🕙: 12 min.
image_pdfimage_print

La psychologie moderne a montré l’importance et l’influence de nos émotions dans la vie de notre psychisme. Mais on ne parle plus guère des « passions de l’âme », que l’anthropologie classique analysait soigneusement, comme en témoigne l’œuvre de François de Sales, notamment quand il écrit que « l’âme en tant qu’âme est la source des passions et affections ». Dans le vocabulaire de François de Sales, le terme « émotion » n’apparaît pas encore avec les connotations que nous lui connaissons. Par contre, il dira que nos passions sont « émues » dans certaines circonstances. En éducation la question qui se pose est l’attitude qu’il convient d’avoir devant ces manifestations involontaires de notre sensibilité et qui ont presque toujours des répercussions physiologiques. L’humanisme de saint François de Sales s’accommode-t-il de ces phénomènes « remuants » ?


« Je suis tant homme que rien plus »
            Tous eux qui ont connu François de Sales ont noté sa grande sensibilité et émotivité. Parfois on lui voyait monter le sang au visage et il devenait tout rouge. Comme un bon Savoyard, c’était « un volcan sous la neige ». On l’a vu pleurer sur la mort des êtres chers, mais aussi sur les péchés des autres. Lors de la mort de sa petite sœur Jeanne, qu’il avait « baptisée de ses propres mains », il écrivait à Jeanne de Chantal, elle-même consternée :

Hélas, ma Fille, je suis tant homme que rien plus. Mon cœur s’est attendri plus que je n’eusse pensé ; mais la vérité est que le déplaisir de ma mère et le vôtre y ont beaucoup contribué, car j’ai eu peur de votre cœur et de celui de ma mère.

            Comme on le voit, il ne refoulait pas systématiquement les manifestations extérieures de ses sentiments, son humanisme s’en accommodait. Il a pleuré à la mort de sa mère, de sa petite sœur, de son évêque. Un témoignage précieux de Jeanne de Chantal nous apprend que « notre saint n’était pas exempt de sentiments et émotions des passions, et ne voulait pas qu’on désirât d’en être affranchi ».
            Comme ils sont nombreux et divers les états successifs de notre âme ! Tantôt elle est « triste, joyeuse, en douceur, en amertume, en paix, en trouble, en clarté, en ténèbres, en tentations, en repos, en goût, en dégoût, en sécheresse, en tendreté ». François de Sales remarque sans tarder que les passions de l’âme réagissent sur le corps, provoquant des manifestations extérieures des mouvements intérieurs : « Quand on craint on devient pâle ; quand l’on nous avertit de quelque chose qui nous fâche, la couleur monte au visage et l’on devient rouge, ou bien la fâcherie nous tire la larme de l’œil. » Quand Mme de Chantal rencontrera l’assassin de son mari, que se passera-t-il ?

Je sais que sans doute, [votre cœur] se remuera et renversera, que votre sang bouillonnera ; mais qu’est cela ? Ainsi fit bien celui de notre cher Sauveur à la vue de son Lazare mort et de sa passion représentée. […] C’est cela, ma Fille : Dieu nous fait voir en ces émotions, combien nous sommes de chair, d’os et d’esprit.

            François de Sales n’était pas de l’avis des « apathistes » qui affirmaient que « les saints et les justes étaient exempts de toute perturbation » ; même le Christ a été troublé, et s’il n’a pas eu des passions proprement dites, on lui attribue cependant des « propassions ». C’est une erreur de penser que « l’homme, par une soigneuse et fréquente mortification, pouvait arriver jusques là que d’être sans passions et émotions de colère ; qu’il pouvait recevoir un soufflet sans rougir, être injurié, moqué, battu sans le ressentir ». C’est faux, parce que « tant que l’homme vivra, rampera et traînera sur cette terre il aura des passions, sentira des trémoussements de colère, des soulèvements de cœur, des affections, inclinations, répugnances, aversions et telles autres choses auxquelles nous sommes tous sujets ».

