que tous deux étaient égaux en mérite et en vertu, les saints électeurs remirent le choix à Dieu. S’étant prosternés, ils se mirent à prier ainsi : « Seigneur, vous qui connaissez le cœur de tous, montrez-nous lequel des deux vous avez élu pour occuper la place de Judas le prévaricateur. » Dans ce cas, on jugea bon d’utiliser le sort en plus de la prière pour connaître la volonté de Dieu. Actuellement, l’Église n’utilise plus ce moyen, ayant de nombreuses autres voies pour reconnaître ceux qui sont appelés au ministère de l’autel. Ils jetèrent donc le sort et celui-ci tomba sur Matthias, qui fut compté parmi les autres onze Apôtres, et occupa ainsi la douzième place restée vacante.
C’est là le premier acte d’autorité Pontificale exercée par S. Pierre, autorité non seulement d’honneur, mais de juridiction, telle qu’elle a été exercée en tout temps par les Papes qui lui ont succédé.
Nous avons considéré en Pierre une foi vive, une humilité profonde, une obéissance prompte, une charité fervente et généreuse. Mais ces belles qualités étaient encore bien loin de le mettre en mesure d’exercer le grand ministère auquel il était destiné. Il devait vaincre l’obstination des Juifs, détruire l’idolâtrie, convertir des hommes adonnés à tous les vices, et établir sur toute la terre la foi en un Dieu crucifié. Le don de la force, dont Pierre avait besoin pour une si grande entreprise, était réservé à une grâce spéciale de l’Esprit Saint, qui devait descendre sur lui, pour éclairer son esprit et enflammer son cœur par un prodige inouï.
Cet événement miraculeux est rapporté par les Livres Saints comme suit. C’était le jour de la Pentecôte, c’est-à-dire le cinquantième jour après la résurrection de Jésus-Christ, le dixième depuis que Pierre était au cénacle en prière avec les autres disciples. Soudain, à la troisième heure, vers neuf heures du matin, on entendit sur le mont Sion un grand bruit semblable au tonnerre accompagné d’un vent violent. Ce vent envahit la maison où se trouvaient les disciples et la remplit de tous côtés. Pendant que chacun réfléchissait à la cause de ce bruit, voici qu’apparurent des flammes qui allaient se poser sur la tête de chacun des présents comme des langues de feu. Ces flammes étaient le symbole du courage et de la charité enflammée avec lesquels les Apôtres s’apprêtaient à prêcher l’Évangile.
À cet instant, Pierre devint un homme nouveau ; il fut éclairé à tel point qu’il connut les plus hauts mystères, et éprouva en lui-même un courage et une force tels que les plus grandes entreprises lui semblaient insignifiantes.
Ce jour-là, les Juifs célébraient une grande fête à Jérusalem, et très nombreux étaient ceux qui étaient accourus de toutes les parties du monde. Certains d’entre eux parlaient latin, d’autres grec, d’autres égyptien, arabe, syriaque, d’autres encore persan, et ainsi de suite.
Au bruit du vent violent, une multitude de gens de langues et de nations diverses courut autour du cénacle, pour savoir ce qui s’était passé. À cette vue, les Apôtres sortirent et s’approchèrent d’eux pour parler.
C’est alors que commença un miracle jamais entendu jusque-là. En effet, les Apôtres, des rustres au plan humain au point qu’ils savaient à peine la langue du pays, se mirent à parler des grandeurs de Dieu dans les langues de tous ceux qui étaient accourus. Un tel fait remplit les auditeurs d’une grande stupéfaction ; ne sachant comment expliquer ce phénomène, ils se disaient les uns aux autres : « Qu’est-ce que cela ? »
CHAPITRE XIII. Première prédication de Pierre. An 33 de J.-C.
Alors que la plupart admirait l’intervention de la puissance divine, il y avait là aussi quelques malveillants, habitués à mépriser toute chose sainte ; ne sachant plus que dire, ils disaient que les Apôtres étaient ivres. C’était une véritable sottise ridicule, car l’ivresse ne fait pas parler une langue inconnue, mais fait oublier ou maltraiter sa propre langue. C’est alors que Saint Pierre, plein d’une sainte ardeur, commença à prêcher Jésus-Christ pour la première fois.
Au nom de tous les autres Apôtres, il s’avança devant la multitude, leva la main, imposa silence et commença à parler : « Hommes de Judée et vous tous qui habitez Jérusalem, ouvrez les oreilles à mes paroles et vous serez éclairés sur cet événement. Ces hommes ne sont pas du tout ivres comme vous le pensez, car nous ne sommes qu’à la troisième heure du matin, à laquelle nous avons l’habitude d’être à jeun. Bien différente est la cause de ce que vous voyez. Aujourd’hui s’est réalisée chez nous la prophétie du prophète Joël, qui a dit ceci : « Il arrivera dans les derniers jours, dit le Seigneur, que je répandrai mon Esprit sur les hommes ; et vos fils et vos filles prophétiseront ; vos jeunes auront des visions et vos vieux des rêves. En effet, ces jours-là, je répandrai mon esprit sur mes serviteurs et mes servantes, et ils deviendront prophètes, et je ferai des prodiges dans le ciel et sur la terre. Et il arrivera que quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé ». »
« Maintenant, continua Pierre, écoutez, fils de Jacob. Le Seigneur, au nom de qui celui qui croira sera sauvé, est ce Jésus de Nazareth, cet homme grand à qui Dieu rendait témoignage par une multitude de miracles qu’il a opérés, comme vous l’avez vu vous-mêmes. Vous avez fait mourir cet homme par la main des impies et ainsi, sans le savoir, vous avez servi les décrets de Dieu, qui voulait sauver le monde par sa mort. Mais Dieu l’a ressuscité des morts, comme l’avait prédit le prophète David en disant : « Tu ne me laisseras pas dans le tombeau, tu ne permettras pas que ton saint soit soumis à la corruption ». »
« Notez bien, ajouta Pierre, notez, ô Juifs, que David ne voulait pas parler de lui, car vous savez bien qu’il est mort et que son tombeau est resté parmi nous jusqu’à ce jour ; mais étant prophète et sachant que Dieu lui avait promis par serment que de sa descendance naîtrait le Messie, il prophétisa aussi sa résurrection, disant qu’il ne serait pas laissé dans le sépulcre et que son corps ne connaîtrait pas la corruption. Celui-là donc est Jésus de Nazareth, que Dieu a ressuscité des morts, celui dont nous sommes les témoins. Oui, nous l’avons vu revenu à la vie, nous l’avons touché et avons mangé avec lui. »
« Ayant été élevé au ciel par la puissance du Père et ayant reçu de lui l’autorité d’envoyer l’Esprit Saint, il a tenu sa promesse en envoyant sur nous cet Esprit divin, dont vous voyez en nous une preuve si manifeste. Que Jésus soit monté au ciel, David lui-même le dit en ces termes : « Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Assieds-toi à ma droite, jusqu’à ce que j’aie mis tes ennemis sous tes pieds ». Or, vous savez bien que David n’est pas monté au ciel pour régner. C’est Jésus-Christ qui est monté au ciel ; c’est donc à lui, et non à David, que ces paroles étaient adressées. Que tout le peuple d’Israël sache donc que ce Jésus que vous avez crucifié a été établi par Dieu Seigneur de toutes choses, roi et Sauveur de son peuple, et personne ne peut être sauvé sans avoir foi en lui. »
Cette prédication de Pierre aurait dû endurcir l’esprit de ses auditeurs, à qui il reprochait l’énorme délit commis contre la personne du divin Sauveur. Mais c’était Dieu qui parlait par la bouche de son ministre, et c’est pourquoi sa prédication produisit des effets merveilleux. Aussi, agités comme par un feu intérieur, effet de la grâce de Dieu, ils s’écriaient de tous côtés avec un cœur véritablement contrit : « Que devons-nous faire ? » Voyant que la grâce du Seigneur opérait dans leurs cœurs et qu’ils croyaient déjà en Jésus-Christ, S. Pierre leur dit : « Faites pénitence et que chacun reçoive le baptême au nom de Jésus-Christ ; ainsi vous obtiendrez la rémission des péchés et recevrez l’Esprit Saint. »
L’Apôtre continua à instruire cette multitude, encourageant tous à avoir confiance dans la miséricorde et la bonté de Dieu, qui désire le salut des hommes. Le fruit de cette première prédication correspondait à l’ardente charité du prédicateur. Environ 3 000 personnes se convertirent à la foi de Jésus-Christ et furent baptisées par les Apôtres. Ainsi commençaient à s’accomplir les paroles du Sauveur lorsqu’il dit à Pierre que dorénavant il ne serait plus pêcheur de poissons, mais pêcheur d’hommes. Saint Augustin nous assure que Saint Étienne, le protomartyr, fut converti lors de cette prédication.
CHAPITRE XIV. S. Pierre guérit un boiteux. — Son deuxième sermon. An 33 de J.-C.
Peu après cette prédication, à la neuvième heure, c’est-à-dire à trois heures de l’après-midi, Pierre et son ami Jean voulurent remercier Dieu des bienfaits reçus en se rendant au temple ensemble pour prier. Arrivés à une porte du temple appelée « Belle », ils trouvèrent un homme qui boitait des deux pieds depuis sa naissance. Comme il ne pouvait pas se tenir debout, on l’avait transporté là où, pour vivre, il demandait l’aumône à ceux qui venaient dans le lieu saint. Lorsqu’il vit les deux Apôtres près de lui, le malheureux leur demanda la charité, comme il le faisait avec tous. Pierre, inspiré par Dieu, le regarda fixement et lui dit : « Regarde vers nous. » Il regarda, et dans l’espoir d’avoir quelque chose, il ne clignait pas des yeux. Alors Pierre lui dit : « Écoute, ami, je n’ai ni or ni argent à te donner ; ce que j’ai, je te le donne. Au nom de Jésus de Nazareth, lève-toi et marche. » Puis il le prit par la main afin de le relever, comme il avait vu faire par le divin Maître dans des cas similaires. Alors le boiteux sentit ses jambes se renforcer, ses nerfs se raffermir et acquérir des forces comme n’importe quel autre homme en meilleure santé. Se sentant guéri, il fit un saut, se mit à marcher et, sautillant de joie et louant Dieu, entra avec les deux Apôtres dans le temple. Toute la foule, qui avait été témoin du fait et voyait le boiteux marcher par lui-même, ne pouvait que reconnaître dans cette guérison un véritable miracle. Le langage des faits est plus efficace que celui des mots. C’est pourquoi, quand la foule apprit que c’était S. Pierre qui avait rendu la santé à ce misérable, elle se pressa autour de lui et de Jean, désirant tous admirer de leurs propres yeux celui qui savait faire des œuvres si merveilleuses.
C’est là le premier miracle opéré par les Apôtres après l’Ascension de Jésus-Christ, et il convenait qu’il fût fait par Pierre, car il tenait le premier rang dans l’Église. Mais quand Pierre se vit entouré d’une si grande foule, il estima que c’était une belle occasion de rendre à Dieu la gloire qui lui était due et de glorifier en même temps Jésus-Christ, car c’est en son nom que le prodige avait été opéré.
« Fils d’Israël, leur dit-il, pourquoi vous émerveiller de ce fait ? Pourquoi fixez-vous si intensément les yeux sur nous, comme si c’était par notre vertu que nous avons fait marcher cet homme ? Le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Dieu de nos pères, a glorifié son Fils Jésus, ce Jésus que vous avez trahi et renié devant Pilate, qui voulait le relâcher comme innocent. Vous avez donc eu l’audace de renier le Saint et le Juste, et vous avez demandé que soit libéré de la mort Barabbas, voleur et meurtrier, et en reniant le Juste, le Saint, et l’auteur de la vie, vous l’avez fait mourir. Mais Dieu l’a ressuscité des morts, et nous en sommes témoins, car nous l’avons vu plusieurs fois, nous l’avons touché et avons mangé avec lui. Maintenant, en vertu de son nom, par la foi qui vient de lui, cet infirme que vous voyez et connaissez a été guéri ; c’est Jésus qui l’a rendu en parfaite santé devant vous tous. Je sais bien que votre délit et celui de vos chefs, bien qu’il n’ait pas d’excuse suffisante, a été commis par ignorance. Mais Dieu, qui avait fait prédire par ses prophètes que le Messie devait souffrir, a permis que vous puissiez vérifier cela sans le vouloir, de sorte que le décret de la miséricorde de Dieu a eu son accomplissement. Rentrez donc en vous-mêmes et faites pénitence, afin que vos péchés soient effacés et que vous puissiez ensuite vous présenter avec l’assurance de votre salut devant le tribunal de ce même Jésus-Christ que je vous ai prêché, et devant qui nous devrons tous être jugés.
« Tout ceci, poursuivit Pierre, a été prédit par Dieu ; croyez donc à ses prophètes et parmi tous croyez à Moïse, qui est le plus grand d’entre eux. Que dit-il ? « Le Seigneur, dit Moïse, fera surgir un prophète comme moi, et vous croirez en tout ce qu’il vous dira. Quiconque n’écoutera pas ce que dit ce prophète sera éliminé de son peuple. »
« C’est ce que disait Moïse et il parlait de Jésus. Après Moïse, à commencer par Samuel, tous les prophètes qui sont venus ont prédit ce jour et les événements qui se sont produits. Toutes ces choses et les grandes bénédictions qui ont été prédites vous appartiennent. Vous êtes les fils des prophètes, des promesses et des alliances que Dieu fit déjà avec nos pères en disant à Abraham, qui est la souche de la descendance des justes : « En toi et dans ta postérité seront bénies toutes les générations du monde. » Il parlait du Rédempteur, de ce Jésus Fils de Dieu descendant d’Abraham ; ce Jésus que Dieu a ressuscité des morts et qui nous commande de vous prêcher sa parole avant de la prêcher à tout autre peuple, vous apportant par notre intermédiaire la promesse bénie, afin que vous vous convertissiez de vos péchés et ayez la vie éternelle. »
Cette deuxième prédication de S. Pierre fut suivie de très nombreuses conversions à la foi. Cinq mille hommes demandèrent le baptême, si bien que le nombre des convertis après ces deux seules prédications s’élevait déjà à huit mille personnes, sans compter les femmes et les enfants.
CHAPITRE XV. Pierre est mis en prison avec Jean, puis est libéré.
L’ennemi du genre humain, qui voyait son royaume se détruire, chercha à susciter une persécution contre l’Église dès son commencement. Pendant que Pierre prêchait, arrivèrent les prêtres, les magistrats du temple et les sadducéens, qui niaient la résurrection des morts. Ceux-ci se montraient extrêmement furieux parce que Pierre prêchait au peuple la résurrection de Jésus-Christ.
Impatients et pleins de colère, ils interrompirent le discours de Pierre, lui mirent les mains dessus et le conduisirent avec Jean en prison, avec l’intention de discuter avec l’un et l’autre le jour suivant. Mais craignant les protestations du peuple, ils ne leur firent aucun mal.
Le jour venu, tous les principaux de la ville se rassemblèrent, c’est-à-dire que toutes les autorités de la nation se réunirent en conseil pour juger les deux Apôtres, comme s’ils étaient les plus scélérats et les plus redoutables hommes du monde. Au milieu de cette imposante assemblée, on fit entrer Pierre et Jean, et avec eux le boiteux qu’ils avaient guéri.
On leur posa solennellement cette question : « Avec quel pouvoir et au nom de qui avez-vous guéri ce boiteux ? » Alors Pierre, rempli de l’Esprit Saint, avec un courage vraiment digne du chef de l’Église, commença à parler de la manière suivante :
« Princes du peuple, et vous docteurs de la loi, écoutez. Si en ce jour on nous accuse et qu’on nous fait un procès pour une œuvre bonne comme la guérison de cet infirme, sachez tous, et que tout le peuple d’Israël le sache, que celui que vous voyez ici en votre présence, sain et sauf, a obtenu la santé au nom du Seigneur Jésus de Nazareth, celui-là même que vous avez crucifié et que Dieu a fait ressusciter de la mort à la vie. C’est lui la pierre de l’édifice que vous avez rejetée et qui est maintenant devenue la Pierre angulaire. Nul ne peut avoir le salut en dehors de lui, et il n’y a pas sous le ciel d’autre nom donné aux hommes en dehors de celui-ci, par lequel on puisse avoir le salut. »
Cette parole franche et résolue du prince des Apôtres produisit une profonde impression dans l’âme de tous ceux qui composaient l’assemblée, au point que, admirant le courage et l’innocence de Pierre, ils ne savaient à quel parti se rallier. Ils voulaient les punir, mais le grand crédit que le miracle opéré peu auparavant leur avait fait acquérir dans toute la ville faisait craindre de fâcheuses conséquences.
Cependant, voulant prendre une décision, ils firent sortir les deux Apôtres du conseil et convinrent de leur interdire, sous des peines très sévères, de ne plus jamais parler à l’avenir des choses passées, ni de jamais plus nommer Jésus de Nazareth, afin qu’on en vienne même à perdre son souvenir. Mais il est écrit que les efforts des hommes sont inutiles lorsqu’ils sont contraires à la volonté de Dieu.
Lorsque les deux Apôtres furent ramenés au milieu du conseil, ils entendirent cette sévère menace, mais loin de s’effrayer, avec une fermeté et une constance plus grandes qu’auparavant, Pierre répondit :
« Eh bien, décidez vous-mêmes s’il est juste et raisonnable d’obéir à vous plutôt qu’à Dieu. Nous ne pouvons pas ne pas révéler ce que nous avons entendu et vu. »
Alors ces juges, de plus en plus confus, ne sachant ni que répondre ni que faire, prirent la résolution de les renvoyer cette fois-ci sans les punir, leur interdisant seulement de ne plus prêcher Jésus de Nazareth.
À peine laissés libres, Pierre et Jean allèrent immédiatement trouver les autres disciples, qui étaient en grande inquiétude à cause de leur emprisonnement. Mais lorsqu’ils entendirent le récit de ce qui s’était passé, chacun remercia Dieu, le priant de vouloir donner force et vertu pour prêcher la divine parole face à n’importe quel danger.
Si les chrétiens d’aujourd’hui avaient tous le courage des fidèles des premiers temps et de surmonter toute forme de respect humain en professant sans peur leur foi, on ne verrait certainement pas tant de mépris pour notre sainte religion, et peut-être beaucoup de ceux qui cherchent à tourner en dérision la religion et les ministres sacrés seraient contraints de la vénérer ainsi que ses ministres.
CHAPITRE XVI. Vie des premiers Chrétiens. — Le fait d’Ananie et Saphire. — Miracles de S. Pierre. An 34 de Jésus-Christ.
Grâce aux prédications de S. Pierre et au zèle des autres Apôtres, le nombre des fidèles avait considérablement augmenté.
Aux jours fixés, ils se rassemblaient pour les fonctions sacrées. Et la Sainte Écriture dit précisément que ces fidèles étaient persévérants dans la prière, dans l’écoute de la parole de Dieu et dans la réception fréquente de la sainte communion, au point qu’ils formaient tous un seul cœur et une seule âme pour aimer et servir Dieu Créateur.
