Stefano Sándor (Szolnok 1914 – Budapest 1953) est un martyr coadjuteur salésien. Jeune homme joyeux et dévot, après ses études en métallurgie, il entra chez les Salésiens, devenant maître typographe et guide pour les jeunes. Il anima des oratoires, fonda la Jeunesse Ouvrière Catholique et transforma les tranchées et les chantiers en « oratoires festifs ». Lorsque le régime communiste confisqua les œuvres ecclésiales, il continua clandestinement à éduquer et à sauver des jeunes et des machines ; arrêté, il fut pendu le 8 juin 1953. Enraciné dans l’Eucharistie et dans la dévotion à Marie, il incarna la radicalité évangélique de Don Bosco avec un dévouement éducatif, un courage et une foi inébranlable. Béatifié par le pape François en 2013, il demeure un modèle de sainteté laïque salésienne.
1. Notes biographiques
Istvan (Étienne) Sandor est né à Szolnok, en Hongrie, le 26 octobre 1914 de Istvan et Maria Fekete, premier de trois frères. Son père était employé aux Chemins de fer de l’État ; sa mère était femme au foyer. Tous deux ont transmis à leurs enfants un profond sens religieux. Étienne fit ses études dans sa ville, obtenant son diplôme de technicien en métallurgie. Dès son jeune âge, il était estimé par ses camarades, il était joyeux, sérieux et gentil. Il aidait ses petits frères à étudier et à prier, en donnant lui-même l’exemple. Il a fait sa confirmation avec ferveur, s’engageant à imiter son saint protecteur et saint Pierre. Il assistait chaque jour à la messe célébrée par les pères franciscains, et recevait l’Eucharistie.
Il connut Don Bosco en lisant le Bulletin Salésien. Il s’est immédiatement senti attiré par le charisme salésien. Il en parla à son directeur spirituel, exprimant le désir d’entrer dans la Congrégation salésienne. Il en parla également à ses parents, qui lui ont refusé leur consentement et ont cherché par tous les moyens à l’en dissuader. Mais Étienne réussit à les convaincre, et en 1936, il fut accepté au Clarisseum, siège des Salésiens à Budapest, où en deux ans, il a fait son aspirantat. Il suivit des cours de technicien imprimeur à l’imprimerie « Don Bosco ». Il commença son noviciat, qu’il dut interrompre en raison de son appel sous les drapeaux.
En 1939, il obtint son congé définitif et, après un an de noviciat, il prononça sa première profession le 8 septembre 1940 en tant que salésien coadjuteur. Affecté au Clarisseum, il s’engagea activement dans l’enseignement dans les cours professionnels. Il fut également chargé de l’assistance à l’oratoire, qu’il dirigea avec enthousiasme et compétence. Il a été le promoteur de la Jeunesse Ouvrière Catholique. Son groupe a été reconnu comme le meilleur du mouvement. À l’exemple de Don Bosco, il s’est montré un éducateur modèle. En 1942, il fut rappelé au front et reçut une médaille d’argent pour sa valeur militaire. La tranchée était pour lui un oratoire festif qu’il animait salésiennement, réconfortant ses camarades de service. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, il s’engagea dans la reconstruction matérielle et morale de la société, se consacrant en particulier aux jeunes les plus pauvres, qu’il rassemblait en leur enseignant un métier. Le 24 juillet 1946, il prononça sa profession perpétuelle. En 1948, il obtint le titre de maître-imprimeur. À la fin de ses études, les élèves d’Istvan étaient embauchés dans les meilleures imprimeries de la capitale Budapest et de la Hongrie.