Les douze passions de l’âme
            Le nombre des passions a varié. L’Introduction à la vie dévote en compte sept, semblables aux sept cordes d’un luth qu’il faut accorder au cours de l’exercice annuel de renouvellement spirituel : l’amour, la haine, le désir, la crainte, l’espérance, la tristesse et la joie. Plus tard, au chapitre III du premier livre du Traité de l’amour de Dieu, on en compte pas moins de douze, comme autant de tribus formant tout un peuple : « l’amour, le désir, l’espérance, le désespoir, la joie, la haine, la fuite du mal, la crainte, le courage, la colère, la tristesse et la satisfaction ou assouvissement ».

L’amour, première et principale passion
            La cause est entendue : « L’amour tient le premier rang entre les passions de l’âme : c’est le roi de tous les mouvements du cœur, il convertit tout le reste à soi et nous rend tels que ce qu’il aime. »
            Pour parler de l’amour, l’évêque de Genève prend l’image de l’horloge : « L’amour est la vie de notre cœur ; et comme le contrepoids donne le mouvement à toutes les pièces d’un horloge, aussi l’amour donne à l’âme tous les mouvements qu’elle a ».
            En tant que passion ou émotion, l’amour naît spontanément du plaisir que suscitent les qualités extérieures de la personne ou des choses, alors que la haine ou antipathie provient de la vue des défauts ou laideurs. Cette attirance ou antipathie naturelle que nous éprouvons pour certaines personnes ou certaines choses peut être très utile. Cependant, elle doit se soumettre aux deux facultés supérieures que sont la raison et la volonté.
            La haine, écrit François de Sales citant saint Jean Chrysostome, « est un démon volontaire, une manie voulue, un jouet du diable ». Mais il s’agit ici de la haine entretenue entre les personnes. Il y a des haines instinctives, irrationnelles, inconscientes : entre les mulets et les chevaux, entre le chou et la brebis… Mais la haine peut devenir très bonne et utile quand on déteste le péché, ainsi que « toutes les affections, dépendances et acheminements du péché ».

Le désir et la fuite
            Le désir consiste en « l’espérance d’un bien futur ». « Le désir qui précède la jouissance aiguise et affine le ressentiment d’icelle, et plus le désir a été pressant et puissant, plus la possession de la chose désirée est agréable et délicieuse ».
            Les désirs les plus communs sont les désirs touchant les biens, les plaisirs et les honneurs. L’auteur de l’Introduction propose une éducation du désir : il faut se garder du désir des choses vicieuses, des choses dangereuses, des choses fort éloignées, ou de rêver d’une autre vie impossible, même pour des motifs élevés ou religieux. François de Sales enseigne le réalisme. Il faut prendre les personnes, les choses, les événements tels qu’ils sont, à commencer par soi-même. À quoi sert-il de désirer même d’avoir un esprit ou un jugement meilleurs que celui que l’on a ? « Chacun doit avoir [le désir] de cultiver le sien tel qu’il est ».

L’espoir et le désespoir
            L’espoir concerne un bien que l’on pense pouvoir obtenir. Philothée est invitée à examiner comment elle s’est comportée « en l’espérance, trop mise peut-être au monde et en la créature, et trop peu mise en Dieu et ès choses éternelles ».
            Le désespoir fait partie de ces passions dont il est extrêmement difficile de faire un usage positif, à moins qu’on le réduise à « la juste défiance de nous-mêmes, ou bien au sentiment que nous devons avoir de la vanité, faiblesse et inconstance des faveurs, assistances et promesses du monde ». Voyez le désespoir des « jeunes apprentis de la perfection » :
            Dès qu’ils rencontrent de la difficulté en leur chemin, voilà quant et quant (en même temps) le chagrin qui les pousse à faire tant de plaintes qu’il semble qu’il y ait grand pitié en eux. L’orgueil ou la vanité ne leur peut permettre un petit défaut que tout incontinent [aussitôt] ils n’entrent en de grands troubles qui les portent par après au désespoir : Ô Dieu, il ne faut plus rien attendre de moi, je ne ferai jamais rien qui vaille ! C’est bien dit ; hé, pensiez-vous être si brave que de ne point faillir ? En toutes sortes d’arts il faut être apprenti, premier que d’être maître.