Beaucoup d’entre eux, désireux de détacher entièrement leur cœur des biens de la terre et de penser uniquement au ciel, vendaient leurs biens et les apportaient aux pieds des Apôtres, afin qu’ils en fassent le meilleur usage en faveur des pauvres. La Sainte Écriture fait un éloge spécial d’un certain Joseph, surnommé Barnabé, qui fut ensuite le fidèle compagnon de S. Paul Apôtre. Celui-ci vendit un champ qu’il possédait et en apporta généreusement le prix entier aux Apôtres. Beaucoup, suivant son exemple, se disputaient pour donner signe de leur détachement des choses terrestres, de sorte qu’en peu de temps ces fidèles formaient une seule famille, dont Pierre était le chef visible. Parmi eux, il n’y avait pas de pauvres, car les riches partageaient leurs biens avec les nécessiteux.
Cependant, même en ces temps heureux, il y eut des fraudeurs, guidés par un esprit d’hypocrisie, qui tentèrent de tromper S. Pierre et de mentir à l’Esprit Saint. Ce qui eut les conséquences les plus funestes. Voici comment le texte sacré nous expose le terrible événement.
Un certain Ananie et sa femme Saphire firent à Dieu la promesse de vendre un de leurs biens et, comme les autres fidèles, d’en apporter le prix aux Apôtres afin qu’ils le distribuent selon les divers besoins. Ils exécutèrent ponctuellement la première partie de la promesse, mais l’amour de l’or les conduisit à violer la seconde.
Ils étaient libres de garder leur champ ou son prix, mais ayant fait la promesse, ils étaient obligés de la maintenir, car les choses consacrées à Dieu ou à l’Église deviennent sacrées et inviolables.
S’étant mis d’accord entre eux, ils retinrent pour eux une partie de la somme et apportèrent l’autre à S. Pierre, avec l’intention de lui faire croire que c’était la somme entière tirée de la vente. Pierre eut une révélation spéciale de la tromperie et dès qu’Ananie comparut devant lui, sans lui laisser le temps de prononcer un mot, il se mit à le réprimander sur un ton d’autorité en disant : « Pourquoi t’es-tu laissé séduire par l’esprit de Satan jusqu’à mentir à l’Esprit Saint, en retenant une partie du prix de ton champ ? N’était-il pas ta propriété avant de le vendre ? Et après l’avoir vendu, est-ce que toute la somme reçue n’était pas à ta disposition ? Pourquoi donc as-tu conçu ce malheureux dessein ? Sache bien que tu as menti non pas aux hommes, mais à Dieu. » À ce ton de voix, à ces paroles, Ananie tomba mort sur-le-champ, comme frappé par la foudre.
À peine trois heures plus tard, Saphire vint également se présenter à Pierre, sans rien savoir de la malheureuse fin de son mari. L’Apôtre eut plus de compassion pour elle et voulut lui donner le temps de se repentir en lui demandant si cette somme était le produit entier de la vente de ce champ. La femme, avec une intrépidité et une audace égales à celles d’Ananie, confirma par un autre mensonge le mensonge de son mari. Reprise par S. Pierre avec le même zèle et la même force, elle tomba également sur-le-champ et expira. Il est bon d’espérer qu’un tel châtiment temporel aura contribué à leur épargner le châtiment éternel dans l’autre vie. Ce châtiment exemplaire était nécessaire pour inculquer la vénération pour le christianisme à tous ceux qui venaient à la foi et pour enseigner le respect envers le prince des Apôtres, et aussi pour donner un exemple de la manière terrible dont Dieu punit le parjure et nous enseigner à être fidèles aux promesses faites à Dieu.
Ce fait, conjointement avec les nombreux miracles que Pierre opérait, fit que les fidèles redoublaient de ferveur et que la renommée de ses vertus s’étendait de plus en plus.
Tous les Apôtres opéraient des miracles. Un malade qui avait été en contact avec l’un des Apôtres était immédiatement guéri. S. Pierre se distinguait cependant au-dessus de tous les autres. La confiance que tous avaient en lui et en ses vertus était telle que de toutes parts, même de pays lointains, on venait à Jérusalem pour être témoin de ses miracles. Parfois il arrivait qu’il était entouré d’une telle foule de boiteux et de malades qu’il n’était plus possible de l’approcher. C’est pourquoi ils portaient les malades sur des lits dans les places publiques et dans les rues, pour qu’au moins l’ombre du corps de Pierre parvînt à les toucher quand il passait, ce qui était suffisant pour guérir toute espèce de maladie. Saint Augustin assure qu’un mort, sur lequel était passée l’ombre de Pierre, ressuscita immédiatement.
Les Saints Pères voient dans ce fait l’accomplissement de la promesse du Rédempteur à ses Apôtres, quand il disait qu’ils feraient des miracles même plus grands que ceux qu’il avait jugé bon de faire durant sa vie mortelle[16].
CHAPITRE XVII. S. Pierre de nouveau mis en prison. — Il est libéré par un ange. An 34 de Jésus-Christ.
L’Église de Jésus-Christ gagnait chaque jour de nouveaux fidèles. La multitude des miracles, associée à la vie sainte de ces premiers chrétiens, faisait en sorte que des personnes de tout rang, âge et condition couraient en foule pour demander le Baptême et assurer ainsi leur salut éternel. Mais le prince des prêtres et les sadducéens étaient rongés de colère et de jalousie ; ne sachant quel moyen utiliser pour empêcher la propagation de l’Évangile, ils prirent Pierre et les autres Apôtres et les enfermèrent en prison. Mais Dieu, pour montrer une fois de plus que les projets des hommes sont vains lorsqu’ils sont contraires aux volontés du Ciel, et qu’Il peut faire ce qu’Il veut et quand Il le veut, envoya cette même nuit un ange qui ouvrit les portes de la prison, les tira dehors en leur disant : « Au nom de Dieu, allez et prêchez avec assurance dans le temple, en présence du peuple, les paroles de la vie éternelle. N’ayez peur ni des ordres ni des menaces des hommes. »
Voyant qu’ils étaient si prodigieusement favorisés et défendus par Dieu, les Apôtres exécutèrent l’ordre reçu en se rendant de bon matin au temple pour prêcher et instruire le peuple. Le prince des prêtres, qui désirait punir sévèrement les Apôtres, et pour donner plus de solennité au procès, convoqua le Sanhédrin, les anciens, les scribes et tous ceux qui avaient quelque autorité sur le peuple. Puis il envoya chercher les Apôtres pour qu’ils soient conduits là depuis la prison.
Les ministres, c’est-à-dire les sbires, obéirent aux ordres reçus. Ils allèrent, ouvrirent la prison, entrèrent et n’y trouvèrent âme qui vive. Ils firent immédiatement retour à l’assemblée et, pleins d’étonnement, annoncèrent la chose ainsi : « Nous avons trouvé la prison fermée et gardée avec diligence ; les gardes étaient fidèlement à leur poste, mais en entrant nous n’avons trouvé personne. » En entendant cela, ils ne savaient plus à quel parti se rallier.
Pendant qu’ils se consultaient sur ce qu’il fallait faire, survint un homme qui dit : « Ne le savez-vous pas ? Ces hommes que vous avez mis en prison hier sont maintenant dans le temple à prêcher avec plus de ferveur qu’auparavant. » Alors ils se sentirent plus que jamais brûler de rage contre les Apôtres, mais la peur de s’attirer l’inimitié du peuple les retint, car ils risquaient d’être lapidés.
Le préfet du temple se proposa de régler lui-même cette affaire par le meilleur moyen possible. Il alla là où se trouvaient les prédicateurs et, avec de bonnes manières, sans user de violence, les invita à venir avec lui et les conduisit au milieu de l’assemblée.
Le grand prêtre s’adressa à eux en disant : « Il y a quelques jours à peine, nous vous avons strictement interdit de parler de ce Jésus de Nazareth, et pendant ce temps vous avez rempli la ville de cette nouvelle doctrine. Il semble que vous voulez nous faire porter la responsabilité de la mort de cet homme et nous faire haïr par tout le monde comme coupables de son sang. Comment osez-vous faire cela ? »
« Nous pensons avoir très bien agi, répondit Pierre au nom des autres Apôtres, car il faut plutôt obéir à Dieu qu’aux hommes. Ce que nous prêchons est une vérité mise dans notre bouche par Dieu, et nous n’avons pas peur de vous le dire en cette vénérable assemblée. » Ici Pierre répéta ce qu’il avait dit d’autres fois concernant la vie, la passion et la mort du Sauveur, concluant toujours qu’il leur était impossible de se taire sur des choses qui devaient être prêchées selon les ordres reçus de Dieu.
À ces paroles prononcées avec tant de fermeté par les Apôtres, et n’ayant rien à leur opposer, ils étaient rongés de colère et pensaient déjà à les faire mourir. Mais ils furent dissuadés par un certain Gamaliel, qui était l’un des docteurs de la loi réunis dans la salle. Celui-ci, ayant bien considéré chaque chose, fit sortir les Apôtres pour un bref moment, puis, se levant, dit en pleine assemblée : « Hommes d’Israël, faites bien attention à ce que vous allez faire à l’égard de ces hommes ; car si tout cela est l’œuvre des hommes, elle tombera d’elle-même, comme cela est arrivé avec tant d’autres, mais si l’œuvre est de Dieu, pourrez-vous l’empêcher et la détruire, ou voulez-vous vous opposer à Dieu ? » Toute l’assemblée se calma et suivit son conseil.
Après avoir fait rentrer les Apôtres, ils les firent d’abord battre de verges, puis ils leur ordonnèrent de ne plus parler absolument de Jésus-Christ. Mais ils partirent du conseil remplis de joie, parce qu’ils avaient été jugés dignes de souffrir quelque chose pour le nom de Jésus-Christ.
CHAPITRE XVIII. Élection des sept diacres. — S. Pierre résiste à la persécution de Jérusalem. — Il va en Samarie. — Son premier affrontement avec Simon le Magicien. An 35 de Jésus-Christ.
La multitude des fidèles qui embrassaient la foi occupait tellement le zèle des Apôtres, qu’ils devaient s’occuper de la prédication de la parole divine, de l’instruction des nouveaux convertis, de la prière, de l’administration des sacrements, et ne pouvaient plus s’occuper des affaires temporelles. Cela causait du mécontentement chez certains chrétiens, comme s’ils étaient tenus en peu de considération ou méprisés dans la distribution des subsides. Informés de la situation, saint Pierre et les autres Apôtres décidèrent d’y remédier.
Ils convoquèrent une nombreuse assemblée de fidèles et, leur faisant comprendre qu’ils ne devaient pas négliger les choses de leur ministère sacré pour s’occuper des aides temporelles, proposèrent l’élection de sept diacres, connus pour leur zèle et leur vertu. Ils s’occuperaient de l’administration de certains rites sacrés, comme l’administration du Baptême et de l’Eucharistie, et veilleraient en même temps à la distribution des aumônes et des autres tâches matérielles.
Tous approuvèrent ce projet. Alors saint Pierre et les autres Apôtres imposèrent les mains aux nouveaux élus et leur fixèrent les tâches à accomplir. Avec l’ajout de ces sept diacres, ils avaient pourvu aux besoins temporels et aussi multiplié les ouvriers évangéliques, ainsi que les conversions. Parmi les sept diacres, il y avait le célèbre saint Étienne, qui fut tué par lapidation hors de la ville pour son intrépidité à défendre la vérité de l’Évangile, Il est communément appelé Protomartyr, c’est-à-dire le premier martyr qui a donné sa vie pour la foi après Jésus-Christ. La mort de saint Étienne fut le début d’une grande persécution suscitée par les Juifs contre tous les disciples de Jésus-Christ, ce qui obligea les fidèles à se disperser ici et là dans diverses villes et dans différents pays.
Pierre et les autres Apôtres restèrent à Jérusalem, autant pour confirmer les fidèles dans la foi que pour maintenir un lien vivant avec ceux qui étaient dispersés dans d’autres pays. Afin d’éviter la fureur des Juifs, il se tenait caché, connu seulement des disciples de l’Évangile, sortant néanmoins de sa demeure secrète lorsqu’il en voyait la nécessité. Pendant ce temps, un édit de l’empereur Tibère Auguste en faveur des chrétiens et la conversion de saint Paul mirent fin à la persécution. Et c’est alors que l’on apprit comment la providence de Dieu ne permet aucun mal sans en tirer du bien ; elle se servit en effet de la persécution pour diffuser l’Évangile dans d’autres lieux, et l’on peut dire que chaque fidèle était un prédicateur de Jésus-Christ dans tous les lieux où il allait se réfugier. Parmi ceux qui furent contraints de fuir Jérusalem, il y avait l’un des sept diacres nommé Philippe.
Celui-ci alla dans la ville de Samarie, où il fit de nombreuses conversions par sa prédication et par ses miracles. Lorsque la nouvelle parvint à Jérusalem qu’un nombre extraordinaire de Samaritains étaient venus à la foi, les Apôtres décidèrent de leur envoyer quelques-uns d’entre eux pour administrer le Sacrement de la Confirmation et suppléer à ceux que les Diacres n’avaient pas l’autorité d’administrer. Pierre et Jean furent désignés pour cette mission : Pierre parce que, en tant que chef de l’Église, il recevrait dans son sein cette nation étrangère et unirait les Samaritains aux Juifs ; Jean ensuite comme ami spécial de saint Pierre et célèbre parmi les autres pour ses miracles et sa sainteté.
Il y avait en Samarie un certain Simon de Gitton, surnommé le Magicien, c’est-à-dire sorcier. Celui-ci, à force de balivernes et d’enchantements, avait trompé beaucoup de gens, se vantant d’être quelque chose d’extraordinaire. De façon blasphématoire, il affirmait qu’il était la vertu de Dieu, celle qu’on nomme la grande. Le peuple semblait fou de lui et lui courait après, l’acclamant presque comme un être divin. Un jour, pendant la prédication de Philippe, il se laissa émouvoir et demanda le Baptême pour opérer lui aussi les merveilles que les fidèles faisaient généralement après avoir reçu ce Sacrement.
Arrivés là, Pierre et Jean se mirent à administrer le Sacrement de la Confirmation, imposant les mains comme le font les Évêques aujourd’hui. En voyant qu’avec l’imposition des mains ils recevaient aussi le don des langues et celui de faire des miracles, Simon pensa que ce serait pour lui une grande chance s’il pouvait faire les mêmes choses. S’approchant de Pierre, il sortit une bourse d’argent et la lui offrit, le priant de lui accorder aussi le pouvoir de faire des miracles et de donner l’Esprit Saint à ceux à qui il imposerait les mains.
Saint Pierre, vivement indigné par une telle impiété, s’adressa à lui en lui disant : « Scélérat, que ton argent périsse avec toi, car tu as cru que l’on pouvait acheter les dons de l’Esprit Saint avec de l’argent. Hâte-toi de faire pénitence pour cette faute et prie Dieu qu’il veuille te donner le pardon. »
Craignant que ce qui était arrivé à Ananie et à Saphire ne lui arrive, Simon répondit tout effrayé : « C’est vrai, priez aussi pour moi afin que cette menace ne se réalise pas en moi. » Ces paroles semblent montrer qu’il était repentant, mais ce n’était pas le cas. Il ne pria pas les Apôtres de lui obtenir la miséricorde de Dieu, mais de détourner le fléau loin de lui. Ayant surmonté la peur du châtiment, il redevint ce qu’il était auparavant, c’est-à-dire magicien, séducteur, ami du démon. Nous le verrons dans d’autres affrontements avec Pierre.
Après avoir administré le Sacrement de la Confirmation aux nouveaux fidèles de Samarie et les avoir renforcés dans la foi qu’ils avaient reçue peu auparavant, les deux Apôtres Pierre et Jean leur donnèrent le salut de paix et partirent de cette ville. Ils passèrent dans de nombreux lieux en prêchant Jésus-Christ, considérant que toute fatigue est peu de chose si elle contribue à propager l’Évangile et à gagner des âmes pour le ciel.
CHAPITRE XIX. S. Pierre fonde le siège d’Antioche ; il retourne à Jérusalem. — Il est visité par saint Paul. An 36 de Jésus-Christ.
De retour de la Samarie, S. Pierre demeura quelque temps à Jérusalem, puis alla prêcher la grâce du Seigneur dans divers pays. Alors qu’il visitait les églises qui se fondaient ici et là avec un zèle digne du prince des Apôtres, il apprit que Simon le Magicien s’était rendu de Samarie à Antioche pour y répandre ses impostures. Il résolut alors de se rendre dans cette ville pour dissiper les erreurs de cet ennemi de Dieu et des hommes. Arrivé dans cette capitale, il se mit immédiatement à prêcher l’Évangile avec grand zèle, et réussit à convertir un tel nombre de gens à la foi, que les fidèles commencèrent là à être appelés chrétiens, c’est-à-dire disciples de Jésus-Christ.
Parmi les personnages illustres qui se convertirent à la prédication de saint Pierre, il y avait saint Évode. À l’arrivée de Pierre, il l’invita chez lui, et le saint Apôtre s’attacha à lui, lui procura l’instruction nécessaire et, le voyant orné des vertus nécessaires, le consacra prêtre, puis évêque, afin qu’il fût son vicaire en son absence, et qu’il lui succédât ensuite sur le siège épiscopal.
Lorsque Pierre voulait commencer la prédication dans cette ville, il rencontrait un grave obstacle de la part du gouverneur, qui était un prince nommé Théophile. Celui-ci fit mettre en prison le saint Apôtre comme inventeur d’une religion contraire à la religion de l’État. Il voulut donc en venir à une dispute sur les choses qu’il prêchait, et quand il l’entendit dire que Jésus-Christ, par amour pour les hommes, était mort sur la croix, il dit : « C’est un fou, il ne faut plus l’écouter. » Pour le faire considérer comme tel, il lui fit couper les cheveux par moitié pour se moquer de lui, en forme de cercle autour de la tête comme une couronne. Ce qui fut alors fait par mépris, les ecclésiastiques l’utilisent maintenant par honneur, et cela s’appelle la cléricale ou tonsure, qui rappelle la couronne d’épines placée sur la tête du Divin Sauveur.
Lorsque Pierre se vit traité de la sorte, il pria le gouverneur de bien vouloir l’écouter une fois de plus. Cela lui ayant été accordé, Pierre lui dit : « Tu te scandalises, Théophile, en entendant dire que le Dieu que j’adore est mort sur la croix. Je t’avais déjà dit qu’il s’était fait homme, et étant homme, tu ne devrais pas t’étonner qu’il soit mort, car mourir est propre à l’homme. Sache d’autre part qu’il est mort sur la croix de sa propre volonté, car par sa mort il voulait donner la vie à tous les hommes en faisant la paix entre son Éternel Père et le genre humain. Mais tout comme je te dis qu’il est mort, je t’assure qu’il est ressuscité par sa propre vertu, après avoir ressuscité beaucoup d’autres morts. » En entendant dire qu’il avait fait ressusciter des morts, Théophile se calma et ajouta d’un air étonné : « Tu dis que le Dieu que tu adores a ressuscité des morts ; si tu fais maintenant ressusciter en son nom un de mes fils, qui est mort il y a quelques jours, je croirai à ce que tu me prêches. » L’Apôtre accepta l’invitation, alla au tombeau du jeune homme et, en présence de beaucoup de monde, fit une prière et au nom de Jésus-Christ le rappela à la vie[17]. À cause de cela, le gouverneur et toute la ville crurent en Jésus-Christ.