Lorsqu’en 1949, sous Mátyás Rákosi, l’État nationalisa les biens ecclésiastiques et que les persécutions contre les écoles catholiques ont commencé, obligeant celles-ci à fermer leurs portes, Sandor essaya de sauver ce qui pouvait l’être, au moins quelques machines à imprimer et quelques meubles qui avaient coûté tant de sacrifices. Tout d’un coup, les religieux se sont retrouvés sans rien, tout était devenu propriété de l’État. Le stalinisme de Rákosi continua à s’acharner sur les religieux, qui furent dispersés. Sans maison, sans travail, sans communauté, beaucoup se sont retrouvés dans la clandestinité. Ils se sont adaptés en faisant de tout : balayeurs, agriculteurs, manœuvres, porteurs, serviteurs… Même Étienne a dû « disparaître », laissant son imprimerie devenue célèbre. Au lieu de se réfugier à l’étranger, il est resté dans son pays pour sauver la jeunesse hongroise. Pris sur le fait (il essayait de sauver des machines à imprimer), il dut fuir rapidement et rester caché pendant plusieurs mois. Puis, sous un autre nom, il réussit à se faire embaucher dans une usine de détergents de la capitale, tout en continuant, intrépide et clandestinement, son apostolat, sachant que c’était une activité strictement interdite. En juillet 1952, il fut arrêté sur son lieu de travail et n’a plus été revu par ses confrères. Un document officiel atteste de son procès et de sa condamnation à mort, exécutée par pendaison le 8 juin 1953.
La phase diocésaine de la Cause de martyre a commencé à Budapest le 24 mai 2006 et s’est terminée le 8 décembre 2007. Le 27 mars 2013, le pape François a autorisé la Congrégation des Causes des Saints à promulguer le Décret de martyre et à célébrer le rite de béatification, qui a eu lieu le samedi 19 octobre 2013 à Budapest.
2. Témoignage original de sainteté salésienne
Ces notes rapides sur la biographie de Sandor nous ont introduits au cœur de son parcours spirituel. En contemplant la physionomie que la vocation salésienne a prise en lui, marquée par l’action de l’Esprit et maintenant proposée par l’Église, nous découvrons certains traits de cette sainteté : le sens profond de Dieu et la disponibilité pleine et sereine à sa volonté, l’attraction pour Don Bosco et l’appartenance cordiale à la communauté salésienne, la présence animatrice et encourageante parmi les jeunes, l’esprit de famille, la vie spirituelle et de prière cultivée personnellement et partagée avec la communauté, la totale consécration à la mission salésienne vécue dans le dévouement aux apprentis et aux jeunes travailleurs, aux garçons de l’oratoire et à l’animation des groupes de jeunes. Il s’agit d’une présence active dans le monde éducatif et social, toute animée par la charité du Christ qui le pousse intérieurement !
Certains de ses gestes ont quelque chose d’héroïque et d’insolite, jusqu’au don suprême de la vie pour le salut de la jeunesse hongroise. « Un jeune voulait sauter dans le tram qui passait devant la maison salésienne. En faisant un mouvement maladroit, il tomba sous le véhicule. La voiture s’est arrêtée trop tard et une roue le blessa profondément à la cuisse. Une grande foule arriva pour regarder la scène sans intervenir, tandis que le pauvre malheureux était sur le point de se vider de son sang. À ce moment-là, la porte du collège s’ouvrit et Pista (nom familier d’Istvan) sortit en courant avec une civière sous le bras. Il jeta sa veste par terre, se glissa sous le tram et sortit le jeune avec prudence, serra sa ceinture autour de la cuisse ensanglantée et coucha le garçon sur la civière. À ce moment-là, l’ambulance est arrivée. La foule a acclamé Pista avec enthousiasme. Il a rougi, mais n’a pas pu cacher la joie d’avoir sauvé la vie de quelqu’un ».
Un de ses élèves se souvient également : « Un jour, je suis tombé gravement malade de la fièvre typhoïde. À l’hôpital d’Újpest, tandis qu’à mon chevet mes parents s’inquiétaient pour ma vie, Étienne Sandor s’est proposé pour me donner son sang, si c’était nécessaire. Ce geste de générosité a beaucoup ému ma mère et toutes les personnes autour de moi ».
Bien que plus de soixante ans se soient écoulés depuis son martyre et que l’évolution de la Vie Consacrée, de l’expérience salésienne, de la vocation et de la formation du salésien coadjuteur ait été profonde, le chemin salésien vers la sainteté tel qu’il a été tracé par Étienne Sandor est un signe et un message qui ouvre des perspectives pour aujourd’hui. C’est ainsi que se réalise l’affirmation des Constitutions salésiennes : « Les confrères qui ont vécu ou vivent pleinement le projet évangélique des Constitutions sont pour nous un stimulant et une aide dans le chemin de sanctification ». Sa béatification indique concrètement cette « haute mesure de la vie chrétienne ordinaire » indiquée par Jean-Paul II dans sa lettre apostolique Novo Millennio Ineunte.