La joie et la tristesse
            La joie est « l’allégresse pour le bien obtenu ». Lorsque nous rencontrons ceux que nous aimons, « il ne se peut pas faire que nous ne soyons émus de joie et de contentement ». Mais la joie peut être « excessive et pour choses indignes ». La joie va parfois jusqu’au rire. La possession d’un bien provoque infailliblement une complaisance ou jouissance, comme la loi de la gravité « émeut » la pierre :

Le poids des choses les ébranle, les meut et les arrête : c’est le poids de la pierre qui lui donne l’émotion et le branle à la descente, soudain que les empêchements lui sont ôtés ; c’est le même poids qui lui fait continuer son mouvement en bas ; et c’est enfin le même poids encore qui la fait arrêter et accoiser (reposer) quand elle est arrivée en son lieu.

            La tristesse est presque toujours mauvaise, à part celle qui consiste à s’affliger d’un mal réel chez autrui et chez soi-même, mais même dans ce cas il faut ne pas se laisser abattre par l’excès. La tristesse est presque toujours inutile, voire contraire au service du saint amour. Méfions-nous de la mauvaise tristesse qui « trouble l’âme, donne des craintes déréglées, dégoûte de l’oraison, assoupit et accable le cerveau, prive l’âme de conseil, de résolution, de jugement et de courage ».
            Il faut donc la chasser le plus possible. François de Sales donne pour cela un certain nombre de conseils. À côté des remèdes proprement spirituels, il conseille de « s’employer aux œuvres extérieures », de « les diversifier le plus que l’on peut, pour divertir l’âme de l’objet triste, purifier et échauffer l’âme les esprits ». Un autre remède très utile consistera à découvrir tous les sentiments de son âme à une personne de confiance. La tristesse est « la douleur pour le mal présent ». Elle peut aller dans certains cas jusqu’aux pleurs :

Un père, envoyant son fils en cour ou aux études, ne laisse pas de pleurer en le licenciant, témoignant qu’encore qu’il veuille selon la portion supérieure le départ de cet enfant pour son avancement à la vertu, néanmoins selon l’inférieure il a de la répugnance à la séparation ; et quoiqu’une fille soit mariée au gré de son père et de sa mère, si est-ce que prenant leur bénédiction elle excite les larmes, en sorte que la volonté supérieure acquiesçant à son départ, l’inférieure montre de la résistance.

            Elle aussi peut être excessive et pour des choses vaines, comme pour ce pauvre Alexandre le Grand, qui se laissa aller à une passion déraisonnable quand il apprend qu’il y avait d’autres terres qu’il ne pourra jamais conquérir : « Comme un petit enfant qui veut pleurer pour une pomme qu’on lui refuse, cet Alexandre que les mondains appellent le Grand, plus fol néanmoins qu’un petit enfant, se prend à pleurer à chaudes larmes de quoi il n’y avait pas apparence qu’il pût conquérir les autres mondes ».
            La tristesse est une passion de l’âme qu’il est très difficile de faire servir au bien. Certes, il y a une « tristesse selon Dieu » qui est bonne parce qu’elle conduit à la pénitence et qu’il faudrait nommer plutôt déplaisir, ou sentiment et détestation du mal ; elle n’engourdit pas l’esprit, mais le rend actif, prompt et diligent, ce qui la rend fort utile. Il y a une tristesse qui procède de la condition naturelle de ceux qui ont l’humeur mélancolique et qu’il est difficile de changer, mais dont il faut néanmoins combattre le plus possible les manifestations. Quant à la tristesse qui procède de la variété des accidents humains de cette vie, elle peut servir grandement à progresser dans l’espérance chrétienne. Aussi, « parmi toutes les mélancolies qui nous peuvent arriver, nous devons employer l’autorité de la volonté supérieure pour faire tout ce qui se peut en faveur du divin amour ».
            Certes, quelqu’un qui est d’humeur mélancolique pourra difficilement changer son tempérament, mais il pourra dire des paroles « gracieuses, bonteuses et courtoises, et, malgré son inclination, faire par raison les choses convenables, en paroles et en œuvres de charité, douceur et condescendance ». « On est excusable de n’être pas toujours gai, car on n’est pas maître de la gaieté pour l’avoir quand on veut ; mais on n’est pas excusable de n’être pas toujours bonteux, maniable et condescendant, car cela est toujours au pouvoir de notre volonté. »