Théophile devint bientôt un fervent chrétien et, en signe d’estime et de vénération envers saint Pierre, il lui offrit sa maison pour qu’il en fasse l’usage qu’il jugerait bon. Ce bâtiment fut transformé en église, où le peuple se rassemblait pour assister au sacrifice divin et pour entendre les prêches du saint Apôtre. Afin de pouvoir l’écouter avec plus de commodité et de profit, ils lui élevèrent là une chaire d’où le saint donnait les leçons sacrées.
Il est bon de noter ici que saint Pierre résidait pendant trois ans, autant que possible, à Jérusalem, la capitale de la Palestine, où les Juifs pouvaient plus facilement avoir des relations avec lui. L’année trente-six de Jésus-Christ, à cause de la persécution de Jérusalem et pour préparer le chemin à la conversion des Gentils, il vint établir son siège à Antioche, c’est-à-dire qu’il choisit la ville d’Antioche comme sa résidence ordinaire et comme centre de communion avec les autres Églises chrétiennes.
Pierre gouverna cette Église d’Antioche pendant sept ans, jusqu’au moment où il transféra son siège à Rome sous l’inspiration de Dieu, comme nous le raconterons en temps voulu.
L’établissement du Saint-Siège à Antioche est raconté en particulier par Eusèbe de Césarée, S. Jérôme, S. Léon le Grand et par un grand nombre d’écrivains ecclésiastiques. L’Église catholique célèbre cet événement avec une solennité particulière le 22 février.
Pendant que Saint Pierre se rendait d’Antioche à Jérusalem, il reçut une visite qui lui apporta certainement un grand réconfort. S. Paul, qui avait été converti à la foi par un miracle éclatant, bien qu’instruit par Jésus-Christ et envoyé par lui prêcher l’Évangile, voulut néanmoins se rendre auprès de S. Pierre pour vénérer en lui le chef de l’Église et recevoir de lui les conseils et les instructions utiles pour lui. S. Paul resta à Jérusalem avec le prince des Apôtres pendant quinze jours. Ce temps lui suffit, car en plus des révélations reçues de Jésus-Christ, il avait passé sa vie à étudier les saintes Écritures et, après sa conversion, il s’était inlassablement consacré à la méditation et à la prédication de la parole de Dieu.
CHAPITRE XX. Saint Pierre visite plusieurs Églises. — Il guérit Énée le paralytique. — Il ressuscite la défunte Tabitha. An 38 de J.-C.
Saint Pierre avait été chargé par le divin Sauveur de conserver dans la foi tous les chrétiens. Comme les Églises se multipliaient ici et là par l’action des Apôtres, des Diacres et d’autres disciples, Saint Pierre allait visiter personnellement les Églises qui avaient déjà été fondées et qui étaient en train de l’être, afin de maintenir l’unité de la foi et pour exercer le pouvoir suprême qui lui avait été conféré par le Sauveur, tout en gardant sa résidence ordinaire à Antioche. Dans un lieu, il confirmait les fidèles dans la foi, ailleurs il consolait ceux qui avaient souffert lors de la persécution passée, ici il administrait le sacrement de la Confirmation, partout il ordonnait des pasteurs et des évêques, qui, après son départ, continueraient à prendre soin des églises et du troupeau de Jésus-Christ.
Passant d’une ville à l’autre, il arriva chez les saints qui habitaient à Lydda, une ville située à environ vingt milles de Jérusalem. Les chrétiens des premiers temps étaient appelés saints à cause de la vie vertueuse et mortifiée qu’ils menaient, et ce nom devrait pouvoir désigner les chrétiens d’aujourd’hui qui, à l’instar de ceux-là, sont appelés à la sainteté.
Arrivé aux portes de la ville de Lydda, Pierre rencontra un paralytique nommé Énée. Celui-ci était frappé de paralysie et complètement immobile dans ses membres, et depuis huit ans il ne s’était plus levé de son lit. Dès qu’il le vit, sans être prié, Pierre s’adressa à lui et lui dit : « Énée, le Seigneur Jésus-Christ t’a guéri ; lève-toi et refais ton lit. » Énée se leva en bonne santé et robuste comme s’il n’avait jamais été malade. Beaucoup de gens étaient présents à ce miracle, et la nouvelle se répandit rapidement dans toute la ville et dans le pays voisin appelé Saron. Tous les habitants, poussés par la bonté divine qui manifestait de manière sensible des signes de sa puissance infinie, crurent en Jésus-Christ et entrèrent dans le sein de l’Église.
À peu de distance de Lydda se trouvait Joppé, une autre ville située sur les rives de la mer Méditerranée. Là vivait une veuve chrétienne nommée Tabitha, qui, par ses aumônes et de nombreuses œuvres de charité, était universellement appelée la mère des pauvres. Il arriva en ces jours qu’elle tomba malade et, après une brève maladie, mourut, laissant tous dans une profonde douleur. Selon l’usage de ces temps, les femmes lavèrent son corps et le placèrent sur la terrasse avant de faire l’enterrement. Or, en raison de la proximité de Lydda, la nouvelle du miracle de la guérison d’Énée s’étant répandue à Joppé, deux hommes furent envoyés là pour prier Pierre de vouloir venir voir la défunte Tabitha. Ayant entendu parler de la mort de cette vertueuse disciple de Jésus-Christ et du désir des chrétiens qu’il aille là pour la ressusciter, Pierre partit immédiatement avec eux. Arrivés à Joppé, les disciples le conduisirent sur la terrasse et, lui montrant le corps de Tabitha, lui racontèrent les nombreuses bonnes œuvres de cette sainte femme et le priaient de vouloir la ressusciter.
Dès que les pauvres et les veuves apprirent la venue de Pierre, ils coururent en pleurant pour le prier de vouloir leur rendre leur bonne mère. « Vois, dit l’une d’elles, ce vêtement est l’œuvre de sa charité » ; « cette tunique, les sandales de ce garçon, ajoutaient d’autres, lui ont toutes été données par elle. » À la vue de tant de gens qui pleuraient, de tant d’œuvres de charité qu’on racontait, Pierre fut tout ému. Il se leva et, se tournant vers le corps, il dit : « Tabitha, je te le commande au nom de Dieu, lève-toi. » Tabitha, à cet instant, ouvrit les yeux et, ayant vu Pierre, s’assit et se mit à lui parler. Pierre, la prenant par la main, la releva et, ayant appelé les disciples, leur restitua cette mère tant désirée, saine et sauve. Une immense jubilation s’éleva dans toute la maison ; de toutes parts, on pleurait de joie, car ces bons chrétiens avaient l’impression d’avoir retrouvé un trésor en cette femme qui était véritablement la consolation de tous. Cet événement enseigne aux pauvres à être reconnaissants envers ceux qui leur tendent la main. Aux riches il apprend ce que signifie être miséricordieux et généreux envers les pauvres.
CHAPITRE XXI. Dieu révèle à S. Pierre la vocation des Gentils. — Il va à Césarée et baptise la famille du centurion Corneille. An 39 de J.-C.
Dieu avait plusieurs fois fait prédire par ses prophètes qu’à la venue du Messie toutes les nations seraient appelées à la connaissance du vrai Dieu.
Le divin Sauveur avait donné lui-même l’ordre exprès à ses Apôtres, en disant : « Allez, enseignez toutes les nations. » Même les prédicateurs de l’Évangile avaient déjà reçu quelques non-Juifs à la foi, comme ils l’avaient fait pour l’Eunuque de la reine Candace et pour Théophile, le gouverneur d’Antioche. Mais c’étaient des cas particuliers. Jusqu’alors les Apôtres avaient presque exclusivement prêché l’Évangile aux Juifs, attendant du Seigneur un avis spécial concernant le moment où ils devaient sans exception recevoir à la foi aussi les gentils et les païens. Une telle révélation devait certainement être faite à Saint Pierre, chef de l’Église. Voici comment le texte sacré expose cet événement mémorable.
À Césarée, ville de Palestine, habitait un certain Corneille, centurion, c’est-à-dire officier d’une cohorte, corps de 100 soldats, qui appartenait à la légion italique, ainsi appelée parce qu’elle était composée de soldats italiens.
La Sainte Écriture fait son éloge en disant qu’il était un homme religieux et craignant Dieu. Ces mots signifient qu’il était païen, mais qu’il avait abandonné l’idolâtrie dans laquelle il était né, adorait le vrai Dieu, faisait de nombreuses aumônes et prières, et vivait religieusement selon la droite raison.
Dieu, infiniment miséricordieux, qui ne manque jamais, par sa grâce, de venir en aide à ceux qui font ce qu’ils peuvent de leur côté, envoya un ange à Corneille pour l’instruire sur ce qu’il devait faire. Ce bon soldat était en train de prier quand il vit apparaître devant lui un ange sous l’apparence d’un homme vêtu de blanc. « Corneille », dit l’ange. Pris de peur, il fixa sur lui son regard en disant : « Qui êtes-vous, Seigneur ; que voulez-vous ? » Alors l’ange lui dit : « Dieu s’est souvenu de tes aumônes ; tes prières sont parvenues à son trône, et pour satisfaire tes désirs, il m’a envoyé pour t’indiquer le chemin du salut. Envoie quelqu’un à Joppé pour chercher un certain Simon surnommé Pierre. Il demeure chez un autre Simon, tanneur de peaux, qui a sa maison près de la mer. Ce Pierre te dira tout ce qui est nécessaire pour te sauver. » Corneille ne tarda pas à obéir à la voix du Ciel et, ayant appelé deux domestiques et un soldat, tous des personnes qui craignaient Dieu, il leur raconta la vision et leur ordonna de se rendre immédiatement à Joppé pour la mission indiquée par l’ange.
Ils partirent sur-le-champ et, marchant toute la nuit, arrivèrent à Joppé à midi du jour suivant, car la distance entre ces deux villes est d’environ 40 milles. Peu avant qu’ils n’y arrivent, S. Pierre eut lui aussi une merveilleuse révélation, qui lui confirma que même les gentils étaient appelés à la foi. Fatigué par ses travaux, le saint Apôtre était venu ce jour-là chez son hôte pour se reposer et, comme d’habitude, se rendit d’abord dans une chambre située à l’étage pour prier. Pendant qu’il priait, il lui sembla voir le ciel ouvert et descendre de là jusqu’à terre un objet semblable à un grand drap, qui, tenu aux quatre extrémités, formait comme un grand vase plein de toutes sortes de quadrupèdes, de serpents et d’oiseaux, qui tous, selon la loi de Moïse, étaient considérés comme impurs, c’est-à-dire qui ne pouvaient être ni mangés ni offerts à Dieu.
En même temps, il entendit une voix qui disait : « Lève-toi, Pierre, tue et mange. » Étonné par ce commandement, l’Apôtre répondit : « Jamais de la vie je ne mangerai des animaux impurs, ce dont je me suis toujours abstenu. » La voix ajouta : « Ne considère pas comme impur ce que Dieu a purifié. » Après que la même vision lui ait été répétée trois fois, ce vase mystérieux s’éleva vers le ciel et disparut.
Les Saints Pères reconnaissent dans ces animaux impurs une figure des pécheurs et de tous ceux qui, enfoncés dans le vice et l’erreur, sont purifiés par le sang de Jésus-Christ et reçus en grâce. Pendant que Pierre méditait sur ce que pouvait bien signifier cette vision, arrivèrent les trois messagers. À ce moment, Dieu les lui fit connaître et lui ordonna de descendre à leur rencontre, de se mettre en leur compagnie et d’aller avec eux sans aucune crainte. Il descendit donc et leur dit en les voyant : « Me voici, je suis celui que vous cherchez. Quelle est la raison de votre venue ? »
Ayant entendu la vision de Corneille et la raison de leur voyage, il comprit immédiatement le sens de ce mystérieux drap ; c’est pourquoi il les accueillit avec bienveillance et leur donna l’hospitalité cette nuit-là. Le lendemain matin, accompagné de six disciples, il partit de Joppé avec les messagers et, au nombre de dix, ils prirent la route en direction de Césarée.
Deux jours plus tard, Pierre arriva avec toute sa suite dans cette ville où le centurion l’attendait avec une grande impatience. Pour honorer davantage son hôte, celui-ci avait convoqué parents et amis, afin qu’ils puissent participer eux aussi aux bénédictions célestes qu’il espérait obtenir du Ciel à l’arrivée de Pierre. Lorsque ce bon centurion, selon l’ordre de Dieu, envoya chercher Pierre pour entendre de lui les volontés divines, il dut certainement se faire une grande idée de lui, le considérant comme un personnage sublime, différent des autres hommes. Aussi, quand Pierre entra dans sa maison, il vint vers lui et se jeta à ses pieds en acte d’adoration. Pierre, plein d’humilité, le releva immédiatement, lui faisant savoir qu’il n’était qu’un simple homme comme lui. Continuant ensuite à parler, ils entrèrent au lieu de l’assemblée.
Là, en présence de tous, Pierre raconta l’ordre reçu de Dieu de converser avec les gentils et de ne plus les juger comme abominables et profanes. « Maintenant que je suis ici parmi vous, conclut-il, dites-moi quelle est la raison pour laquelle vous m’avez appelé. » Corneille obéit à l’invitation de Pierre, se leva et raconta ce qui lui était arrivé quatre jours auparavant, affirmant que lui-même et tous ceux qui étaient là réunis étaient prêts à exécuter tout ce qu’il leur commandera sur l’ordre de Dieu. Alors Pierre, expliquant son caractère d’Apôtre du Seigneur, dépositaire fidèle de la religion et de la foi, commença à instruire toute cette honorable assemblée dans les principaux mystères de l’Évangile.
Pierre continuait son discours lorsque l’Esprit Saint descendit visiblement sur Corneille et ses proches, et leur communiqua de manière sensible le don des langues, si bien qu’ils commencèrent à glorifier Dieu en chantant ses louanges. En voyant se produire là presque le même prodige qu’au cénacle de Jérusalem, S. Pierre s’exclama : « Quelqu’un peut-il nous empêcher de baptiser ceux qui ont reçu l’Esprit Saint comme nous ? » Puis, s’adressant à ses disciples, il ordonna qu’ils les baptisent tous. La famille de Corneille fut la première de Rome et d’Italie à embrasser la foi.
Après les avoir tous baptisés, S. Pierre retarda son départ de Césarée. Il s’arrêta quelque temps pour satisfaire les pieuses insistances de Corneille et de tous ces nouveaux baptisés qui le priaient de rester. Pierre profita de ce temps pour prêcher l’Évangile dans cette ville, et le fruit fut tel qu’il résolut de désigner un pasteur pour cette multitude de fidèles. Ce pasteur fut Saint Zachée, dont il est question dans l’Évangile ; il fut consacré premier évêque de Césarée[18].
Cet événement, c’est-à-dire le fait d’avoir admis à la foi les gentils, causa une certaine jalousie parmi les fidèles de Jérusalem. Certains parmi eux désapprouvèrent publiquement ce que Saint Pierre avait fait. Pour cette raison, il jugea bon de se rendre dans cette ville, pour éclairer les égarés en leur faisant savoir qu’il avait agi en tout sur l’ordre de Dieu. Quand il arriva à Jérusalem, certains se présentèrent à lui en lui disant hardiment : « Pourquoi es-tu allé chez des hommes non circoncis et as-tu mangé avec eux ? » Pierre leur donna la raison de ce qu’il avait fait en présence de tous les fidèles réunis, et pourquoi il n’avait pas tenu compte de cette interrogation. Il leur raconta la vision qu’il avait eue à Joppé : le vase rempli de toutes sortes d’animaux impurs, l’ordre reçu de Dieu de s’en nourrir, la répugnance qu’il avait montrée à obéir par crainte de contredire la loi, et la voix qui se fit de nouveau entendre lui enjoignant de ne plus appeler impur ce qui avait été purifié par Dieu. Puis il exposa en détail ce qui était arrivé chez Corneille et comment l’Esprit Saint était descendu en présence de nombreux témoins. Alors toute cette assemblée, reconnaissant la voix du Seigneur dans celle de Pierre, se calma et loua Dieu d’avoir étendu les limites de sa miséricorde.
CHAPITRE XXII. Hérode fait décapiter S. Jacques le Majeur et mettre S. Pierre en prison. — Mais il est libéré par un Ange. — Mort d’Hérode. An 41 de J.-C.
À l’époque où la parole de Dieu, prêchée avec tant de zèle par les Apôtres et les disciples, produisait des fruits de vie éternelle parmi les Juifs et les Gentils, la Judée était gouvernée par Hérode Agrippa, neveu de cet Hérode qui avait ordonné le massacre des innocents.
Dominé par un esprit d’ambition et de vanité, il désirait désespérément gagner l’affection du peuple. Les Juifs, et en particulier ceux qui avaient quelque autorité, surent tirer parti de cette propension pour l’inciter à persécuter l’Église et à chercher les applaudissements des Juifs pervers en versant le sang des chrétiens. Il commença par faire emprisonner l’Apôtre S. Jacques pour ensuite le condamner au supplice. Il s’agit de S. Jacques le Majeur, frère de S. Jean l’Évangéliste, l’ami fidèle de Pierre, qui eut avec lui de nombreux signes particuliers de bienveillance de la part du Sauveur.
Cet Apôtre courageux, après la descente de l’Esprit Saint, prêcha l’Évangile en Judée. Puis (comme le raconte la tradition) il alla en Espagne, où il convertit certains à la foi. De retour en Palestine, il convertit entre autres un certain Hermogène, homme célèbre, ce qui déplut beaucoup à Hérode et lui servit de prétexte pour le faire emprisonner. Conduit devant les tribunaux, il montra tant de fermeté dans ses réponses et dans sa confession de Jésus-Christ que le juge en fut émerveillé. Son accusateur, ému par tant de constance, renonça au judaïsme, se déclara publiquement chrétien et, comme tel, fut également condamné à mort. Pendant qu’on les conduisait tous deux au supplice, il se tourna vers Saint Jacques et lui demanda pardon pour ce qu’il avait dit et fait contre lui. Le saint Apôtre lui lança un regard affectueux en lui disant : « pax tecum » (la paix soit avec toi). Puis il l’embrassa et le baisa en protestant qu’il lui pardonnait de tout cœur, et même qu’il l’aimait comme un frère. Ce serait là l’origine du signe de paix et de pardon, habituellement utilisé entre les chrétiens, et spécialement pendant le sacrifice de la sainte Messe.
Après cela, ces deux généreux confesseurs de la foi furent décapités et allèrent ensemble se retrouver éternellement au Ciel.