2.1. Sous l’étendard de Don Bosco
Il est toujours intéressant d’essayer de découvrir dans le plan mystérieux que le Seigneur tisse pour chacun de nous le fil conducteur de toute l’existence. En une formule synthétique, le secret qui a inspiré et guidé tous les pas de la vie d’Istvan Sandor peut se résumer par ces mots : à la suite de Jésus, avec Don Bosco et comme Don Bosco, partout et toujours. Dans l’histoire vocationnelle d’Istvan, Don Bosco fait irruption de manière originale et avec les traits typiques d’une vocation bien identifiée, comme l’a écrit le curé franciscain en présentant le jeune Étienne : « Ici à Szolnok, dans notre paroisse, nous avons un jeune qui est très bien. Il s’appelle Istvan Sandor dont je suis le père spirituel. Après avoir terminé l’école technique, il a appris le métier dans une école de métallurgie. Il communie quotidiennement et aimerait entrer dans un ordre religieux. Chez nous, nous n’aurions aucune difficulté, mais il aimerait entrer chez les Salésiens en tant que frère laïc ».
Ce jugement élogieux du curé et directeur spirituel met en évidence plusieurs choses : le travail et la prière comme traits typiques de la vie salésienne, un chemin spirituel persévérant et constant avec un guide spirituel, l’apprentissage du métier de typographe dans lequel il se perfectionnera et se spécialisera avec le temps.
Il avait connu Don Bosco par le biais du Bulletin Salésien et des publications salésiennes de Rákospalota. De ce contact à travers la presse salésienne est peut-être née sa passion pour l’imprimerie et pour les livres. Dans la lettre au Provincial des Salésiens de Hongrie, don János Antal, où il demande à être accepté parmi les fils de Don Bosco, il déclarait : « Je sens la vocation d’entrer dans la Congrégation salésienne. Partout il faut travailler ; sans travail, on ne peut atteindre la vie éternelle. J’aime travailler ».
Dès le début, on voit chez lui la volonté forte et décidée de persévérer dans la vocation reçue, comme cela se produira effectivement par la suite. Lorsque le 28 mai 1936, il a fait sa demande d’admission au noviciat salésien, il déclare avoir « connu la Congrégation salésienne et avoir été toujours plus confirmé dans sa vocation religieuse, avec l’espoir de pouvoir persévérer sous l’étendard de Don Bosco ». En quelques mots, Sandor exprime une conscience vocationnelle de haut niveau : connaissance expérientielle de la vie et de l’esprit de la Congrégation, confirmation d’un choix juste et irréversible, assurance pour l’avenir d’être fidèle sur le champ de bataille qui l’attend.
Le procès-verbal de l’admission au noviciat, en langue italienne (2 juin 1936), qualifie unanimement l’expérience qu’il a vécue dans l’aspirantat : « A eu un excellent résultat, est diligent, de bonne piété et s’est offert de lui-même pour l’oratoire festif, s’est montré pratique, de bon exemple, a reçu le certificat d’imprimeur, sans en avoir encore la parfaite maîtrise ». Ce sont déjà les traits qui, consolidés par la suite au noviciat, définiront la physionomie de religieux salésien laïc : style de vie exemplaire, généreuse disponibilité à la mission salésienne, compétence dans la profession d’imprimeur.
Le 8 septembre 1940, il prononce sa profession religieuse en tant que salésien coadjuteur. De ce jour de grâce nous rapportons une lettre écrite par Pista, comme il était familièrement appelé, à ses parents : « Chers parents, j’ai à vous faire part d’un événement important pour moi et qui laissera une empreinte indélébile dans mon cœur. Le 8 septembre, par la grâce de Dieu et avec la protection de la Sainte Vierge, je me suis engagé par la profession à aimer et à servir Dieu. À la fête de la Vierge Marie, j’ai célébré mes noces avec Jésus et je lui ai promis par le triple vœu d’être à Lui, de ne jamais me détacher de Lui et de persévérer dans la fidélité à Lui jusqu’à la mort. Je vous prie donc de ne pas m’oublier dans vos prières et dans vos Communions, en faisant des vœux pour que je puisse rester fidèle à ma promesse faite à Dieu. Vous pouvez imaginer que ce fut pour moi un jour joyeux comme jamais dans ma vie. Je pense que je n’aurais pas pu faire à la Vierge un cadeau d’anniversaire plus agréable que le don de moi-même. J’imagine que le bon Jésus vous a regardés avec des yeux affectueux, étant donné que c’est vous qui m’avez donné à Dieu… Salutations affectueuses à tous. PISTA ».