Le courage et la crainte
            L’homme est un être perpétuellement agité de mouvements divers « qui tantôt l’élèvent aux espérances, tantôt l’abaissent par la crainte ». La crainte se rapporte à un « mal à venir ». Avant d’être une vertu, le courage est un sentiment qui nous envahit parfois devant les difficultés qui devraient normalement nous abattre. François de Sales l’a éprouvé au moment d’entreprendre une longue visite de son diocèse de montagnes :

Tout maintenant je monte à cheval pour la visite qui durera environ cinq mois. […] Je m’y en vais de grand courage, et dès ce matin, j’ai senti une particulière consolation à l’entreprendre, quoiqu’auparavant, durant plusieurs jours, j’en eusse eu mille vaines appréhensions et tristesses, lesquelles néanmoins ne touchaient que la peau de mon cœur et non point l’intérieur : c’était comme ces frissonnements qui arrivent au premier sentiment de quelque froidure.

            Mais il y a aussi certains courages qui ne méritent pas ce nom, comme celui de se battre en duel : l’évêque de Genève se demande comment « l’on peut avoir un courage si déréglé, même pour des bagatelles et choses de rien ». Le vrai courage est celui qui est réglé par la raison. Et quant au courage chrétien, c’est tout simplement un don de Dieu.
            Au contraire, il n’est pas en notre pouvoir de ne pas ressentir la crainte en certaines occasions : « C’est comme qui dirait à une personne à la rencontre d’un lion ou d’un ours : n’ayez point peur ». Les enfants « voient un chien qui aboie, soudain ils se prennent à crier, et ne cessent point qu’ils ne soient auprès de leur maman ». Il en est de même face aux éléments déchaînés de la nature :

Les éclairs, tonnerres, foudres, tempêtes, inondations, tremble-terre et autres tels accidents inopinés excitent même les plus indévots à craindre Dieu ; et la nature, prévenant le discours en telles occurrences, pousse le cœur, les yeux et les mains mêmes devers le ciel pour réclamer le secours de la très sainte Divinité, selon le sentiment commun du genre humain, qui est, dit Tite-Live, que ceux qui servent la Divinité prospèrent, et ceux qui la méprisent sont affligés.

            Certains, voulant faire les courageux, vont de nuit quelque part, mais « dès qu’ils entendent tomber une petite pierre du plancher, ou qu’ils oyent (entendent) seulement courir une petite souris se prennent à crier : Ô mon Dieu ! – Qu’est-ce, leur dit-on, qu’avez-vous trouvé ? – J’ai ouï. – Et quoi ? – Je ne sais ». Cette crainte naturelle, que nous n’avons pas choisie, n’est ni louable ni blâmable, mais elle est peut être utile. Il y a des craintes salutaires et d’autres exagérées : « crainte des dangers de pécher et des pertes des biens de ce monde : on craint trop l’un, et trop peu l’autre ».

La colère et son assouvissement
            François de Sales reconnaissait que « de son naturel, il était fort prompt et sujet à se mettre en colère ». On ne peut s’empêcher de ressentir de la colère en certaines circonstances : « Si l’on me vient rapporter que quelqu’un a médit de moi, ou que l’on me fasse quelque autre contradiction, incontinent (aussitôt) la colère s’émeut et je n’ai pas une veine qui ne se torde, parce que le sang bouillonne ».
            La colère, de soi, n’est pas mauvaise : elle est « un serviteur qui, étant puissant, courageux et grand entrepreneur, fait aussi d’abord beaucoup de besogne ». Dans certains cas elle est « un secours donné à la raison ». Mais c’est un serviteur qui peut devenir dangereux et peu désirable. C’est surtout au sujet de la colère que François de Sales multiplie les conseils et les mises en garde, parce que cette passion est difficile à maîtriser. Elle peut parfois être légitime et les grands saints ont su la lancer et la retirer comme bon leur semblait ; « mais nous autres, qui avons des passions indomptées, toutes jeunes, ou du moins mal apprises, nous ne pouvons lâcher notre ire qu’avec péril de beaucoup de désordre, parce qu’étant une fois en campagne on ne la peut plus retenir ni ranger comme il serait requis ».