Cette mort attrista beaucoup les fidèles, mais réjouit au plus haut point les Juifs, qui, après la mort des chefs de la religion, pensaient mettre fin à la religion elle-même. Quand Hérode vit que la mort de S. Jacques avait plu aux Juifs, il pensa leur procurer un spectacle encore plus agréable en faisant emprisonner S. Pierre, pour ensuite le laisser à la merci de leur furie aveugle. Et comme c’était la semaine des azymes, qui pour les Juifs est un temps de joie et de préparation à la Pâque, il ne voulut pas assombrir la joie publique par le supplice d’un homme prétendument coupable. Il le fit donc conduire, chargé de chaînes, entre deux gardes et ordonna qu’il soit soigneusement gardé dans une sombre prison jusqu’à la fin de cette solennité. Il donna ensuite l’ordre strict que seize soldats soient placés en garde, veillant jour et nuit alternativement sur la prison de fer qui s’ouvrait sur un chemin de la ville. Ce roi savait certainement comment Pierre avait déjà été emprisonné à d’autres reprises et en était sorti de manière tout à fait merveilleuse, et il ne voulait pas qu’il lui arrive à nouveau une chose semblable. Mais toutes ces précautions, portes de fer, chaînes, gardes et surveillants ne servirent qu’à donner plus de relief à l’œuvre de Dieu.
Comme l’arme la plus puissante que le Sauveur a laissée aux chrétiens est la prière, les fidèles, privés de leur père et pasteur commun, se rassemblèrent en pleurant l’emprisonnement de S. Pierre et en adressant continuellement des prières à Dieu, afin qu’il le libère du danger imminent. Bien que leurs prières fussent très ferventes, il plut néanmoins au Seigneur d’exercer leur foi et leur patience pendant quelques jours pour faire connaître davantage les effets de la toute-puissance divine.
C’était déjà la nuit précédant le jour fixé pour la mort de Pierre. Il était tout résigné aux dispositions divines, prêt à vivre comme à mourir pour la gloire de son Seigneur. Aussi demeurait-il dans l’obscurité de cette horrible prison dans la plus grande tranquillité de son âme. Pierre dormait, mais sur lui veillait Celui qui a promis d’assister son Église. Il était minuit et tout était dans un profond silence, quand soudain une lumière éclatante illumina toute cette prison. Et voici qu’un ange envoyé par Dieu secoue Pierre, le réveille en lui disant : « Lève-toi vite. » À ces mots, les deux chaînes se délièrent et tombèrent de ses mains. Alors l’ange continua : « Mets tout de suite tes vêtements et tes sandales. » Saint Pierre fit tout, et l’ange poursuivit en lui disant : « Mets encore le manteau sur tes épaules et suis-moi. » Pierre obéit, mais avec l’impression que tout était un rêve et qu’il était hors de lui. Comme les portes de la prison étaient ouvertes, il sortait en suivant l’ange qui marchait devant lui. Passant près des premiers gardiens, puis des seconds sans qu’ils donnent le moindre signe de les voir, ils arrivèrent à l’énorme porte de fer qui donnait accès à la ville en sortant du bâtiment des prisons. Cette porte s’ouvrit d’elle-même. Étant sortis, ils marchèrent un peu ensemble jusqu’à ce que l’ange disparaisse. Alors Pierre, réfléchissant sur lui-même, se dit : « Maintenant, je me rends compte que le Seigneur a vraiment envoyé son ange pour me libérer des mains d’Hérode et du jugement que les Juifs voulaient contre moi. » Après avoir reconnu l’endroit où il était, il se dirigea directement vers la maison d’une certaine Marie, mère de Jean, surnommé Marc, où de nombreux fidèles étaient rassemblés en prière, suppliant Dieu de venir en aide au chef de son Église.
Arrivé à cette maison, Saint Pierre se mit à frapper à la porte. Une jeune fille, nommée Rose, alla voir qui c’était. « Qui est là ? » dit-elle. Et Pierre : « C’est moi, ouvre. » La jeune fille, le reconnaissant bien à sa voix, resta comme d’elle à cause de la joie, oublia d’ouvrir la porte et, le laissant dehors, courut en donner la nouvelle à ses maîtres. « Vous ne savez pas ? C’est Pierre. » Mais ils dirent : « Tu divagues, Pierre est en prison et ne peut pas se trouver ici à cette heure. » Mais elle continuait à affirmer que c’était vraiment lui. Ils ajoutèrent alors : « Celui que tu as vu ou entendu est peut-être son ange, qui a pris sa forme pour venir nous donner quelques nouvelles. » Pendant qu’ils discutaient avec la jeune fille, Pierre continuait à frapper plus fort en disant : « Hé, ouvrez. » Cela les poussa à courir rapidement pour ouvrir, et ils s’aperçurent que c’était vraiment Pierre.
Ils avaient tous l’impression que c’était un rêve, et chacun pensait voir un mort ressuscité. Certains demandaient qui l’avait libéré, d’autres quand, certains étaient impatients de savoir s’il s’était produit quelque prodige.
Alors Pierre, pour les apaiser tous, leur fit signe de la main pour qu’ils se taisent, et raconta dans l’ordre ce qui était arrivé avec l’ange et comment il l’avait libéré de la prison. Tous se mirent à pleurer d’émotion ; ils louaient Dieu en le remerciant pour le bienfait qu’ils avaient reçu.
En considérant que sa vie n’était plus en sécurité à Jérusalem, Pierre dit à ces disciples : « Allez et rapportez ces choses à Jacques (le Mineur, évêque de Jérusalem) et aux autres frères, et enlevez-leur l’inquiétude dans laquelle ils se trouvent à cause de moi. En ce qui me concerne, je pense qu’il est opportun de quitter cette ville et d’aller ailleurs. »
Lorsque la nouvelle se répandit que Dieu avait si prodigieusement sauvé le chef de l’Église, tous les fidèles éprouvèrent une grande consolation.
L’Église catholique célèbre la mémoire de ce glorieux événement le premier août sous le titre de Fête de Saint Pierre aux Liens.
Mais que devinrent Hérode et ses gardes ? Lorsque le jour se leva, les gardiens qui n’avaient rien entendu ni vu, allèrent de bon matin visiter la prison ; n’ayant plus trouvé Pierre, ils furent très étonnés. La chose fut immédiatement rapportée à Hérode, qui ordonna de chercher Saint Pierre, mais il ne put le trouver. Alors, indigné, il fit juger les soldats et les fit tous condamner à mort, peut-être par soupçon de négligence ou d’infidélité, ayant trouvé toutes les portes de la prison ouvertes.
Mais le malheureux Hérode ne tarda pas à payer le prix des injustices et des tourments infligés aux disciples de Jésus-Christ. Pour régler certaines affaires politiques, il était allé de Jérusalem dans la ville de Césarée, et tandis qu’il goûtait les applaudissements du peuple qui l’adulait follement en l’appelant Dieu, il fut frappé à cet instant même par un ange du Seigneur. On l’emporta hors de la place et, parmi des douleurs indicibles, dévoré par les vers, il expira.
Ce fait démontre avec quelle sollicitude Dieu vient en aide à ses serviteurs fidèles, et donne un terrible avertissement aux malfaisants. Ceux-ci doivent vraiment craindre la main de Dieu, qui punit sévèrement même dès cette vie ceux qui méprisent la religion, que ce soit dans ses fonctions sacrées ou dans la personne de ses ministres.
CHAPITRE XXIII. Pierre à Rome. — Il y transfère la chaire apostolique. — Sa première lettre. — Progrès de l’Évangile. An 42 de Jésus-Christ.
Après avoir fui Jérusalem sous les impulsions de l’Esprit Saint, l’Apôtre Saint Pierre décida de transférer le Saint-Siège à Rome.
C’est ainsi qu’après avoir tenu sa chaire à Antioche pendant sept ans, il partit en direction de Rome. Durant son voyage, il prêcha Jésus-Christ dans le Pont et en Bithynie, qui sont deux vastes provinces de l’Asie Mineure. Poursuivant son voyage, il prêcha le saint Évangile en Sicile et à Naples, donnant à cette ville comme évêque Saint Aspren. Enfin, il arriva en l’an quarante-deux de Jésus-Christ à Rome, où régnait un empereur nommé Claude.
Pierre trouva cette ville dans un état véritablement déplorable. C’était, dit Saint Léon, une immense mer d’iniquité, une fosse de tous les vices, une forêt de bêtes enragées. Les rues et les places étaient remplies de statues de bronze et de pierre adorées comme des dieux, et devant ces horribles simulacres, on brûlait de l’encens et on faisait des sacrifices. Le démon lui-même était honoré au moyen de souillures infâmes ; les actions les plus honteuses étaient considérées comme des actes de vertu. S’ajoutaient à cela les lois qui interdisaient toute nouvelle religion. Les prêtres idolâtres et les philosophes étaient également de graves obstacles. De plus, il s’agissait de prêcher une religion qui désapprouvait le culte de tous les dieux, condamnait toutes sortes de vices et commandait les vertus les plus sublimes.
Toutes ces difficultés, au lieu d’arrêter le zèle du Prince des Apôtres, l’enflammaient encore plus dans son désir de libérer cette misérable ville des ténèbres de la mort. Appuyé uniquement sur l’aide du Seigneur, Saint Pierre entra à Rome pour faire de la métropole de l’empire le premier siège du sacerdoce, le centre du Christianisme.
Il est vrai que la renommée des vertus et des miracles de Jésus-Christ était déjà parvenue jusque-là. Pilate en avait envoyé un rapport à l’empereur Tibère, et celui-ci, très ému en lisant la sainte vie et mort du Sauveur, avait décidé de le mettre au rang des dieux romains. Mais le Seigneur du ciel et de la terre ne voulut pas être confondu avec les divinités stupides des païens ; et il disposa que le sénat romain rejetât la proposition de Tibère comme contraire aux lois de l’empire[19].
Pierre commença à prêcher l’Évangile aux Juifs qui habitaient alors au Transtévère, c’est-à-dire dans une partie de la ville de Rome située de l’autre côté du Tibre. Il quitta la synagogue des Juifs pour prêcher aux Gentils, et ceux-ci, dans un transport de vraie joie, couraient anxieux pour recevoir le Baptême. Leur nombre devint si grand, et leur foi si vive, que Saint Paul en éprouvait une grande consolation en écrivant peu après aux Romains ces mots : « Votre foi est annoncée », c’est-à-dire qu’elle fait parler d’elle et étend sa renommée dans le monde entier[20]. Les bénédictions du ciel ne tombaient pas seulement sur le bas peuple, mais aussi sur des grands personnages de la noblesse. On voyait des hommes élevés aux premières charges de Rome abandonner le culte des faux dieux pour se mettre sous le doux joug de Jésus-Christ. Eusèbe, évêque de Césarée, dit que les raisonnements de Pierre étaient si robustes et s’insinuaient avec tant de douceur dans les âmes des auditeurs, qu’il devenait maître de leurs affections et tous restaient comme envoûtés par les paroles de vie qui sortaient de sa bouche et ne se lassaient pas de l’écouter. Si grand était le nombre de ceux qui demandaient le Baptême, que Pierre, aidé par ses compagnons, l’administrait sur les rives du Tibre, de la même manière que Saint Jean-Baptiste l’avait administré sur les rives du Jourdain[21].
Arrivé à Rome, Pierre habitait le faubourg appelé Transtévère, à peu de distance de l’endroit où l’on édifia par la suite l’Église Sainte-Cécile. De là naquit la vénération spéciale que les habitants du quartier conservent encore aujourd’hui envers la personne du Souverain Pontife. Parmi les premiers à recevoir la foi, il y avait un sénateur, nommé Pudens, qui avait occupé les plus hautes charges de l’État. Il donna l’hospitalité au Prince des Apôtres dans sa maison, et celui-ci en profitait pour célébrer les divins Mystères, administrer aux fidèles la Sainte Eucharistie et expliquer les vérités de la foi à ceux qui venaient l’écouter. Cette maison fut bientôt transformée en un temple consacré à Dieu sous le titre du Pasteur ; c’est le plus ancien temple chrétien de Rome, et on croit que c’est celui-là même qui est actuellement appelé Sainte-Pudentienne. Presque en même temps l’Apôtre fonda une autre Église, qu’on pense être celle que de nos jours on appelle Saint-Pierre-aux-Liens.
Quand Saint Pierre vit que Rome était vraiment bien disposée à recevoir la lumière de l’Évangile, et que c’était en même temps un lieu très approprié pour entrer en relation avec tous les pays du monde, il établit sa chaire à Rome, c’est-à-dire qu’il fit de Rome le centre et le lieu de sa demeure spéciale, où les diverses nations chrétiennes pourraient et devraient recourir en cas de doutes concernant la religion et pour leurs besoins spirituels. L’Église catholique célèbre la fête de la chaire de Saint Pierre à Rome le 18 janvier.
Il faut ici bien rappeler que par siège ou chaire de Saint Pierre, on n’entend pas le siège matériel, mais on entend l’exercice de la suprême autorité qu’il avait reçue de Jésus-Christ, surtout lorsqu’il lui a dit que tout ce qu’il lierait ou délierait sur la terre serait également lié ou délié dans le ciel. On entend par là l’exercice de cette autorité conférée par Jésus-Christ de faire paître le troupeau universel des fidèles, de soutenir et de conserver les autres pasteurs dans l’unité de foi et de doctrine comme l’ont toujours fait les souverains pontifes depuis Saint Pierre jusqu’au Pape régnant Léon XIII.
Comme les occupations que Saint Pierre avait à Rome ne lui permettaient plus d’aller visiter les églises qu’il avait fondées dans les divers pays, il écrivit une longue et sublime lettre adressée spécialement aux chrétiens qui habitaient dans le Pont, en Galatie, en Bithynie et en Cappadoce, qui sont des provinces d’Asie Mineure. Comme un père aimant, il adresse son discours à ses fils pour les encourager à être constants dans la foi qu’il leur avait prêchée et les avertit spécialement de se garder des erreurs que les hérétiques répandaient depuis cette époque contre la doctrine de Jésus-Christ.
Il conclut sa lettre par ces mots : « Vous, les anciens, c’est-à-dire les évêques et les prêtres, je vous conjure de paître le troupeau de Dieu, qui dépend de vous, en le gouvernant non pas par contrainte, mais de bon gré, non par amour d’un vil gain, mais avec un cœur bien disposé et en devenant le modèle de votre troupeau. Vous, les jeunes, et vous tous, les chrétiens, soyez soumis aux prêtres avec une véritable humilité, car Dieu résiste aux orgueilleux et donne sa grâce aux humbles. Soyez tempérants et veillez, car le démon, votre ennemi, comme un lion rugissant, rôde cherchant qui dévorer ; résistez-lui courageusement dans la foi.
Les chrétiens qui sont à Babylone (c’est-à-dire à Rome) vous saluent, et en particulier Marc, mon fils en Christ.
Que la grâce du Seigneur soit avec vous tous qui vivez en Jésus-Christ. Ainsi soit-il.[22] »
Les Romains qui avaient embrassé avec grand ferveur la foi prêchée par Pierre manifestèrent à Saint Marc, fidèle disciple de l’Apôtre, le vif désir qu’il mette par écrit ce que Pierre prêchait. Saint Marc avait en effet accompagné le Prince des Apôtres dans plusieurs voyages et l’avait entendu prêcher dans de nombreux pays. De fait, après tout ce qu’il avait entendu dans les prêches et dans les conversations familières avec son maître, éclairé et inspiré de manière toute spéciale par l’Esprit Saint, il était réellement en mesure de satisfaire les pieux désirs de ces fidèles. C’est pourquoi il se mit à écrire l’Évangile, c’est-à-dire un récit fidèle des actions du Sauveur, et c’est ce que nous avons aujourd’hui sous le nom d’Évangile selon Saint Marc.
Depuis Rome, Saint Pierre envoya plusieurs de ses disciples dans différentes parties d’Italie et dans de nombreux pays du monde. Il envoya Saint Apollinaire à Ravenne, Saint Trophime en Gaule et précisément dans la ville d’Arles, d’où l’Évangile se propagea dans les autres pays de France. Il envoya Saint Marc à Alexandrie d’Égypte pour fonder en son nom cette église. C’est ainsi que la ville de Rome, capitale de tout l’Empire romain, puis la ville d’Alexandrie, qui était la première après Rome, et enfin celle d’Antioche, capitale de tout l’Orient, eurent pour fondateur le Prince des Apôtres, et devinrent les trois premiers sièges patriarcaux. Pendant plusieurs siècles on répartit ainsi le domaine du monde catholique, tout en maintenant toujours les patriarches d’Alexandrie et d’Antioche sous la dépendance du Pape romain, chef de toute l’Église, pasteur universel, centre d’unité. Pendant que Saint Pierre envoyait beaucoup de ses disciples pour prêcher l’Évangile ailleurs, il ordonnait des prêtres à Rome, consacrait des évêques, parmi lesquels il avait choisi Saint Zénon comme vicaire pour le remplacer dans les cas où une affaire grave l’obligerait à s’éloigner de cette ville.
CHAPITRE XXIV. Au concile de Jérusalem S. Pierre définit une question. — Saint Jacques confirme son jugement. An 50 de Jésus-Christ.
Rome était la demeure ordinaire du Prince des Apôtres, mais sa sollicitude devait s’étendre à tous les fidèles chrétiens. S’il surgissait des difficultés ou des questions concernant la religion, il envoyait un disciple ou écrivait des lettres sur le sujet et parfois il se rendait lui-même sur place, comme il le fit à l’occasion où une question naquit entre les Juifs et les Gentils à Antioche.
Les Juifs croyaient que, pour être de bons chrétiens, il était nécessaire de recevoir la circoncision et d’observer toutes les cérémonies de Moïse. Les Gentils refusaient de se soumettre à cette prétention des Juifs, et la situation en arriva à un point tel qu’elle causait un dommage et un scandale graves parmi les simples fidèles et même parmi les prédicateurs de l’Évangile. Par conséquent, Saint Paul et Saint Barnabé jugèrent bon de recourir au jugement du chef de l’Église et des autres Apôtres, afin que leur autorité dissipe tout doute.
Saint Pierre se rendit donc de Rome à Jérusalem pour convoquer un concile général. Puisque le Seigneur a promis son assistance au chef de l’Église, afin que sa foi ne faiblisse pas, il l’assiste certainement aussi lorsque sont réunis avec lui les principaux pasteurs de l’Église ; d’autant plus que Jésus-Christ nous a assurés qu’il est de fait au milieu de ceux qui se rassemblent en son nom, même s’ils ne sont que deux. Arrivé donc dans cette ville, le Prince des Apôtres invita tous les autres Apôtres et tous les principaux pasteurs qu’il put avoir. Puis Paul et Barnabé, accueillis au concile, exposèrent en pleine assemblée leur ambassade au nom des Gentils d’Antioche. Ils montrèrent les raisons et les craintes d’un côté et de l’autre, et demandèrent une décision pour la paix et la sécurité des consciences. « Il y a des gens de la secte des Pharisiens, disait Saint Paul, qui ont cru et qui affirment qu’il est nécessaire que les Gentils soient circoncis comme les Juifs, et qu’ils doivent observer la loi de Moïse, s’ils veulent obtenir le salut. »
Cette vénérable assemblée commença à examiner ce point. Après une longue discussion sur la matière proposée, Pierre se leva et commença à parler en disant : « Frères, vous savez bien comment Dieu m’a choisi pour faire connaître aux Gentils la lumière de l’Évangile et les vérités de la foi, comme cela arriva avec le Centurion Corneille et toute sa famille. Or Dieu, qui connaît les cœurs des hommes, a rendu un bon témoignage à ces Gentils en leur envoyant l’Esprit Saint, comme il l’avait fait pour nous. Il n’a fait aucune différence entre nous et eux, montrant que la foi les avait purifiés des impuretés qui auparavant les excluaient de la grâce. Donc, la chose est claire : sans circoncision, les Gentils sont justifiés par la foi en Jésus-Christ. Pourquoi donc voulons-nous tenter Dieu, en le provoquant à nous donner une preuve plus certaine de sa volonté ? Pourquoi imposer à ces nos frères Gentils un joug que nous et nos pères n’avons pu porter qu’avec peine ? Nous croyons que les Gentils comme les Juifs doivent être sauvés par la seule grâce de notre Seigneur Jésus-Christ. »
Après le jugement du Vicaire de Jésus-Christ, toute cette assemblée se tut et se calma. Paul et Barnabé confirmèrent ce que Pierre avait dit, racontant les conversions et les miracles que Dieu avait eu la bonté d’opérer par leur main parmi les Gentils qu’ils avaient convertis à l’Évangile.