2.2. Dévouement absolu à la mission
« La mission donne à toute notre existence sa tonalité concrète… », disent les Constitutions salésiennes. Istvan Sandor a vécu la mission salésienne dans le domaine qui lui avait été confié, incarnant la charité pastorale éducative en tant que salésien coadjuteur, dans le style de Don Bosco. Sa foi l’a conduit à voir Jésus dans les jeunes apprentis et travailleurs, dans les garçons de l’oratoire, dans ceux de la rue.
Dans l’industrie typographique, la compétence dans l’administration est considérée comme une tâche essentielle. Istvan Sandor était chargé de la direction, de la formation pratique et spécifique des apprentis et de la fixation des prix des produits typographiques. L’imprimerie « Don Bosco » jouissait d’un grand prestige dans tout le pays. Faisaient partie des éditions salésiennes le Bulletin Salésien, la Jeunesse Missionnaire, des revues pour la jeunesse, le Calendrier Don Bosco, des livres de dévotion et l’édition en traduction hongroise des écrits officiels de la Direction Générale des Salésiens. C’est dans cet environnement que Istvan Sandor a commencé à aimer les livres catholiques. Il ne se contentait pas de les préparer pour l’impression, mais il les étudiait aussi.
Dans le service de la jeunesse, il était également responsable de l’éducation collégiale des jeunes. C’était aussi une tâche importante, en plus de leur formation technique. Il était indispensable de discipliner les jeunes, en phase de développement vigoureux, avec une fermeté affectueuse. À chaque moment de la période d’apprentissage, il les accompagnait comme un grand frère. Istvan Sandor se distinguait par une forte personnalité : il possédait une excellente formation spécifique, accompagnée de discipline, de compétence et d’esprit communautaire.
Il ne se contentait pas d’un seul travail déterminé, mais se rendait disponible à chaque nécessité. Il assurait la tâche de sacristain de la petite église du Clarisseum et s’occupait de la direction du « Petit Clergé ». La preuve de sa capacité de résistance a également été son engagement spontané et travail bénévole dans l’oratoire florissant, fréquenté régulièrement par les jeunes des deux banlieues d’Újpest et de Rákospalota. Il aimait jouer avec les garçons ; lors des matchs de football, il faisait l’arbitre avec grande compétence.
2.3. Religieux éducateur
Istvan Sandor fut un éducateur de la foi pour chaque personne, confrère et jeune, surtout dans les moments d’épreuve et à l’heure du martyre. Il avait fait de la mission auprès des jeunes son espace éducatif, où il vivait quotidiennement les critères du Système Préventif de Don Bosco – raison, religion, amour – dans la proximité et l’assistance affectueuse aux jeunes travailleurs, en aidant à comprendre et à accepter les situations de souffrance, dans le témoignage vivant de la présence du Seigneur et de son amour indéfectible.
À Rákospalota, Istvan Sandor se consacra avec zèle à la formation des jeunes typographes et à l’éducation des jeunes de l’oratoire et des « Pages du Sacré-Cœur ». Sur tous ces fronts, il manifestait un sens aigu du devoir, vivant avec une grande responsabilité sa vocation religieuse et se caractérisant par une maturité qui suscitait admiration et estime. « Pendant son activité typographique, il vivait consciencieusement sa vie religieuse, sans aucune volonté d’apparaître. Il pratiquait les vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance avec un grand naturel. Dans ce domaine, sa seule présence valait un témoignage, sans dire un mot. Même les élèves reconnaissaient son autorité, grâce à ses manières fraternelles. Il mettait en pratique tout ce qu’il disait ou demandait aux élèves, et personne ne pensait à le contredire de quelque manière que ce soit ».