Un idéal difficile à atteindre : l’égalité d’humeur
            Les émotions et les passions font de l’homme un être extrêmement sujet aux variations de la « température » psychologique, à l’image des variations climatiques : « sa vie s’écoule sur cette terre comme les eaux, flottant et ondoyant en une perpétuelle diversité de mouvements ».
            Malgré certaines expressions où il est question de « suffoquer et étouffer les passions », pour François de Sales il ne s’agit pas d’éliminer les émotions, passions et sentiments, chose impossible, mais de les contrôler autant que faire se peut, c’est-à-dire de les modérer et de les orienter vers une fin qui soit bonne. La tradition philosophique, préoccupée de la « constance », et la tradition spirituelle orientée vers la recherche de la paix de l’âme et la lutte contre l’inquiétude, en tant qu’elle est le fruit de l’amour-propre, se rejoignent ici :

Il nous faut tâcher d’avoir une continuelle et inviolable égalité de cœur en une si grande inégalité d’accidents, et quoique toutes choses se tournent et varient diversement autour de nous, il nous faut demeurer constamment immobiles à toujours regarder, tendre et prétendre à notre Dieu.

            Les médecins que connaissait François de Sales disaient que « quand les quatre humeurs sont en bon ordre tout va bien, et l’on jouit d’une pleine santé ; comme au contraire, quand l’une prédomine sur l’autre on est malade, et à mesure que la prédomination est grande, la maladie l’est aussi. Par exemple, quand le flegme vient à surabonder, il réduit l’homme à de graves infirmités ».
            En réalité, il y en a toujours l’une ou l’autre qui prédomine, ce qui fait que la santé n’est presque jamais pleine et entière, mais elle penche toujours de quelque côté. Il en va de même pour les passions et les émotions. Quand l’une d’elles prédomine sur l’autre, elle cause des maladies et des bizarreries :

Aujourd’hui on sera joyeux à l’excès, et tôt après on sera démesurément triste. En temps de carnaval, on verra des joies et liesses qui se montrent par des actions badines et folâtres, et bientôt après vous verrez des tristesses et ennuis si extrêmes que c’est chose horrible et, ce semble, irrémédiable. Tel aura à cette heure trop d’espérance et ne pourra craindre chose quelconque, lequel peu après sera saisi d’une crainte qui l’enfoncera jusques aux enfers.

            Quand les passions nous rendent malades, deux méthodes sont possibles, correspondant à l’allopathie et à l’homéopathie : « Nous combattons les passions, ou leur opposant des passions contraires, ou leur opposant des plus grandes affections de leur sorte. »
            Il ne s’agit donc pas de feindre d’ignorer ces passions et émotions, comme si elles n’existaient pas – ce qui est impossible – mais de « veiller continuellement sur son cœur et sur son esprit pour tenir les passions en règle et sous l’empire de la raison ; autrement on ne verra que bizarreries et inégalités ». La raison, dit-il encore, « s’empare tantôt d’une passion, tantôt de l’autre, pour la modérer et gouverner ». Philothée sera heureuse quand elle aura pacifié beaucoup de passions qui l’inquiétaient.
            Le but à atteindre est exprimé par une formule typique : « posséder son âme », ce qui exige avant tout la patience : « C’est le grand bonheur de l’homme, Philothée, que de posséder son âme ; et à mesure que la patience est plus parfaite, nous possédons plus parfaitement nos âmes. » Malgré les difficultés, il faut tâcher d’acquérir « ce bien non pareil de l’égalité ». L’égalité de l’esprit est « un des plus illustres ornements de la vie chrétienne et un des plus aimables moyens pour acquérir et conserver la grâce de Dieu, et même de bien édifier le prochain. Ce sera le rôle des facultés supérieures, la raison et surtout la volonté, de « régler » les passions.

P. Wirth MORAND
Salésien de Don Bosco, professeur d'université, bibliste et historien salésien, membre émérite du Centre d'études Don Bosco, auteur de plusieurs ouvrages.