Lorsque Paul et Barnabé eurent fini de parler, Saint Jacques, évêque de Jérusalem, confirma le jugement de Pierre en disant : « Frères, maintenant prêtez-moi votre attention aussi à moi. Pierre a bien dit que dès le début Dieu a fait grâce aux Gentils, formant un seul peuple qui glorifie son saint nom. Or cela est confirmé par les paroles des prophètes, que nous voyons se réaliser dans les faits. Pour cette raison, je juge avec Pierre que les Gentils ne doivent pas être troublés après s’être convertis à Jésus-Christ ; seulement il me semble qu’il faut leur ordonner que, par égard pour les scrupules de leurs frères Juifs et pour faciliter l’union entre ces deux peuples, il soit interdit de manger les choses sacrifiées aux idoles, les viandes étouffées et le sang ; et que la fornication soit également interdite. »
Cette dernière chose, c’est-à-dire la fornication, n’avait pas besoin d’être interdite, étant totalement contraire aux préceptes de la raison et prohibée par le sixième article du Décalogue. Néanmoins, cette prohibition fut renouvelée à l’égard des Gentils, car dans le culte de leurs fausses divinités, ils pensaient qu’il était licite, voire agréable, d’offrir des choses immondes et obscènes.
Le jugement de Saint Pierre, confirmé par Saint Jacques, plut à tout le concile. Aussi, d’un commun accord, ils décidèrent de choisir des personnes autorisées pour les envoyer à Antioche avec Paul et Barnabé. On leur remit, au nom du concile, des lettres contenant les décisions prises. Les lettres étaient de cette teneur : « Les Apôtres et les frères prêtres aux frères Gentils qui sont à Antioche, en Syrie, en Cilicie, salut. Ayant entendu que certains venus de chez nous ont troublé et angoissé vos consciences avec des idées arbitraires, il nous a semblé bon, à nous ici réunis, de choisir et de vous envoyer Paul et Barnabé, hommes qui nous sont très chers et qui ont sacrifié et exposé leur vie au danger pour le nom de notre Seigneur Jésus-Christ. Avec eux, nous envoyons Silas et Jude, qui vous remettront nos lettres et vous confirmeront de vive voix les mêmes vérités. En effet, il a paru bon à l’Esprit Saint et à nous de ne vous imposer aucun autre fardeau, excepté celui que vous devez observer, c’est-à-dire de vous abstenir des choses sacrifiées aux idoles, des viandes étouffées, du sang et de la fornication. En vous abstenant de ces choses, vous ferez bien. Soyez en paix. »
Ce fut le premier concile général présidé par Saint Pierre. Comme Prince des Apôtres et chef de l’Église, il définit la question avec l’assistance de l’Esprit Saint. Ainsi, chaque fidèle chrétien doit croire que les choses définies par les conciles généraux réunis et confirmés par le Souverain Pontife, Vicaire de Jésus-Christ et successeur de Saint Pierre, sont des vérités certaines, ayant les mêmes motifs de crédibilité que si elles sortaient de la bouche de l’Esprit Saint, car ils représentent l’Église avec son chef, à qui Dieu a promis son infaillibilité jusqu’à la fin des siècles.
CHAPITRE XXV. Saint Pierre confère à Saint Paul et à Saint Barnabé la plénitude de l’Apostolat. — Il est averti par Saint Paul. — Il retourne à Rome. An 54 de Jésus-Christ.
Dieu avait déjà fait connaître plusieurs fois qu’il voulait envoyer Saint Paul et Saint Barnabé prêcher aux Gentils. Mais jusqu’alors, ils exerçaient leur ministère sacré comme simples prêtres, et peut-être aussi comme évêques, sans que la plénitude de l’apostolat leur ait encore été conférée. Lorsque, par la suite, ils allèrent à Jérusalem pour le concile et racontèrent les merveilles opérées par Dieu au milieu des Gentils par leur intermédiaire, ils eurent aussi des entretiens particuliers avec Saint Pierre, Jacques et Jean. Ils racontèrent, dit le texte sacré, de grandes merveilles à ceux qui occupaient les premières charges dans l’Église, parmi lesquels se trouvaient certainement les trois Apôtres, qu’on considérait comme les trois colonnes principales de l’Église. Ce fut à cette occasion, dit Saint Augustin, que Saint Pierre, en tant que chef de l’Église, Vicaire de Jésus-Christ et divinement inspiré, conféra à Paul et à Barnabé la plénitude de l’apostolat, avec la mission d’apporter la lumière de l’Évangile aux Gentils. Ainsi, Saint Paul fut élevé à la dignité d’Apôtre, avec la même plénitude de pouvoirs dont jouissaient les autres Apôtres établis par Jésus-Christ.
Pendant que Saint Pierre et Saint Paul demeuraient à Antioche, se produisit un événement qui mérite d’être rapporté. Saint Pierre était certainement persuadé que les cérémonies de la loi de Moïse n’étaient plus obligatoires pour les Gentils. Cependant, lorsqu’il se trouvait avec les Juifs, il mangeait à la manière juive, craignant de leur déplaire s’il agissait autrement. Cette condescendance fut la cause que la foi de nombreux Gentils se refroidissait ; ainsi naissait une aversion entre Gentils et Juifs, et le lien de charité qui caractérise les véritables disciples de Jésus-Christ se rompait. Saint Pierre ignorait les rumeurs qui circulaient à ce sujet. Mais quand Saint Paul réalisa que cette conduite de Pierre pouvait générer un scandale dans la communauté des fidèles, il pensa à le corriger publiquement en disant : « Si toi, qui es Juif, tu as compris par la foi que tu peux vivre comme les Gentils et non comme les Juifs, pourquoi, par ton exemple, veux-tu contraindre les Gentils à observer la loi juive ? » Saint Pierre fut très content de cet avis, car ce fait montrait à tous les fidèles que la loi cérémonielle de Moïse n’était plus obligatoire, et que celui qui prêchait aux autres l’humilité de Christ Jésus a su la pratiquer lui-même, ne montrant le moindre signe de ressentiment. Dès lors, il n’eut plus aucun égard envers la loi cérémonielle de Moïse.
Cependant, il faut noter ici avec les Saints Pères que ce que faisait Saint Pierre n’était pas mal en soi, mais fournissait aux chrétiens un motif de discorde. On veut également que Saint Pierre ait été d’accord avec Saint Paul concernant la correction à faire publiquement, afin que soit mieux connue la fin de la loi cérémonielle de Moïse.
Pierre quitta Antioche pour aller prêcher dans diverses villes, jusqu’à ce qu’il soit averti par Dieu de retourner à Rome pour assister les fidèles dans une persécution féroce excitée contre les chrétiens. Lorsque Saint Pierre arriva dans cette ville, l’empire était gouverné par Néron, homme plein de vices et par conséquent le plus opposé au christianisme. C’est lui qui avait fait mettre le feu à divers endroits de cette capitale, de sorte qu’une grande partie de la ville fut consumée par les flammes ; à la suite de quoi il rejetait la faute de cette action malveillante sur les chrétiens.
Dans sa cruauté, Néron avait fait mettre à mort un philosophe vertueux, nommé Sénèque, qui avait été son maître. Sa propre mère périt victime de ce fils dénaturé. Mais la gravité de ces méfaits fit une terrible impression même sur le cœur abruti de Néron, au point qu’il lui semblait voir des spectres qui l’accompagnaient jour et nuit. Aussi cherchait-il à apaiser les ombres infernales, ou mieux les remords de la conscience, par des sacrifices. Voulant ensuite se procurer un certain soulagement, il fit rechercher les magiciens les plus accrédités pour faire usage de leur magie et de leurs sortilèges. Le magicien Simon, celui-là même qui avait cherché à acheter à Saint Pierre les dons de l’Esprit Saint, profita de l’absence du Saint Apôtre pour se rendre sur place et, à force d’adulations envers l’empereur, discréditer la religion chrétienne.
CHAPITRE XXVI. Saint Pierre fait ressusciter un mort. An 66 de Jésus-Christ.
Le magicien Simon savait que s’il pouvait faire un miracle, il gagnerait beaucoup de crédit. Les miracles que Saint Pierre accomplissait partout ne faisaient qu’accroître sa jalousie et sa colère ; c’est pourquoi il cherchait à étudier un tour pour se montrer supérieur à Saint Pierre. Il se confronta à lui plusieurs fois, mais en sortit toujours plein de confusion. Et comme il se vantait de savoir guérir les maladies, de prolonger la vie, de ressusciter les morts, toutes choses qu’il voyait faire à Saint Pierre, il arriva qu’il fut invité à faire de même. Un jeune homme d’une noble famille et parent de l’empereur était mort. À ses parents, inconsolables, on conseilla de recourir à Saint Pierre pour qu’il vienne le ramener à la vie. D’autres, en revanche, invitèrent Simon.
Ils arrivèrent tous deux en même temps chez le défunt. Saint Pierre consentit de bon gré à ce que Simon fasse ses preuves pour redonner la vie au mort ; il savait en effet que seul Dieu peut opérer de véritables miracles, et que jamais personne ne peut se vanter d’en avoir fait, sauf par vertu divine et en confirmation de la religion catholique, et que par conséquent tous les efforts du méchant Simon seraient vains. Plein d’orgueil et poussé par l’esprit maléfique, Simon accepta follement l’épreuve ; et, persuadé de gagner, il proposa la condition suivante : si Pierre réussit à ressusciter le mort, je serai condamné à mort ; mais si je redonne vie à ce cadavre, que Pierre le paie de sa tête. Comme personne parmi les présents ne refusa cette proposition, et que Saint Pierre l’accepta de bon gré, le magicien se mit à l’œuvre.
Il s’approcha du cercueil du défunt, invoqua le démon et accomplit mille autres enchantements. Certains avaient l’impression que ce froid cadavre donnait quelque signe de vie. Alors les partisans de Simon se mirent à crier que Pierre devait mourir.
Le Saint Apôtre riait de cette imposture et demanda modestement à tous de vouloir se taire un moment. Pui il dit : « Si le mort est ressuscité, qu’il se lève, qu’il marche et qu’il parle ; si resuscitatus est, surgat, ambulet, fabuletur. Il n’est pas vrai qu’il bouge la tête ou donne signe de vie, c’est votre imagination qui vous fait penser ainsi. Commandez à Simon de s’éloigner du lit, et vous verrez immédiatement disparaître chez le mort tout espoir de vie.[23]«
Ainsi fut fait. Celui qui s’était éteint auparavant restait couché là comme une pierre, sans esprit ni mouvement. Alors le Saint Apôtre s’agenouilla à peu de distance du cercueil et se mit à prier avec ferveur le Seigneur, le suppliant de glorifier son saint nom pour la confusion des méchants et le réconfort des bons. Après une brève prière, s’adressant au cadavre, il dit à haute voix : « Jeune homme, lève-toi ; Jésus Seigneur te donne la vie et la santé. »
Au commandement de cette voix, à laquelle la mort était habituée à obéir, l’esprit revint rapidement vivifier ce corps froid ; et pour enlever toute illusion, il se leva, parla et marcha, et on lui fit prendre de la nourriture. Alors Pierre le prit par la main et le restitua à sa mère, plein de vie et de santé. Cette bonne femme ne savait comment exprimer sa gratitude envers le Saint, et le pria humblement de ne pas vouloir quitter sa maison, pour ne pas abandonner celui qui était ressuscité par ses mains. Saint Pierre la consola en disant : « Nous sommes des serviteurs du Seigneur ; il l’a ressuscité et ne l’abandonnera jamais. N’aie pas peur pour ton fils, car il a son gardien. »
Il restait maintenant à condamner à mort le magicien, et déjà une foule de gens était prête à le lapider sous une pluie de pierres, si l’Apôtre, ému de pitié pour lui, n’avait pas demandé de le laisser en vie. Il disait que pour lui, la honte qu’il avait éprouvée était une punition suffisante. « Qu’il vive, dit-il, mais qu’il vive pour voir croître et s’étendre toujours plus le royaume de Jésus-Christ. »
CHAPITRE XXVII. Un vol. — La chute. — Mort désespérée de Simon le Magicien. An 67 de Jésus-Christ.
Dans la résurrection de ce jeune homme, le magicien Simon aurait dû admirer la bonté et la charité de Pierre, et reconnaître en même temps l’intervention de la puissance divine, puis abandonner le démon qu’il servait depuis si longtemps ; mais l’orgueil le rendit encore plus obstiné. Animé par l’esprit de Satan, il s’enflamma plus que jamais et résolut à tout prix de se venger de Saint Pierre. Dans ce but, il se rendit un jour chez Néron et lui dit qu’il était dégoûté des Galiléens, c’est-à-dire des chrétiens, qu’il était décidé à abandonner le monde et que, pour donner à tous une preuve infaillible de sa divinité, il voulait monter par lui-même au Ciel.
Cette proposition plut beaucoup à Néron, et comme il désirait toujours trouver de nouveaux prétextes pour persécuter les chrétiens, il fit prévenir Saint Pierre, qui selon lui passait pour un grand connaisseur de magie, et le défia de faire la même chose en prouvant que Simon était un menteur ; que s’il ne le faisait pas, il serait lui-même jugé menteur et imposteur, et comme tel condamné à la décapitation. L’Apôtre, s’appuyant sur la protection du Ciel qui ne manque jamais de venir en défense de la vérité, accepta l’invitation. Saint Pierre donc, sans aucun secours humain, s’arma du bouclier invincible de la prière. Il ordonna aussi à tous les fidèles d’unir leurs prières aux siennes par le jeûne. Il ordonna également à tous les fidèles d’invoquer la miséricorde divine par un jeûne universel et des prières continues. Le jour où l’on fit ces pratiques religieuses était un samedi, et c’est de là qu’est venu le jeûne du samedi, qui à l’époque de Saint Augustin était encore pratiqué à Rome en mémoire de cet événement.
Au contraire, le Magicien Simon, tout enflé par la faveur qui lui était promise par ses démons, se préparait à ourdir et à terminer avec eux la fraude, et dans sa folie croyait abattre par ce moyen l’Église de Jésus-Christ. Le jour fixé arriva. Une immense foule de gens était rassemblée sur une grande place de Rome. Néron lui-même, vêtu de vêtements brillants d’or et de gemmes, était assis avec toute sa cour sur une tribune sous un riche pavillon pour regarder et encourager son champion. Un profond silence se fit. Simon apparut vêtu comme s’il était un Dieu et, feignant le calme, montrait son assurance de remporter la victoire. Pendant qu’il se répandait en discours pompeux, un char de feu apparut soudain dans les airs (c’était toute une illusion diabolique et un jeu de fantaisie), dans lequel le magicien prit place sous les yeux de tout le peuple. Le démon le souleva du sol et le transporta dans les airs. Il touchait déjà les nuages et commençait à disparaître de la vue du peuple, qui levait les yeux vers le ciel et jubilait d’émerveillement en battant des mains et en criant : Victoire ! miracle ! Gloire et honneur à Simon, vrai fils des Dieux !
Pierre s’agenouilla à terre en compagnie de Saint Paul, sans aucune ostentation, et, les mains levées vers le Ciel, pria Jésus-Christ avec ferveur de venir en aide à son Église pour faire triompher la vérité devant ce peuple abusé. Sitôt dit, sitôt fait. La main de Dieu tout-puissant, qui avait permis aux esprits malins de soulever Simon jusqu’à cette hauteur, leur ôta soudainement tout pouvoir, si bien que, privés de force, ils durent l’abandonner dans le plus grand danger et au comble de sa gloire. Privé de sa force diabolique, Simon se renversa sous le poids de son gros corps, fit une chute désastreuse, et tomba à terre avec une telle force qu’il se brisa tous les membres, éclaboussant de son sang jusqu’au tribunal de Néron. Cette chute se produisit près d’un temple dédié à Romulus, où se trouve aujourd’hui l’église des saints Cosme et Damien.
L’infortuné Simon aurait certainement dû perdre la vie si Saint Pierre n’avait pas invoqué Dieu en sa faveur. Pierre pria le Seigneur de le délivrer de la mort, dit Saint Maxime, tant pour faire connaître à Simon la faiblesse de ses démons que pour implorer de Lui le pardon de ses péchés en confessant la puissance de Jésus-Christ. Mais celui qui déclarait depuis longtemps qu’il méprisait les grâces du Seigneur, était trop obstiné pour se rendre, même au cas où Dieu abondait en Sa miséricorde. Devenu l’objet des moqueries de tout le peuple, plein de confusion, Simon pria quelques-uns de ses amis de l’emporter de là. Transporté dans une maison voisine, il survécut encore quelques jours. Plein de douleur et de honte, il prit le parti désespéré de se débarrasser des misérables restes de sa vie et, se jetant par une fenêtre, il se donna ainsi volontairement la mort[24].
La chute de Simon est une image vivante de la chute des chrétiens qui renient la religion chrétienne ou négligent de l’observer. Ils tombent du haut degré de vertu auquel la foi chrétienne les a élevés, et se ruinent misérablement dans les vices et les désordres, provoquant le déshonneur du caractère chrétien et de la religion qu’ils professent, et causant à leur âme un dommage parfois irréparable.
CHAPITRE XXVIII. Pierre est recherché pour être tué. — Jésus lui apparaît et lui prédit un martyre imminent. — Testament du saint Apôtre.
Le supplice infligé à Simon le Magicien est une preuve évidente de la vengeance du Ciel, mais il contribua beaucoup à accroître le nombre des chrétiens. Quand Néron vit une multitude de personnes abandonner le culte profane des Dieux pour professer la religion prêchée par Saint Pierre, et se rendit compte que le Saint Apôtre avait réussi à gagner des personnes qui avaient ses faveurs, et même celles qui étaient à la cour des instruments d’iniquité, il sentit sa colère redoubler contre les chrétiens et commença à s’acharner encore plus contre eux.