György Érseki connaissait les Salésiens depuis 1945 et, après la Seconde Guerre mondiale, il alla habiter à Rákospalota, au Clarisseum. Il connut Istvan Sandor jusqu’en 1947. Pour cette période, il nous offre non seulement un aperçu de l’activité multiple du jeune coadjuteur, typographe, catéchiste et éducateur de la jeunesse, mais aussi une lecture profonde, d’où émerge la richesse spirituelle et la capacité éducative de Istvan : « Istvan Sandor était une personne très douée par nature. En tant que pédagogue, je peux attester et confirmer sa capacité d’observation et sa personnalité polyvalente. C’était un bon éducateur et il parvenait à gérer les jeunes, un par un, de manière optimale, choisissant le ton approprié à chacun. Il y a encore un détail appartenant à sa personnalité : il considérait chaque travail comme un devoir sacré, consacrant toute son énergie à la réalisation de ce but sacré, sans efforts et avec un grand naturel. Grâce à une intuition innée, il parvenait à saisir l’atmosphère et à l’influencer positivement. […] Il avait un caractère fort en tant qu’éducateur ; il s’occupait de chacun individuellement. Il s’intéressait à nos problèmes personnels, réagissant toujours de la manière la plus adaptée à nous. C’est ainsi qu’il réalisait les trois principes de Don Bosco : la raison, la religion et l’amour… Les coadjuteurs salésiens ne portaient pas la soutane en dehors du contexte liturgique, mais l’apparence extérieure de Istvan Sandor le distinguait de la masse des gens. En ce qui concerne son activité d’éducateur, il ne recourait jamais à la punition physique, interdite selon les principes de Don Bosco, contrairement à d’autres enseignants salésiens plus impulsifs, incapables de se maîtriser et qui parfois donnaient des gifles. Les élèves apprentis qui lui étaient confiés formaient une petite communauté au sein du collège, bien que différents les uns des autres du point de vue de l’âge et de la culture. Ils mangeaient à la cantine avec les autres étudiants, où on lisait habituellement la Bible pendant les repas. Naturellement, Istvan Sandor était également présent. Grâce à sa présence, le groupe d’apprentis industriels était toujours le plus discipliné… Istvan Sandor resta toujours jeune d’esprit, montrant une grande compréhension envers les jeunes. Saisissant leurs problèmes, il transmettait des messages positifs et savait les conseiller tant sur le plan personnel qu’au plan religieux. Sa personnalité révélait une grande ténacité et résistance au travail ; même dans les situations les plus difficiles, il restait fidèle à ses idéaux et à lui-même. Le collège salésien de Rákospalota abritait une grande communauté, nécessitant un travail avec les jeunes à plusieurs niveaux. Dans le collège, à côté de la typographie, vivaient des jeunes salésiens en formation, qui étaient en étroite relation avec les coadjuteurs. Je me souviens des noms suivants : József Krammer, Imre Strifler, Vilmos Klinger et László Merész. Ces jeunes avaient des tâches différentes de celles d’Istvan Sandor et étaient également de caractère différent. Cependant, grâce à leur vie commune, ils connaissaient les problèmes, les vertus et les défauts les uns des autres. Istvan Sandor trouva toujours la mesure adéquate dans sa relation avec ces clercs. Istvan Sandor parvenait à trouver le ton fraternel pour les avertir, lorsqu’ils montraient quelques manquements, sans tomber dans le paternalisme. En fait, ce furent les jeunes clercs qui demandaient son opinion. À mon avis, il réalisa les idéaux de Don Bosco. Dès le premier moment de notre connaissance, Istvan Sandor représentait l’esprit qui caractérisait les membres de la Société Salésienne : sens du devoir, pureté, religiosité, sens pratique et fidélité aux principes chrétiens ».
Un jeune de cette époque se souvient bien de l’esprit qui animait Istvan Sandor : « Mon premier souvenir de lui est lié à la sacristie du Clarisseum, où, en tant que sacristain principal, il exigeait l’ordre, imposait le sérieux dû à la situation, tout en restant toujours lui-même en nous donnant le bon exemple par son comportement. C’était l’une de ses caractéristiques de nous donner des directives d’un ton modéré, sans élever la voix, nous demandant poliment de faire notre devoir. Ce comportement spontané et amical nous a conquis. Nous l’aimions vraiment. Nous étions charmés par la naturel avec laquelle Istvan Sandor s’occupait de nous. Il nous enseignait, priait et vivait avec nous, témoignant de la spiritualité des coadjuteurs salésiens de cette époque. Nous, les jeunes, ne réalisions souvent pas à quel point ces personnes étaient spéciales, mais il se distinguait par son sérieux, qu’il manifestait à l’église, dans la typographie et même sur le terrain de jeu ».