Au milieu de cette furieuse persécution, Pierre encourageait inlassablement les fidèles à résister dans la foi jusqu’à la mort et à convertir de nouveaux Gentils. Le sang des martyrs, loin d’effrayer les chrétiens et de diminuer leur nombre, était une semence féconde qui chaque jour les multipliait. Seuls les Juifs de Rome, peut-être stimulés par ceux de Judée, se montraient obstinés. Aussi Dieu décida de leur envoyer une dernière épreuve pour vaincre leur obstination. Il fit publiquement prédire par son Apôtre que dans peu de temps, il susciterait contre cette nation un roi, qui, après l’avoir réduite aux plus graves angoisses, raserait leur ville, forçant les citoyens à mourir de faim et de soif. Alors, leur disait-il, on verra les uns manger les corps des autres et se détruire mutuellement, jusqu’à ce que, devenus la proie de vos ennemis, vous verrez sous vos yeux vos femmes, vos filles et vos enfants cruellement déchirés et mis à mort sur les pierres. Vos contrées seront réduites en désolation et en ruine par le fer et le feu. Ceux qui échapperont à la commune calamité seront vendus comme des bêtes de somme et soumis à une servitude perpétuelle. De tels maux viendront sur vous, ô fils de Jacob, parce que vous vous êtes réjouis de la mort du Fils de Dieu et refusez maintenant de croire en Lui[25].
Mais comme les ministres de la persécution savaient bien qu’ils se fatigueraient inutilement s’ils ne venaient à bout du chef des chrétiens, ils se tournèrent contre lui pour l’avoir entre leurs mains et le mettre à mort. Les fidèles, sachant combien ils perdraient avec sa mort, cherchaient tous les moyens d’empêcher qu’il ne tombe entre les mains des persécuteurs. Quand ils réalisèrent qu’il était impossible qu’il puisse rester caché plus longtemps, ils lui conseillèrent de sortir de Rome et de se retirer dans un endroit moins connu. Pierre refusait ces conseils suggérés par l’amour filial et désirait ardemment la couronne du martyre. Mais comme les fidèles continuaient à prier pour qu’il fasse cela pour le bien de l’Église de Dieu, c’est-à-dire pour essayer de conserver la vie afin d’instruire et de confirmer dans la foi les croyants et de gagner des âmes au Christ, il finit par consentir et décida de partir.
De nuit, il prit congé des fidèles pour échapper à la fureur des idolâtres. Mais arrivé hors de la ville, par la Porte Capène, aujourd’hui appelée Porte Saint-Sébastien, Jésus-Christ lui apparut tel qu’il l’avait connu et fréquenté pendant plusieurs années. Bien que surpris par cette apparition inattendue, l’Apôtre trouva le courage de l’interroger avec sa vivacité habituelle en disant : « Seigneur, où allez-vous ? » Domine, quo vadis ? Jésus répondit : « Je vais à Rome pour être crucifié à nouveau. » Cela dit, il disparut.
Ces paroles firent comprendre à Pierre que sa propre crucifixion était imminente, car il savait que le Seigneur ne pouvait plus être crucifié de nouveau pour lui-même, mais devait être crucifié dans la personne de son Apôtre. En mémoire de cet événement, une église fut édifiée hors de la Porte Saint-Sébastien, appelée encore aujourd’hui « Domine, quo vadis« , ou « Sainte Marie ad Passus », c’est-à-dire Sainte-Marie aux Pieds, car le Sauveur laissa imprimée sur une pierre la sainte empreinte de ses pieds à l’endroit où il parla à Saint Pierre. Cette pierre se conserve encore aujourd’hui dans l’église Saint-Sébastien.
Après cet avertissement, Saint Pierre retourna en arrière et, interrogé par les chrétiens de Rome sur la raison de son retour si rapide, il leur raconta tout. Personne ne douta plus que Pierre serait emprisonné et glorifierait le Seigneur en donnant sa vie pour Lui. Comme il craignait de tomber d’un moment à l’autre entre les mains des persécuteurs et que l’Église restât privée de son suprême pasteur dans ces moments de calamité, Pierre pensa à nommer quelques évêques plus zélés, afin que l’un d’eux succède au Pontificat après sa mort. C’étaient Saint Lin, Saint Clément, Saint Cléophas et Saint Anaclet, qui l’avaient déjà aidé dans l’office de vicaires dans les divers besoins de l’Église.
Non content d’avoir ainsi pourvu aux besoins du Siège Pontifical, Saint Pierre voulut également adresser un écrit à tous les fidèles, comme son testament, c’est-à-dire une seconde lettre. Cette lettre est adressée au corps universel des chrétiens, nommant en particulier à ceux du Pont, de la Galatie et d’autres provinces d’Asie auxquelles il avait prêché.
Après avoir de nouveau fait allusion à ce qu’il avait déjà dit dans sa première lettre, il recommande de toujours garder les yeux sur Jésus Sauveur, en se gardant de la corruption de ce siècle et des plaisirs mondains. Pour décider les chrétiens à se maintenir fermes dans la vertu, il leur met sous les yeux les récompenses que le Sauveur a préparées dans le royaume éternel du Ciel, et en même temps rappelle les terribles châtiments par lesquels Dieu a l’habitude de punir les pécheurs, souvent dès cette vie, mais infailliblement dans l’autre par la peine éternelle du feu. Se transportant ensuite en esprit dans l’avenir, il prédit les scandales que de nombreux hommes pervers susciteront, les erreurs qu’ils répandront et les ruses dont ils se serviront pour les propager. « Mais sachez, dit-il, qu’à l’image de sources sans eau et des brumes obscures agitées par les vents, ce sont tous des imposteurs et des séducteurs d’âmes, qui promettent une liberté qui finit toujours en un misérable esclavage, dans lequel ils sont pris eux-mêmes, et après quoi ils subiront le jugement, la perdition et le feu qui leur sont réservés. »
« Pour moi, continue-t-il, je suis certain, selon la révélation reçue de Notre Seigneur Jésus-Christ, que dans peu de temps je dois abandonner la tente de mon corps ; mais je ne manquerai pas de faire en sorte qu’après ma mort, vous ayez les moyens de rappeler ces vérités à votre mémoire. Soyez-en certains, les promesses du Seigneur ne manqueront jamais. Viendra le dernier jour où les cieux cesseront d’exister, les éléments seront dissous ou dévorés par le feu, la terre sera consumée avec tout ce qu’elle contient. Occupez-vous donc des œuvres de piété, attendons avec patience et plaisir la venue du jour du Seigneur et, selon ses promesses, vivons de manière à pouvoir passer à la contemplation des cieux et à la possession d’une gloire éternelle. »
Ensuite il les exhorte à se conserver purs du péché et à croire constamment que la longue patience du Seigneur envers nous est pour notre bien commun. Il recommande aussi vivement de ne pas interpréter les Saintes Écritures selon l’intention privée de chacun, et cite en particulier les lettres de Saint Paul, qu’il appelle son très cher frère, dont il dit ceci : « Jésus-Christ retarde sa venue pour vous donner le temps de vous convertir ; c’est ce que vous a écrit Paul, notre très cher frère, avec la sagesse qui lui a été donnée par Dieu. Il fait de même dans toutes ses lettres, où il parle de ces mêmes choses. Mais faites bien attention : il y a dans ces lettres certaines choses difficiles à comprendre, que les hommes ignorants et instables interprètent de manière perverse, comme ils le font aussi pour d’autres parties des Saintes Écritures, dont ils abusent pour leur propre perte. » Ces paroles méritent d’être attentivement méditées par les protestants, qui veulent confier l’interprétation de la Bible à n’importe quel homme du peuple, même s’il est grossier et ignorant. À eux on peut appliquer ce que dit Saint Pierre, à savoir que l’interprétation capricieuse de la Bible les a conduits à leur perte, ad suam ipsorum perditionem[26].
CHAPITRE XXIX. Saint Pierre en prison convertit Processus et Martinien. — Son martyre[27]. An 67 de l’ère vulgaire.
Enfin, le moment était venu de réaliser les prédictions faites par Jésus-Christ concernant la mort de son Apôtre. Tant d’efforts méritaient d’être couronnés par la palme du Martyre. Un jour, alors qu’il se sentait tout embrasé d’amour pour la personne du Divin Sauveur et désirait ardemment pouvoir s’unir à Lui le plus tôt possible, il est surpris par des persécuteurs qui le capturent immédiatement et le conduisent dans une profonde et sombre prison appelée Mamertine, où l’on avait l’habitude d’enfermer les plus célèbres scélérats[28]. La divine providence disposa que Néron devait s’éloigner de Rome pour des affaires de gouvernement ; ainsi, Saint Pierre resta environ neuf mois en prison. Mais les véritables serviteurs du Seigneur savent promouvoir la gloire de Dieu en tout temps et en tout lieu.
Dans l’obscurité de la prison, Pierre exerça son apostolat et surtout le ministère de la parole divine, et il eut la consolation de gagner à Jésus-Christ les deux gardiens de la prison, nommés Processus et Martinien, ainsi que 47 autres personnes qui se trouvaient enfermées au même endroit.
On raconte – et cela est confirmé par l’autorité d’écrivains accrédités – que n’ayant pas d’eau pour administrer le baptême à ces nouveaux convertis, Dieu fit jaillir à cet instant une source perpétuelle, dont les eaux continuent à jaillir encore aujourd’hui. Les voyageurs qui se rendent à Rome prennent soin de visiter la prison Mamertine, qui se trouve au pied du Capitole, où jaillit encore aujourd’hui la fontaine prodigieuse. Cet édifice, tant dans la partie souterraine que dans celle qui s’élève sur terre, est l’objet d’une grande vénération chez les chrétiens.
Les ministres de l’empereur tentèrent plusieurs fois de vaincre la constance du saint Apôtre ; mais, voyant que tous leurs efforts étaient inutiles, et de plus constatant que, même enchaîné, il ne cessait de prêcher Jésus-Christ et ainsi d’accroître le nombre des chrétiens, ils décidèrent de le faire taire par la mort. C’était un matin lorsque Pierre vit la prison s’ouvrir. Les bourreaux entrent, l’attachent étroitement et lui annoncent qu’il doit être conduit au supplice. Oh ! Alors son cœur fut rempli de joie. « Je me réjouis, s’exclamait-il, car bientôt je verrai mon Seigneur. Bientôt j’irai retrouver Celui que j’ai aimé et de qui j’ai reçu tant de signes d’affection et de miséricorde. »
Avant d’être conduit au supplice, le saint Apôtre dut subir une douloureuse flagellation conformément aux lois romaines, ce qui lui causa une grande joie, car ainsi il devenait de plus en plus le fidèle disciple de son divin Maître, qui, avant d’être crucifié, avait subi une peine similaire.
Même le chemin qu’il parcourut en allant au supplice mérite d’être noté. Les Romains, conquérants du monde, après avoir soumis une nation, préparaient la pompe du triomphe sur un magnifique char dans la vallée ou plutôt dans la plaine au pied de la colline vaticane. De là, par la voie sacrée, dite aussi triomphale, les vainqueurs montaient triomphants au Capitole. Saint Pierre, quant à lui, après avoir soumis le monde au doux joug du Christ, est également tiré de la prison et conduit par le même chemin au lieu où se préparaient ces grandes solennités.
C’est ainsi qu’il célébrait lui aussi la cérémonie du triomphe et s’offrait lui-même en holocauste au Seigneur, hors de la porte de Rome, comme son divin Maître qui avait été crucifié hors de Jérusalem.
Entre la colline du Janicule[29] et le Vatican, il y avait une vallée où se rassemblaient les eaux en formant un marais. Sur l’autre sommet de la montagne qui surplombait le marais, se trouvait le lieu destiné au martyre du plus grand homme du monde. Lorsqu’il arriva au lieu du supplice et vit la croix sur laquelle il était condamné à mourir, l’intrépide athlète, plein de courage et de joie, s’exclama : « Salut, ô croix, salut des nations, étendard du Christ, ô croix très chère, salut, ô réconfort des chrétiens. Tu es celle qui m’assures le chemin du ciel, tu es celle qui m’assures l’entrée dans le royaume de la gloire. Toi, que j’ai vue un jour rouge du très saint sang de mon Maître, sois aujourd’hui mon aide, mon réconfort, mon salut. »[30]
Cependant, Saint Pierre jugeait que c’était pour lui un honneur trop grand de mourir de la même manière que son divin Maître. Il pria donc ses bourreaux de bien vouloir le faire mourir la tête en bas. Comme cette manière de mourir le faisait souffrir davantage, on lui accorda facilement cette grâce. Mais son corps, naturellement, ne pouvait tenir sur la croix si les mains et les pieds étaient seulement fixés avec des clous ; c’est pourquoi on lia ses saints membres à ce dur tronc avec des cordes.
Il avait été accompagné au lieu du supplice par une grande foule de chrétiens et d’infidèles. En vrai homme de Dieu, au milieu des tourments, oublieux presque de lui-même, il consolait les premiers afin qu’ils ne s’affligent pas pour lui ; il s’efforçait de sauver les seconds en les exhortant à abandonner le culte des idoles et à embrasser l’Évangile, afin qu’ils puissent connaître le seul vrai Dieu, créateur de toutes choses. Le Seigneur, qui dirigeait toujours le zèle de ce fidèle ministre, le consola dans cette dernière agonie par la conversion d’un grand nombre d’idolâtres de toute condition et de tout sexe[31].
Pendant que Saint Pierre pendait à la croix, Dieu voulut également le consoler par une vision céleste. Deux anges lui apparurent avec deux couronnes de lys et de roses, pour lui indiquer que ses souffrances étaient arrivées à leur terme et qu’il devait être couronné de gloire dans la bienheureuse éternité[32].
Saint Pierre subit ce noble triomphe sur la croix le 29 juin, l’année soixante-dix de Jésus-Christ et la soixante-septième de l’ère vulgaire. Le même jour où Saint Pierre mourut sur la croix, Saint Paul périt sous l’épée du même tyran, glorifiant Jésus-Christ en étant décapité. Jour véritablement glorieux pour toutes les Églises de la chrétienté, mais spécialement pour celle de Rome, qui, après avoir été fondée par Pierre et longuement nourrie de la doctrine de ces deux Princes des Apôtres, est maintenant consacrée par leur martyre, par leur sang, et élevée au-dessus de toutes les églises du monde.
C’est ainsi qu’au moment où était imminente la destruction de la ville sainte de Jérusalem, et où son temple devait être brûlé, Rome, la capitale et la maîtresse de toutes les nations, devenait par l’intermédiaire de ces deux Apôtres la Jérusalem de la nouvelle alliance, la ville éternelle. Elle devenait d’autant plus glorieuse que la grâce de l’Évangile et le sacerdoce de la nouvelle loi sont plus grands que le sacerdoce, toutes les cérémonies et figures de l’ancienne loi.
Saint Pierre fut martyrisé à l’âge de 86 ans, après un pontificat de 35 ans, 3 mois et 4 jours. Il passa trois ans spécialement à Jérusalem. Il occupa ensuite son siège pendant sept ans à Antioche, et le reste des années à Rome.
CHAPITRE XXX. Tombeau de Saint Pierre. — Attentat contre son corps.
Quand Saint Pierre eut rendu son dernier soupir, de nombreux chrétiens partirent du lieu du supplice en pleurant la mort du suprême Pasteur de l’Église. Saint Lin, son disciple et successeur immédiat, deux frères prêtres, Saint Marc et Saint Apulée, Saint Anaclet et d’autres chrétiens fervents se rassemblèrent autour de la croix de Saint Pierre. Lorsque les bourreaux s’éloignèrent du lieu du martyre, ils déposèrent le corps du saint Apôtre, l’oignirent avec des aromates précieux, l’embaumèrent et l’emportèrent pour l’enterrer près du Cirque, c’est-à-dire près des jardins de Néron sur la colline vaticane, précisément à l’endroit où on le vénère encore aujourd’hui. Son corps fut placé dans un site où avaient déjà été enterrés de nombreux martyrs, disciples des saints Apôtres et prémices de l’Église catholique ; sur ordre de Néron, ils avaient été exposés aux bêtes, ou crucifiés, ou brûlés, ou tués au milieu de tourments inouïs. Saint Anaclet avait érigé là un petit cimetière et c’est là, dans un coin, qu’il éleva une sorte d’oratoire où repose le corps de Saint Pierre. Ce site devint célèbre et tous les papes, successeurs de Saint Pierre, montrèrent toujours un vif désir d’y être enterrés.
Peu après la mort de Saint Pierre, quelques chrétiens d’Orient vinrent à Rome et, pensant que ce serait pour eux un grand trésor de posséder les reliques du saint Apôtre, ils résolurent d’en faire l’acquisition. Mais sachant qu’il serait inutile d’essayer de les acheter avec de l’argent, ils pensèrent à les voler, comme si c’était quelque chose qui leur appartenait, et à les ramener dans les lieux d’où le saint était venu. Ils allèrent donc courageusement au sépulcre, en sortirent le corps et l’emportèrent dans les catacombes, qui sont un lieu creusé sous terre, actuellement appelé de Saint Sébastien, avec l’intention de l’emporter en Orient dès que l’occasion se présenterait.
Mais Dieu, qui avait appelé ce grand Apôtre à Rome pour la rendre glorieuse par le martyre, disposa également que son corps soit conservé dans cette ville et fasse de cette église la plus glorieuse du monde. De fait, lorsque ces Orientaux allèrent pour accomplir leur projet, un orage se leva avec un tourbillon si puissant, que le bruit des tonnerres et le fracas des éclairs les obligèrent à interrompre leur action.
Quand les chrétiens de Rome prirent conscience de ce qui s’était passé, ils sortirent en grande foule de la ville pour reprendre le corps du saint Apôtre et le ramener à nouveau sur la colline vaticane d’où il avait été enlevé[33].
En l’an 103, Saint Anaclet, devenu Souverain Pontife à une époque où les persécutions contre les chrétiens s’étaient un peu calmées, éleva à ses frais un petit temple pour y placer les reliques et tout le sépulcre existant. Ce fut la première église dédiée au Prince des Apôtres.
Ce dépôt sacré resta exposé à la vénération des fidèles jusqu’à la moitié du troisième siècle. Ce n’est qu’en l’an 221, en raison de la férocité avec laquelle les chrétiens étaient persécutés, et par peur que les corps des saints Apôtres Pierre et Paul ne soient profanés par les infidèles, qu’ils furent transportés par le Pontife dans les catacombes dites Cimetière de Saint Calixte, au lieu qui est appelé aujourd’hui cimetière de Saint Sébastien. Mais en l’an 255, le pape Saint Corneille, cédant à la prière et à l’insistance de Sainte Lucine et d’autres chrétiens, ramena le corps de Saint Paul sur la voie d’Ostie, à l’endroit où il avait été décapité. Quant au corps de Saint Pierre, il fut de nouveau transporté et déposé dans la tombe primitive au pied de la colline vaticane.
CHAPITRE XXXI. Tombe et Basilique de Saint Pierre au Vatican.
Dans les premiers siècles de l’Église, les fidèles ne pouvaient généralement pas se rendre au tombeau de Saint Pierre, sauf au risque d’être accusés de christianisme et conduits devant les tribunaux des persécuteurs. Cependant, il y avait toujours une grande affluence de gens, venant des pays les plus éloignés, pour invoquer la protection du Ciel au tombeau de Saint Pierre. Mais lorsque Constantin devint maître de l’Empire romain et mit fin aux persécutions, chacun put librement se montrer comme disciple de Jésus-Christ, et le tombeau de Saint Pierre devint le sanctuaire du monde chrétien, où l’on venait de toute part pour vénérer les reliques du premier Vicaire de Jésus-Christ. L’empereur lui-même professait publiquement l’Évangile, et parmi les nombreux signes qu’il donna de son attachement à la religion catholique, l’un fut d’avoir fait construire plusieurs églises, dont celle en l’honneur du Prince des Apôtres ; celle-ci porte donc parfois le nom de Basilique constantinienne, plus communément connue sous le nom de Basilique Vaticane.
C’est ainsi qu’en l’an 319, sous l’impulsion et à l’invitation de Saint Sylvestre, Constantin établit que le site de la nouvelle Église serait au pied du Vatican, avec le projet d’y inclure tout le petit temple construit par Saint Anaclet qui avait fait l’objet de la vénération commune jusqu’à cette époque. Le jour où l’Empereur Constantin voulut donner le coup d’envoi à la sainte entreprise, il déposa sur le lieu le diadème impérial et tous les insignes royaux, puis se prosterna à terre et versa de grandes larmes de dévotion. Il prit la houe et s’apprêta à creuser le terrain de ses propres mains, donnant ainsi le coup d’envoi à la construction de la nouvelle basilique. Il voulut lui-même en dresser le plan et définir l’espace que devait embrasser le nouveau temple. Pour encourager les gens à prêter main forte à la construction, il voulut porter sur ses épaules douze coffrets de terre en l’honneur des douze Apôtres. On déterra le corps de Saint Pierre, et en présence de nombreux fidèles et de nombreux clercs, Saint Sylvestre le plaça dans un grand coffre d’argent, surmonté d’un autre coffre en bronze doré, planté immobile dans le sol. L’urne qui renfermait le dépôt sacré mesurait cinq pieds de haut, de large et de long ; au-dessus fut placée une grande croix en or pur pesant cent cinquante livres, sur laquelle étaient gravés les noms de Sainte Hélène et de son fils Constantin. Une fois ce majestueux édifice achevé, avec une crypte ou chambre souterraine entièrement ornée d’or et de gemmes précieuses, entourée d’une quantité de lampes d’or et d’argent, on y plaça le précieux trésor : la tête de Saint Pierre. Saint Sylvestre invita de nombreux évêques et les fidèles chrétiens de toutes les parties du monde assistèrent à cette solennité. Pour les encourager encore plus, il ouvrit le trésor de l’Église et accorda de nombreuses indulgences. L’affluence fut extraordinaire, la solennité majestueuse ; c’était la première consécration qui se faisait publiquement avec des rites et des cérémonies telles que celles qui se pratiquent encore aujourd’hui lors de la consécration des édifices sacrés. La fonction se déroula en l’an 324, le dix-huit novembre. L’urne de Saint Pierre alors fermée ne fut jamais rouverte, et elle fut toujours l’objet de vénération dans toute la chrétienté. Constantin fit de nombreux dons pour la décoration et la conservation de cet auguste édifice. Tous les souverains Pontifes rivalisèrent pour rendre glorieux le sépulcre du Prince des Apôtres.
Mais toutes les choses humaines s’usent avec le temps, et la basilique Vaticane se trouva en danger de ruine au XVIe siècle. C’est pourquoi les Pontifes décidèrent de la reconstruire entièrement. Après de nombreuses études, de grands efforts et de grandes dépenses, on put poser la première pierre du nouveau temple en l’an 1506. Le grand pape Jules II, malgré son âge avancé et le profond gouffre dans lequel il devait descendre pour atteindre la base du pilier de la coupole, voulut néanmoins y descendre en personne pour y établir et placer solennellement la première pierre. Il est difficile de décrire les efforts, le travail, l’argent, le temps, les hommes qui furent employés dans cette merveilleuse construction.
Le travail fut achevé en l’espace de cent vingt ans. Ce fut Urbain VIII, assisté de 22 cardinaux et de tous les dignitaires qui ont l’habitude de prendre part aux fonctions pontificales, qui consacra solennellement la majestueuse basilique le 18 novembre 1626, c’est-à-dire le même jour où Saint Sylvestre avait consacré l’ancienne basilique érigée par Constantin. Pendant tout ce temps, au milieu de toutes les restaurations et de tous les travaux de construction, les reliques de Saint Pierre ne subirent aucune translation ; ni l’urne, ni le coffre en bronze ne furent déplacés, pas même la crypte ne fut ouverte. Le nouveau pavement, un peu plus élevé que l’ancien, fut disposé de manière à renfermer la chapelle primitive et à laisser intact l’autel consacré par Saint Sylvestre. À ce propos, il est à noter que lorsque l’architecte Giacomo della Porta surélevait le pavement autour de l’ancien autel pour y superposer le nouveau, il découvrit la fenêtre qui correspondait à l’urne sacrée. En y faisant descendre la lumière, il aperçut la croix d’or placée par Constantin et par Sainte Hélène, sa mère. Il fit immédiatement un rapport de tout cela au Pape, qui en 1594 était Clément VIII. Celui-ci, accompagné des cardinaux Bellarmino et Antoniano, se rendit personnellement sur les lieux et trouva ce que l’architecte avait rapporté. Le Pontife ne voulut ouvrir ni le sépulcre ni l’urne ; il n’accepta même pas que quiconque s’approchât, mais ordonna que l’ouverture fût scellée avec du ciment. Depuis lors, la tombe ne fut jamais rouverte, et personne ne s’est plus approché de ces reliques vénérables.
Les voyageurs qui se rendent à Rome pour visiter la grande basilique Saint-Pierre au Vatican, restent comme envoûtés à la première vue, et les personnages les plus célèbres en talent et en savoir ne savent en donner qu’une faible idée quand ils retournent dans leurs pays.
Voilà ce que l’on peut comprendre avec quelque facilité. Cette église est embellie des marbres précieux ; son ampleur et son élévation atteignent un point qui surprend l’œil qui la contemple ; le sol, les murs, la voûte sont ornés avec une telle maîtrise qu’ils semblent avoir épuisé toutes les ressources de l’art. La coupole, qui s’élève pour ainsi dire jusqu’aux nuages, est un résumé de toutes les beautés de la peinture, de la sculpture et de l’architecture. Au-dessus de la coupole, en fait au-dessus du petit dôme, se trouve une sphère ou boule en bronze doré qui, regardée de la terre, semble une balle de jeu, mais celui qui y monte et y pénètre voit un globe dans lequel seize personnes peuvent s’asseoir confortablement. En un mot, dans cette basilique, tout est si beau, si rare et si bien travaillé que cela dépasse ce que l’on peut imaginer dans le monde. Princes, rois, monarques et empereurs ont contribué à orner cet édifice merveilleux en envoyant des dons magnifiques au tombeau de Saint Pierre, et en els apportant eux-mêmes de très loin.
Et c’est précisément au centre d’un édifice aussi magnifique que reposent les précieuses cendres d’un pauvre pêcheur, d’un homme sans érudition humaine et sans richesses, dont la fortune consistait en un filet de pêche. Et cela fut voulu par Dieu afin que les hommes comprennent comment Dieu, dans sa toute-puissance, prend l’homme le plus humble aux yeux du monde pour le placer sur le trône glorieux afin de gouverner son peuple. Ils comprendront aussi combien Il honore, même dans la vie présente, ses serviteurs fidèles, et se feront ainsi une idée de la gloire immense réservée au Ciel à ceux qui vivent et meurent à son service. Rois, princes, empereurs et les plus grands monarques de la terre sont venus implorer la protection de celui qui fut tiré d’une barque pour être fait pasteur suprême de l’Église. Les hérétiques et les infidèles eux-mêmes furent contraints de le respecter. Dieu aurait pu choisir le pasteur suprême de son Église parmi les plus grands et les plus sages de la terre ; mais alors, peut-être, ces merveilles auraient été attribuées à leur sagesse et à leur puissance. Dieu voulait qu’elles soient entièrement reconnues comme venant de sa main toute-puissante.
Seulement dans de très rares cas, les papes ont permis que les reliques de ce grand protecteur de Rome soient transportées ailleurs. C’est pourquoi peu de lieux de la chrétienté peuvent se vanter d’en posséder : toute la gloire est à Rome.
Si quelqu’un voulait écrire les nombreux pèlerinages faits à toutes les époques, provenant de toutes les parties du monde et de tous les milieux de la société, la multitude des grâces reçues, les miracles stupéfiants opérés là, il devrait écrire beaucoup de gros volumes.
Quant à nous, avec des sentiments de sincère gratitude, et comme conclusion et fruit de ce que nous avons dit sur les actions du Prince des Apôtres, élevons de ferventes prières au trône du Dieu Très-Haut . Prions son heureux Vicaire et glorieux martyr, afin que du Ciel il daigne jeter un regard compatissant sur les besoins présents de son Église, qu’il daigne la protéger et la soutenir dans les assauts vigoureux qu’elle doit subir chaque jour de la part de ses ennemis, qu’il obtienne force et courage pour ses successeurs, pour tous les évêques et pour tous les ministres sacrés, afin que tous se rendent dignes du ministère que le Christ leur a confié. Ainsi réconfortés par son aide céleste, ils pourront récolter des fruits copieux de leurs efforts, et promouvoir la gloire de Dieu et le salut des âmes parmi les peuples chrétiens.
Heureux les peuples qui sont unis à Pierre en la personne de ses successeurs, les Papes. Ils marchent sur le chemin du salut, alors que tous ceux qui se trouvent en dehors de ce chemin et n’appartiennent pas à l’union de Pierre n’ont aucun espoir de salut. Jésus-Christ lui-même nous assure que la sainteté et le salut ne peuvent se trouver que dans l’union avec Pierre, sur lequel repose le fondement inébranlable de son Église. Remercions de tout cœur la bonté divine qui a fait de nous les fils de Pierre.
Et puisqu’il a les clés du royaume des Cieux, prions-le d’être notre protecteur dans les besoins présents, et qu’au dernier jour de notre vie, il daigne nous ouvrir la porte de la bienheureuse éternité.
APPENDICE SUR LA VENUE DE SAINT PIERRE À ROME
Bien que les discussions sur des faits particuliers puissent être considérées comme étrangères à l’historien, la venue de Saint Pierre à Rome, qui est l’un des points les plus importants de l’histoire ecclésiastique, mais vivement combattue par les hérétiques d’aujourd’hui, me semble d’une telle importance qu’elle ne doit pas être omise.
Cela semble d’autant plus opportun que les Protestants, depuis quelque temps, dans leurs livres, journaux et conversations, cherchent à en faire l’objet de raisonnement, toujours dans le but de la mettre en doute et de discréditer notre sainte religion catholique. Ils font cela pour diminuer, voire pour détruire, s’ils le pouvaient, l’autorité du Pape, car, disent-ils, si Pierre n’est pas venu à Rome, les Papes romains ne sont pas ses successeurs, et donc pas héritiers de ses pouvoirs. Mais les efforts des hérétiques montrent seulement à quel point l’autorité du Pape est puissante contre eux ; pour se libérer de celle-ci, ils n’hésitent pas à fabriquer des mensonges, en pervertissant et en niant l’histoire. Nous croyons que ce seul fait suffira à faire connaître la grande malhonnêteté qui règne chez eux, car mettre en doute la venue de Saint Pierre à Rome est la même chose que de douter s’il y a de la lumière lorsque le soleil brille en plein midi.
Je pense qu’il est opportun de faire remarquer ici qu’au jusqu’au XIVe siècle, sur une période d’environ mille quatre cents ans, on ne trouve aucun auteur, ni catholique ni hérétique, qui ait soulevé le moindre doute sur la venue de Saint Pierre à Rome, et nous invitons les adversaires à en citer un seul. Le premier à avoir soulevé ce doute fut Marsile de Padoue, qui vendit sa plume à l’empereur Louis de Bavière ; et tous deux, l’un avec les armes, l’autre avec des doctrines pernicieuses, se déchaînèrent contre le primat du Souverain Pontife. Ce doute, cependant, fut considéré comme ridicule par tous, et disparut avec la mort de son auteur.
Deux cents ans plus tard, au XVIe siècle, surgirent les esprits turbulents de Luther et de Calvin ; de leur l’école sortirent plusieurs, qui dépassèrent la malhonnêteté de leurs propres maîtres en cherchant à susciter le même doute pour mieux tromper les simples et les ignorants. Qui est un peu versé dans l’histoire sait quel crédit mérite celui qui, s’appuyant uniquement sur son caprice, se met à contredire un fait rapporté unanimement par les écrivains de tous les temps et de tous les lieux. Cette seule observation suffirait à rendre manifeste l’insuffisance de ce doute. Cependant, afin que le lecteur connaisse les auteurs qui viennent confirmer de leur autorité ce que nous affirmons, nous en citerons quelques-uns. Puisque les protestants admettent l’autorité de l’Église des quatre premiers siècles et que nous sommes désireux de leur plaire dans tout ce qui est possible, nous nous servirons des écrivains qui ont vécu à cette époque. Certains d’entre eux affirment que Pierre fut à Rome, et d’autres attestent qu’il y fonda son siège épiscopal et y subit le martyre.
Dans sa première lettre aux Corinthiens, le Pape Saint Clément, disciple de Saint Pierre et son successeur au pontificat, donne comme publique et certaine la venue de Saint Pierre à Rome, en ajoutant la longue durée de son séjour et le martyre qu’il y subit avec Saint Paul. Voici ses mots : « L’exemple de ces hommes, qui, vivant saintement, rassemblèrent une grande multitude d’élus et souffrirent de nombreux supplices et tourments, est resté célèbre parmi nous. »
Le martyr Saint Ignace, lui aussi disciple de Saint Pierre et son successeur à l’épiscopat d’Antioche, fut conduit à Rome pour y être martyrisé ; écrivant aux Romains, il leur demande de ne pas vouloir empêcher son martyre en disant :
« Je vous prie, je ne vous commande pas, comme l’ont fait Pierre et Paul : Non ut Petrus et Paulus praecipio vobis. »
La même affirmation se trouve chez Papias, contemporain des précédents et disciple de Saint Jean Évangéliste, comme on peut le voir chez Eusèbe dans son Histoire Ecclésiastique, au livre 2, chapitre 15.
Vers la même époque, nous avons les illustres témoignages de Saint Irénée et de Saint Denys, qui ont longuement connu et conversé avec les disciples des Apôtres, et étaient très informés des événements survenus au sein de l’Église de Rome.
Saint Irénée, évêque de Lyon, mort martyr en l’an 202, atteste que Saint Matthieu a diffusé son Évangile aux Hébreux dans leur propre langue, tandis que Pierre et Paul prêchaient à Rome et y établissaient l’Église : Petro et Paulo Romae evangelizantibus et constituentibus Ecclesiam[34]. Après de tels témoignages, nous ne savons comment les hérétiques osent nier la venue de Saint Pierre à Rome. Presque à la même époque vécurent les célèbres Clément d’Alexandrie, Saint Caïus prêtre de Rome, Tertullien de Carthage, Origène, Saint Cyprien et beaucoup d’autres, qui s’accordent à rapporter la grande affluence des fidèles au tombeau de Saint Pierre martyrisé à Rome. Et tous, pleins de vénération pour le primat dont jouissait l’Église de Rome, disent que c’est de celle-ci que l’on doit attendre les oracles du salut éternel, car Jésus-Christ a promis la conservation de la foi à son fondateur Saint Pierre[35].
En passant ensuite de ces écrivains aux grandes lumières de l’Église, S. Pierre d’Alexandrie, S. Astère d’Amasée, S. Optat de Milève, S. Ambroise, S. Jean Chrysostome, S. Épiphane, S. Maxime de Turin, S. Augustin, S. Cyrille d’Alexandrie et beaucoup d’autres, nous trouvons leurs témoignages unanimes et concordants sur la vérité que nous affirmons, à savoir que Pierre fut à Rome et y subit le martyre. S. Optat, évêque de Milève en Afrique, en écrivant contre les Donatistes, dit ceci : « Tu ne peux pas nier, tu le sais, que dans la ville de Rome, la chaire épiscopale fut tenue dès le début par Pierre. » Par souci de brièveté, nous rapportons seulement les paroles de S. Jérôme, célèbre Docteur du IVe siècle de l’Église : « Pierre, prince des Apôtres, va à Rome dans la deuxième année de l’empereur Claude, et y tient la chaire sacerdotale jusqu’à la dernière année de Néron. Enterré à Rome au Vatican, près de la Voie Triomphale, il est célèbre pour la vénération que lui rend l’univers.[36] » À cela s’ajoutent les nombreux martyrologes des différentes Églises latines, qui nous sont parvenus depuis la plus lointaine antiquité, les Calendriers des Éthiopiens, des Égyptiens, des Syriens, les ménologes des Grecs, ainsi que les liturgies de toutes les Églises chrétiennes dispersées dans les divers pays de la chrétienté. Partout on trouve la preuve de la vérité de ce récit.
Que dire de plus ? Même des protestants quelque peu célèbres en doctrine, comme Gave, Ammendo, Pearson, Grotius, Usserius, Biondello, Scaliger, Basnagio et Newton et beaucoup d’autres s’accordent pour dire que la venue du prince des Apôtres à Rome et sa mort survenue dans cette métropole de l’univers sont des faits incontestables.
Il est vrai que ni les Actes des Apôtres, ni S. Paul dans sa lettre aux Romains n’en font mention. Mais au-delà du fait que des écrivains accrédités reconnaissent que ces auteurs mentionnent avec suffisamment de clarté cet événement[37], nous observons que l’auteur des Actes des Apôtres n’avait pas pour but d’écrire les actions de S. Pierre et des autres Apôtres, mais seulement celles de S. Paul, son compagnon et maître, comme s’il voulait faire l’apologie de cet Apôtre des gentils, le plus méprisé et le plus calomnié par les Juifs. C’est pourquoi, après avoir narré les débuts de l’Église du chapitre XVI jusqu’à la fin de son livre, S. Luc n’écrit plus sur d’autres personnages mais seulement sur Paul et ses compagnons de mission. En fait, dans ses Actes, Luc ne nous raconte même pas tout ce qu’a fait Paul, et que nous ne connaissons que par les lettres de cet Apôtre. Est-ce qu’il parle, par exemple, des trois naufrages subis par son maître, de son combat contre les bêtes à Éphèse, et d’autres exploits dont il est fait mention dans sa deuxième lettre aux Corinthiens et dans celle aux Galates[38] ? Parle-t-il du martyre de Paul, ou même seulement de ce qu’il fit après sa première captivité à Rome ? Parle-t-il peut-être aussi d’une seule de ses 14 lettres ? Rien de tout cela. Alors, pourquoi s’étonner si cet auteur a gardé le silence sur toutes les aventures de Pierre, parmi lesquelles sa venue à Rome ?