3. Un reflet de Dieu par sa radicalité évangélique
Ce qui donnait de la profondeur à tout cela – le dévouement à la mission et la capacité professionnelle et éducative – et qui frappait immédiatement ceux qui le rencontraient était la figure intérieure d’Istvan Sandor : celle d’un disciple du Seigneur, qui vivait à chaque instant sa consécration, dans l’union constante avec Dieu et dans la fraternité évangélique. Les témoignages du procès de canonisation décrivent une figure complète, avec cet équilibre salésien où les différentes dimensions se rejoignent dans une personnalité harmonieuse, unifiée et sereine, ouverte au mystère de Dieu vécu dans le quotidien.
Un trait qui frappe par sa radicalité est le fait que dès le noviciat, tous ses compagnons, même ceux qui aspiraient au sacerdoce et étaient beaucoup plus jeunes que lui, l’estimaient et le voyaient comme un modèle à imiter. L’exemple de sa vie consacrée et la radicalité avec laquelle il vécut et témoigna des conseils évangéliques le distinguèrent toujours et partout, si bien qu’à de nombreuses occasions, même au temps de la prison, plusieurs pensaient qu’il était prêtre. Ce témoignage en dit long sur la singularité avec laquelle Istvan Sandor vécut toujours avec une claire identité sa vocation de salésien coadjuteur, mettant en évidence précisément le spécifique de la vie consacrée salésienne en tant que telle. Parmi les compagnons de noviciat, Gyula Zsédely parle ainsi d’Istvan Sandor : « Nous sommes entrés ensemble dans le noviciat salésien Saint-Étienne à Mezőnyárád. Notre maître fut Béla Bali. C’est là que j’ai passé un an et demi avec Istvan Sandor et j’ai été témoin oculaire de sa vie, modèle de jeune religieux. Bien qu’Istvan Sandor ait eu au moins neuf ou dix ans de plus que moi, il vivait avec ses compagnons de noviciat de manière exemplaire ; il participait aux pratiques de piété avec nous. Nous ne ressentions pas du tout la différence d’âge ; il était à nos côtés avec son affection fraternelle. Il nous édifiait non seulement par son bon exemple, mais aussi en nous donnant des conseils pratiques concernant l’éducation de la jeunesse. On voyait déjà à cette époque qu’il était prédestiné à cette vocation selon les principes éducatifs de Don Bosco… Son talent d’éducateur sautait aux yeux même de nous, novices, surtout lors des activités communautaires. Avec son charme personnel, il nous enthousiasmait à tel point que nous tenions pour acquis que nous pouvions affronter avec facilité même les tâches les plus difficiles. Le moteur de sa profonde spiritualité salésienne était la prière et l’Eucharistie, ainsi que la dévotion à Marie Auxiliatrice. Pendant le noviciat, qui dura un an, nous voyions en lui un bon ami. Il devint notre modèle aussi dans l’obéissance, car, étant le plus âgé, il fut mis à l’épreuve avec de petites humiliations, mais il les supporta avec une grande maîtrise de soi et sans montrer de signes de souffrance ou de ressentiment. À cette époque, malheureusement, il y avait un des supérieurs qui s’amusait à humilier les novices, mais Istvan Sandor sut bien résister. Sa grandeur d’esprit, ancrée dans la prière, était perceptible par tous ».
En voyant l’intensité avec laquelle Istvan Sandor vivait sa foi, dans une union continuelle à Dieu, on découvre un témoignage évangélique exemplaire, que nous pouvons bien définir comme un « reflet de Dieu » : « Il me semble que son attitude intérieure est née de la dévotion à l’Eucharistie et à la Vierge, qui avait également transformé la vie de Don Bosco. Lorsqu’il s’occupait de nous, « Petit Clergé », il ne donnait pas l’impression d’exercer un métier ; ses actions manifestaient la spiritualité d’une personne capable de prier avec une grande ferveur. Pour moi et pour mes camarades, « Monsieur Sandor » était un idéal et nous ne pensions même pas que tout ce que nous avons vu et entendu était une mise en scène superficielle. Je pense que seule sa vie intime de prière a pu alimenter un tel comportement lorsque, encore très jeune confrère, il avait compris et pris au sérieux la méthode d’éducation de Don Bosco ».