Ce que nous avons dit sur le silence de Saint Luc vaut pour le silence de Saint Paul dans sa lettre aux Romains. En écrivant aux Romains, Paul ne salue pas Pierre ; donc, concluent les Protestants, Pierre n’a jamais été à Rome. Quelle étrange raisonnement ! Au mieux, on pourrait en déduire que Pierre à ce moment-là ne se trouvait pas à Rome, et rien de plus. Qui ne sait que Pierre, tout en ayant son siège à Rome, s’en éloignait souvent pour aller fonder d’autres Églises dans diverses parties d’Italie ? N’avait-il pas fait de même lorsqu’il avait son siège à Jérusalem et à Antioche ? C’est précisément à cette époque qu’il voyagea dans diverses parties de la Palestine, puis en Asie Mineure, en Bithynie, dans le Pont, en Galatie, en Cappadoce, à qui il adressa spécialement sa première lettre. On peut donc supposer qu’il faisait de même en Italie, qui lui offrait une moisson très abondante. D’ailleurs, Pierre ne s’occupait pas seulement de Rome en Italie, nous apprend Eusèbe, historien du IVe siècle, qui dit ceci en décrivant les principaux événements de sa vie : « Les preuves des choses faites par Pierre sont ces mêmes Églises qui brillèrent peu après, comme par exemple l’Église de Césarée en Palestine, celle d’Antioche en Syrie et l’Église de la ville de Rome elle-même. Car il a été transmis aux générations futures que Pierre lui-même a fondé ces Églises et toutes celles qui l’entourent. Et il en a été de même de celles d’Égypte et même d’Alexandrie, bien que celles-ci aient été fondées non pas par lui, mais par l’intermédiaire de Marc, son disciple, alors que lui-même était occupé en Italie et parmi les peuples environnants.[39] »
Donc, Paul ne salue pas Pierre dans sa lettre aux Romains, parce qu’il savait qu’à ce moment-là il ne se trouvait peut-être pas à Rome. Certes, si Pierre y avait été, il aurait pu résoudre lui-même la question qui se posait aux fidèles, et qui a donné l’occasion à Paul d’écrire sa célèbre lettre.
Et puis, même si Pierre s’était trouvé dans cette ville, on peut bien dire que Paul dans sa lettre n’a pas laissé aux fidèles le soin de le saluer avec les autres, car il le fit saluer à part par le porteur de celle-ci, ou lui écrivit individuellement comme nous le faisons encore aujourd’hui avec des personnages importants. D’ailleurs, si le fait que Paul, en écrivant aux Romains, n’a pas fait saluer Pierre prouvait que Pierre n’a jamais été à Rome, alors nous devrions aussi dire que Saint Jacques le Mineur n’a jamais été évêque de Jérusalem, car Paul, en écrivant aux Hébreux, ne le salue pas du tout. Or, toute l’antiquité proclame Saint Jacques évêque de Jérusalem. Donc le silence de Paul ne prouve rien contre la venue de Saint Pierre à Rome.
Ajoutons : si le silence de la Sainte Écriture concernant la venue de Saint Pierre à Rome prouvait que Pierre n’est pas venu à Rome, alors on pourrait aussi faire le raisonnement suivant : la Sainte Écriture ne dit pas que Saint Pierre est mort, donc Saint Pierre est encore vivant, et vous, protestants, cherchez-le dans un coin de la terre.
Il y a une autre raison du silence de la Sainte Écriture sur la venue et la mort de Saint Pierre à Rome, et nous ne voulons pas la taire. Que Pierre soit le chef de l’Église, le pasteur suprême, le maître infaillible de tous les fidèles, et que ces prérogatives doivent être transmises à ses successeurs jusqu’à la fin du monde, c’est un dogme de foi, et cela devait donc être révélé soit par la Sainte Écriture, soit par la Tradition divine, comme cela a été. Mais qu’il soit venu et mort à Rome est un fait historique, un fait que l’on pouvait voir de ses propres yeux, toucher de ses propres mains, et donc il n’était pas nécessaire d’avoir un témoignage de la Sainte Écriture pour l’attester, il suffisait pour cela d’avoir les preuves qui annoncent et confirment à l’homme tous les autres faits. Les protestants qui prétendent nier la venue de Saint Pierre à Rome parce qu’on ne peut pas le prouver par des arguments bibliques, tombent dans le ridicule. Que diraient-ils de celui qui nierait la venue et la mort de l’empereur Auguste dans la ville de Nola parce que l’Écriture ne le dit pas ? Si nous voulons nous arrêter sur ce silence des Actes des Apôtres et de la lettre de Saint Paul, disons que cela n’est une preuve ni pour nous, ni pour les protestants. Car la saine logique et la simple raison naturelle nous enseignent que, lorsque l’on cherche la vérité d’un fait passé sous silence par un auteur, il faut chercher la vérité auprès d’autres auteurs qui ont le droit d’en parler. C’est ce que nous avons fait abondamment.
Nous n’ignorons pas non plus que Flavius Josèphe ne parle pas de cette venue de Saint Pierre à Rome, pas plus qu’il ne parle de Saint Paul. Mais que lui importe à lui de parler des chrétiens ? Son but était d’écrire l’histoire du peuple juif et de la guerre judaïque, et non les faits particuliers survenus ailleurs. Il parle bien de Jésus-Christ, de Saint Jean-Baptiste, de Saint Jacques, dont la mort est survenue en Palestine ; mais est-ce qu’il parle de Saint Paul, de Saint André ou des autres Apôtres, qui ont remporté la couronne du martyre en dehors de la Palestine ? Et ne dit-il pas lui-même qu’il veut passer sous silence de nombreux faits survenus de son temps[40] ?
Et puis, n’est-il pas insensé de faire plus confiance à un juif qui n’en parle pas qu’aux premiers chrétiens qui proclament tous d’une seule voix que Saint Pierre est mort à Rome, après y avoir demeuré de nombreuses années ?
Nous ne voulons pas non plus omettre la difficulté que certains soulèvent sur le désaccord des écrivains concernant l’année de la venue de Saint Pierre à Rome. Car de nos jours, les érudits s’accordent généralement sur la chronologie que nous suivons. Mais nous disons que ce désaccord des écrivains anciens prouve la vérité du fait : il démontre qu’un écrivain n’a pas copié l’autre, que chacun se servait des documents ou des mémoires qu’il avait dans son pays et qui étaient publiquement reconnus comme certains. On ne doit pas non plus être surpris par le désaccord chronologique (qui est d’un ou deux ans environ) en des temps reculés où chaque nation avait sa propre manière de compter les années. Mais tous ces auteurs rapportent franchement cette venue de Saint Pierre à Rome et en mentionnent les circonstances minutieuses concernant son séjour et sa mort dans cette ville.
Les adversaires de la venue de Saint Pierre à Rome ajoutent encore ceci : on lit dans la première lettre de Saint Pierre aux fidèles d’Asie qu’il était à Babylone. En effet, voici comment il s’exprime dans ses salutations : « Recevez les salutations de l’Église qui est rassemblée à Babylone, et de Marc, mon fils ». Donc, sa venue à Rome est impossible. Commençons par dire que, même si par Babylone, dont parle Pierre, on entendait la métropole de l’Assyrie, on ne pourrait cependant pas encore en déduire qu’il n’a pas pu venir, et qu’il n’est pas venu à Rome. Son pontificat fut très long, et les critiques s’accordent à dire que la lettre susmentionnée a été écrite avant l’année 43, ou autour de cette date. En effet, il salue aussi les fidèles au nom de Marc, et nous savons par Eusèbe que Marc a été envoyé par Pierre pour fonder l’Église d’Alexandrie en l’an 43 de Jésus-Christ. Il en résulte que Pierre, entre la date de sa lettre et sa mort, avait au moins encore 24 ans à vivre. Dans un intervalle de temps aussi long, n’aurait-il pas pu faire le voyage à Rome ?
Mais nous avons une autre réponse à donner. En parlant de Babylone par métaphore, Pierre entendait parler de la ville de Rome, où il se trouvait justement en écrivant sa lettre. C’est ce qu’affirme toute l’antiquité. Papias, disciple des Apôtres, dit en termes clairs que Pierre a montré qu’il avait écrit sa première lettre à Rome, tout en lui donnant le nom symbolique de Babylone[41]. Saint Jérôme dit également que Pierre, dans sa première lettre, sous le nom de Babylone, signifiait la ville de Rome : Petrus in epistola prima sub nomine Babylonis figurative Romam significans, salutat vos, inquit, ecclesia quae est in Babylone collecta[42]. Un tel langage n’était pas inhabituel chez les chrétiens. Saint Jean donne à Rome le même nom de Babylone. Dans son Apocalypse, après avoir appelé Rome la ville des sept collines, la grande ville qui règne sur les rois de la terre, il annonce sa chute, en écrivant : Cecidit, cecidit Babylon magna : elle est tombée, elle est tombée la grande Babylone[43]. Rien d’étonnant donc que Rome puisse être appelée une Babylone, car elle renfermait en son sein toutes les erreurs répandues dans les diverses parties du monde qu’elle dominait.
Pierre avait également de bonnes raisons de taire le nom littéral du lieu d’où il écrivait. En effet, ayant échappé peu auparavant aux mains d’Hérode Agrippa, et sachant l’étroite amitié qui liait ce roi et l’empereur Claude, il pouvait justement craindre quelque traîtrise de ces deux ennemis du nom chrétien si sa lettre venait à s’égarer. Pour éviter ce danger, la prudence voulait qu’il utilise dans son écrit un mot connu des chrétiens et inconnu des Juifs et des gentils. C’est ce qu’il fit.
De plus, les paroles de Pierre apportent une autre preuve de sa venue à Rome. En effet, en concluant sa lettre, Pierre dit : « L’Église vous salue… ainsi que Marc, mon fils ». Donc Marc se trouvait avec Pierre. Cela dit, toute la tradition proclame unanimement que Marc, fils spirituel de Pierre, son disciple, son interprète, son copiste et je dirais son secrétaire, était à Rome et c’est dans cette ville qu’il écrivit l’Évangile qu’il a entendu prêcher par son Maître[44]. Donc il est nécessaire d’admettre également que Pierre était à Rome avec son disciple.
Nous pouvons maintenant arriver à la conclusion suivante. Pendant quatorze cents ans, jamais personne n’a émis le moindre doute sur la venue de Saint Pierre à Rome. Au contraire, nous avons une longue série d’hommes célèbres pour leur sainteté et leur doctrine, qui depuis les temps apostoliques jusqu’à nous, l’ont toujours acceptée avec autorité. Les liturgies, les martyrologes, et même les ennemis du christianisme s’accordent avec la majorité des protestants sur ce fait.
C’est donc vous, protestants d’aujourd’hui, qui contestez la venue de Saint Pierre à Rome ; vous vous opposez à toute l’antiquité, vous vous opposez à l’autorité des hommes les plus savants et pieux des temps passés, vous vous opposez aux martyrologes, aux ménologes, aux liturgies, aux calendriers de l’antiquité, vous vous opposez à ce que vos propres maîtres ont écrit.
Ô protestants, ouvrez les yeux, écoutez les paroles d’un ami qui vous parle uniquement pour votre bien. Beaucoup prétendent être votre guide dans la vérité, mais ils vous trompent, soit par malice, soit par ignorance. Écoutez la voix de Dieu qui vous appelle à son bercail, sous la garde du pasteur suprême qu’il a établi. Abandonnez votre engagement actuel, surmontez l’obstacle du respect humain, renoncez aux erreurs dans lesquelles des hommes victimes d’illusion vous ont précipités. Revenez à la religion de vos ancêtres, et que certains de vos ancêtres ont abandonnée ; invitez tous les partisans de la Réforme à écouter ce que disait à son époque Tertullien : « Courage, chrétien, si tu veux une assurance dans la grande affaire du salut, fais appel aux Églises fondées par les Apôtres. Va à Rome, d’où émane notre autorité. Heureuse Église, où ils ont répandu toute leur doctrine en même temps que leur sang, où Pierre a souffert un martyre semblable à la passion de son divin Maître, où Paul a obtenu la couronne du martyre en ayant la tête tranchée, où Jean a été plongé dans une chaudière d’huile bouillante sans ressentir aucun mal et a été exilé par la suite sur l’île de Patmos ![45] »
Troisième Édition
Turin
Librairie Salésienne Éditrice 1899
[1ère éd., 1856 ; réimpr. 1867 et 1869 ; 2ème éd., 1884]
PROPRIÉTÉ DE L’ÉDITEUR
S. Pier d’Arena – École Typ. Salésienne
Hospice S. Vincent de Paul
(N. 1265 — M)
Vu : Nihil obstat
Gênes, 12 juin 1899
AGOSTINO Can. MONTALDO
V. Permis d’imprimer
Gênes, 15 juin 1899
Chan. PAOLO CANEVELLO Prov. Gen.
[1] Les informations concernant la vie de Saint Pierre ont été tirées de l’Évangile, des Actes et de certaines lettres des Apôtres, ainsi que de divers autres auteurs, dont les mémoires sont rapportées par César Baronius dans le premier volume de ses annales, par les Bollandistes le 18 janvier, 22 février, 29 juin, 1er août et ailleurs. La vie de Saint Pierre a été largement traitée par Antonio Cesari dans les Actes des Apôtres et aussi dans un volume séparé, par Luigi Cuccagni dans trois volumes consistants, et par beaucoup d’autres.
[2] Saint Ambroise, Commentaire sur l’Évangile de Luc, livre 4.
[3] Saint Ambroise, œuvre citée.
[4] Saint Jérôme, Contre Jovinien, chapitre 1, 26.
[5] Évangile selon Matthieu, chapitre 16.
[6] Genèse, chapitre 41.
[7] Évangile selon Matthieu, chapitre 18.
[8] Évangile selon Matthieu, chapitre 15.
[9] Saint Jean Damascène, Homélie sur la Transfiguration.
[10] Saint Jean Chrysostome, Commentaire sur l’Évangile de Matthieu.
[11] Le transfert de « porte » au sens de « pouvoir », donc le signe pour la chose signifiée, découle du fait que dans l’ancienne loi et chez les peuples orientaux, les princes et les juges exerçaient généralement leur pouvoir législatif et judiciaire devant les portes de la ville (voir III, p. XXII, 2). De plus, cette partie de la ville était maintenue dans un état continu de défense et de protection, de sorte qu’une fois les portes prises, le reste était facilement conquis. Encore aujourd’hui, on dit « Porte Ottomane » ou « Sublime Porte » pour indiquer la puissance turque.
[12] Saint Jérôme, Contre Jovinien, chapitre 1, 26.
[13] Saint Augustin, Sur l’Unité de l’Église.
[14] Saint Irénée, Contre les Hérésies, livre III, n. 3.
[15] Psaumes 68, 108.
[16] Évangile selon Jean, 14, 12.
[17] Voir Saint Basile de Séleucie et les Reconnaissances de Saint Clément.
[18] Voir Théodoret, Saint Jean Chrysostome, Saint Clément, etc.
[19] Benoît XIV, De la Béatification des Serviteurs de Dieu, livre I, chapitre I.
[20] Lettre aux Romains, chapitre I.
[21] Eusèbe, Histoire Ecclésiastique, livre II, chapitre 15.
[22] Première Lettre de Pierre, chapitre 5.
[23] Saint Pacien, lettre 2.
[24] Les saints Pères qui racontent le fait de Simon le Magicien, entre autres, sont : Saint Maxime de Turin, Saint Cyrille de Jérusalem, Saint Sulpice Sévère, Saint Grégoire de Tours, Saint Clément Pape, Saint Basile de Séleucie, Saint Épiphane, Saint Augustin, Saint Ambroise, Saint Jérôme et beaucoup d’autres.
[25] Lactance, livre 4.
[26] Épître 2, chapitre 3.
[27] Les opinions des chercheurs varient quant à l’année du martyre du Prince des Apôtres, mais la plus probable est celle qui l’assigne à l’année 67 de l’ère vulgaire. En effet, Saint Jérôme, infatigable enquêteur et connaisseur des choses sacrées, nous informe que Saint Pierre et Saint Paul ont été martyrisés deux ans après la mort de Sénèque, maître de Néron. Or, Tacite, historien de ces temps, nous apprend que les consuls sous lesquels mourut Sénèque étaient Silius Nerva et Atticus Vestinus, qui ont exercé le consulat en l’année 65 ; donc, les deux Apôtres ont subi le martyre en 67. À ce calcul d’années, pour lequel le martyre est fixé à cette époque, correspondent les 25 ans et presque deux mois pendant lesquels Saint Pierre a tenu son Siège à Rome ; ce nombre d’années a toujours été reconnu par toute l’antiquité (voir « Observations historique-chronologiques » de Mgr Domenico Bartolini, cardinal de la Sainte Église : « Si l’année 67 de l’ère vulgaire est l’année du martyre des glorieux Princes des Apôtres Pierre et Paul », Rome, Tipografia Scalvini, 1866).
[28] La chaîne avec laquelle Saint Pierre a été lié se conserve encore à Rome dans l’église dite Saint-Pierre-aux-Liens (Artano, « Vie de Saint Pierre »).
[29] Sur le point le plus élevé du Mont Janicule, où Ancus Marcius, quatrième roi de Rome, fonda la forteresse, l’église San Pietro in Montorio a été édifiée à l’endroit où le saint Apôtre a subi le martyre. Ce mont a été appelé Janicule, parce qu’il était dédié à Janus, gardien des portes qui en latin se dit ianuae. On dit qu’on a enterré ici également Janus, celui qui a construit cette partie de Rome en face du Capitole. Il a également été appelé Mont Aureo, d’après la toute proche et ancienne Porte Aurélienne. Maintenant, il s’appelle Montorio, ou Mont d’Or, en raison de la couleur jaune de la terre qui couvre cette colline, l’une des sept collines de l’ancienne Rome (voir Moroni, « Églises de Saint Pierre »).
[30] Bollandistes, jour 29 juin.
[31] Saint Éphrem Syrien.
[32] Voir Place Emmanuel.
[33] Voir Saint Grégoire le Grand, épître 30. Baronius à l’année 284.
[34] Saint Irénée, Contre les Hérésies, livre III, chapitre 1.
[35] Gaïus Romain chez Eusèbe ; Clément d’Alexandrie, Stromates, livre 7 ; Tertullien, De persecutionibus ; Origène chez Eusèbe, livre 3 ; Saint Cyprien, lettre 52 à Antonin et lettre 55 à Cornelius.
[36] Saint Jérôme, De viris illustribus, chapitre 1.
[37] Théodoret, évêque de Cyr, homme très versé dans l’histoire ecclésiastique, mort en l’an 450, commentant la Lettre de Saint Paul aux Romains, là où l’Apôtre écrit : « Je désirerais vous voir, pour vous communiquer quelque don spirituel afin que vous soyez fortifiés » (Romains 1,11), ajoute que Paul n’a pas dit vouloir les confirmer, parce que le grand Saint Pierre leur avait déjà communiqué l’Évangile en premier : « Parce que Pierre leur a donné le premier la doctrine évangélique, il a nécessairement ajouté ‘pour vous confirmer' » (Commentaire à la Lettre aux Romains).
[38] 1 Corinthiens 11, 23-24 ; Galates 1, 17-18.
[39] Voir Théophanie.
[40] Antiquités Judaïques, livre 20, chapitre 5.
[41] Chez Eusèbe, livre II, 14.
[42] Saint Jérôme, De viris illustribus.
[43] Apocalypse 17,5 ; 18,2.
[44] Voir Saint Jérôme, De viris illustribus, chapitre 8.
[45] Tertullien, De praescriptione haereticorum, chapitre 36.