La radicalité évangélique s’est exprimée sous différentes formes au cours de la vie religieuse d’Istvan Sandor :
– Dans le fait d’attendre patiemment le consentement des parents pour entrer chez les Salésiens.
– En attendant à chaque étape de sa vie religieuse : avant d’être admis au noviciat, il a dû faire l’aspirantat ; admis au noviciat, il a dû l’interrompre pour faire son service militaire ; la demande pour la profession perpétuelle, d’abord acceptée, sera reportée après une période supplémentaire de vœux temporaires.
– Dans les dures expériences du service militaire et au front. La confrontation avec un environnement qui tendait de nombreuses embûches à sa dignité d’homme et de chrétien renforça chez ce jeune novice la décision de suivre le Seigneur, d’être fidèle à son choix de Dieu, coûte que coûte. En effet, il n’y a pas de discernement plus dur et plus exigeant que celui d’un noviciat mis à l’épreuve et testé dans les tranchées de la vie militaire.
– Dans les années de suppression et ensuite de prison, jusqu’à l’heure suprême du martyre.
Tout cela révèle le regard de foi qui accompagnera toujours l’histoire d’Istvan : la prise de conscience que Dieu est présent et agit pour le bien de ses enfants.
Conclusion
De la naissance jusqu’à la mort, Istvan Sandor fut un homme profondément religieux, qui dans toutes les circonstances de la vie répondit avec dignité et cohérence aux exigences de sa vocation salésienne. C’est ainsi qu’il vécut durant la période de l’aspirantat et de la formation initiale, dans son travail de typographe, comme animateur de l’oratoire et de la liturgie, durant le temps de la clandestinité et de l’incarcération, jusqu’aux moments qui précédèrent sa mort. Désireux, dès sa jeunesse, de se consacrer au service de Dieu et de ses frères dans la généreuse tâche de l’éducation des jeunes selon l’esprit de Don Bosco, il fut capable de cultiver un esprit de force et de fidélité à Dieu et à ses frères qui lui permit, au moment de l’épreuve, de résister, d’abord aux situations de conflit puis à l’épreuve suprême du don de la vie.
Je voudrais souligner le témoignage de radicalité évangélique offert par ce confrère. En reconstruisant le profil biographique d’Istvan Sandor on aperçoit un réel et profond chemin de foi, commencé dès son enfance et sa jeunesse, renforcé par la profession religieuse salésienne et consolidé dans sa vie exemplaire de salésien coadjuteur. On note en particulier une vocation consacrée authentique, animée selon l’esprit de Don Bosco par un zèle intense et fervent pour le salut des âmes, surtout des jeunes. Même les périodes les plus difficiles, telles que le service militaire et l’expérience de la guerre, n’entamèrent pas le comportement moral et religieux intègre du jeune coadjuteur. C’est sur cette base qu’Istvan Sandor subira le martyre sans hésitations ni doutes.
La béatification d’Istvan Sandor engage toute la Congrégation dans la promotion de la vocation du salésien coadjuteur, accueillant son témoignage exemplaire et invoquant de manière communautaire son intercession pour cette intention. En tant que salésien laïc, il réussit à donner le bon exemple même aux prêtres, tant par son activité au milieu des jeunes que par sa vie religieuse exemplaire. C’est un modèle pour les jeunes consacrés, dans sa manière d’affronter les épreuves et les persécutions sans accepter de compromis. Les causes auxquelles il se consacra, la sanctification du travail chrétien, l’amour pour la maison de Dieu et l’éducation de la jeunesse sont encore aujourd’hui une mission fondamentale de l’Église et de notre Congrégation.
En tant qu’éducateur exemplaire des jeunes, en particulier des apprentis et des jeunes travailleurs, et en tant qu’animateur de l’oratoire et des groupes de jeunes, il nous sert d’exemple et de stimulant dans notre engagement à annoncer aux jeunes l’Évangile de la joie à travers la pédagogie de la bonté.
La radicalité évangélique du Bienheureux Istvan Sandor
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