Pour François de Sales, la vie religieuse est « une école de la perfection », où l’on est plus totalement et plus facilement à Notre-Seigneur. La vie religieuse, disait encore le fondateur de la Visitation, est « une école où l’on apprend sa leçon : le maître ne requiert pas toujours que l’écolier sache sa leçon sans faillir, il suffit qu’il ait attention de faire son possible pour l’apprendre ». Parlant un jour de la congrégation de la Visitation qu’il avait fondée, il emploiera le même langage : « La congrégation est une école » ; on y entre « pour y vaquer à la perfection du divin amour ».
Il revenait au fondateur de former ses filles spirituelles, faisant office d’« instituteur » et de maître des novices. Il y a excellé. On a pu dire que dans l’histoire de la vie religieuse féminine, saint François de Sales occupe la place que saint Ignace tient dans l’histoire de la vie religieuse pour hommes.
Jeanne de Chantal aux origines de la Visitation
En 1604, François de Sales rencontra à Dijon, où il prêchait le carême, celle qui allait devenir la « pierre fondamentale » d’un nouvel institut. À cette date, Jeanne-Françoise Frémyot était une jeune veuve de trente-deux ans. À vingt ans elle avait épousé Christophe Rabutin, baron de Chantal et devint la mère de quatre enfants, à commencer par l’aîné Celse Bénigne, suivi de trois filles : Marie Aimée, Françoise et Charlotte. Quinze jours après la naissance de la dernière, son mari fut blessé mortellement au cours d’une partie de chasse. Restée veuve, madame de Chantal continua courageusement à s’occuper de l’éducation de ses enfants et à aider les pauvres.
À partir de sa rencontre avec l’évêque de Genève naquit une véritable amitié spirituelle qui débouchera sur une nouvelle forme de vie religieuse : une « petite congrégation », sans clôture stricte, pour veuves et jeunes filles que leur âge ou leur condition empêchaient d’entrer dans un ordre réformé plus austère. Six années seront nécessaires pour atteindre ce but.
Tout d’abord François de Sales l’encourage dans ses épreuves et ses tentations contre la foi et contre l’Église. En 1605, la baronne vint à Sales pour revoir son directeur et traiter à fond avec lui les sujets qui la préoccupaient. Celui-ci répondit évasivement à son désir d’être religieuse, mais il ajouta : « Un jour vous quitterez toutes choses, vous viendrez à moi, et je vous mettrai dans un total dépouillement et nudité de tout pour Dieu ». Pour la préparer à cet objectif lointain, il lui recommande « ces trois petites vertus : la douceur de cœur, la pauvreté d’esprit et la simplicité de vie ; et ces exercices grossiers : visiter les malades, servir aux pauvres, consoler les affligés et semblables ».
Au début de 1606, alors que le père de la baronne la pressait de se remarier, la question de la vie religieuse devenait urgente. Que faire, se demandait l’évêque de Genève ? Une chose était claire mais l’autre restait en suspens :
J’ai appris que je vous dois un jour conseiller de tout quitter. Je dis tout ; mais que ce soit pour entrer en religion, c’est grand cas, il ne m’est encore point arrivé d’en être d’avis ; j’en suis encore en doute, et ne vois rien devant mes yeux qui me convie à le désirer. Entendez bien, pour l’amour de Dieu ; je ne dis pas que non, mais je dis que mon esprit n’a encore su trouver de quoi dire oui.
La prudence et la lenteur de François de Sales s’expliquent facilement, car la baronne songeait peut-être à se faire carmélite et lui-même, d’autre part, n’avait pas encore mûri son projet de fondation. Mais l’obstacle principal était que les enfants de madame de Chantal étaient encore en bas âge.
La fondation de la Visitation
Au cours d’une nouvelle entrevue qui eut lieu à Annecy en 1607 au lendemain de la Pentecôte, il lui déclara cette fois : « Eh bien ! ma fille, je suis résolu de ce que je veux faire de vous », lui dévoilant son projet de fonder avec elle et par elle un nouvel institut. Restaient deux obstacles majeurs à la réalisation : les obligations familiales et maternelles de madame de Chantal et sa « retraite » à Annecy car, disait-il, « il faut planter dans notre petit Annecy le germe de notre congrégation ». Et alors qu’elle rêvait probablement d’une vie purement contemplative, il lui citait en exemple sainte Marthe, mais une Marthe « corrigée » par l’exemple de sa sœur Marie, qui partagerait les heures de ses journées en deux, « donnant une bonne partie aux œuvres extérieures de charité, et la meilleure partie à l’intérieur de la contemplation ».
Au cours des trois années qui suivirent, les principaux obstacles tombèrent l’un après l’autre : son père et sa parenté se laissèrent peu à peu convaincre de la laisser suivre sa voie ; son père accepta de parfaire l’éducation de Celse-Bénigne ; l’aînée des filles, Marie-Aimée, allait épouser Bernard de Sales, le frère de François, qu’elle rejoindrait en Savoie ; la deuxième fille, Françoise, viendrait avec sa mère à Annecy ; quant à la dernière, Charlotte, elle mourait fin janvier 1610 à l’âge de neuf ans.
Le 6 juin 1610, Jeanne de Chantal s’installa dans une maison particulière avec Charlotte de Bréchard, une amie de Bourgogne, Jacqueline Favre, fille du président Antoine Favre, et une servante d’auberge, Jacqueline Coste. L’évêque leur donna à cette occasion une esquisse de règlement. Leur but était de « consacrer tous les moments de leur vie à l’amour et service de Dieu », sans oublier le service des pauvres et des malades. La Visitation serait une petite congrégation, unissant la vie intérieure et une forme de vie active. Les trois premières visitandines firent profession exactement un an plus tard, le 6 juin 1611. Le 1er janvier 1612, elles commencèrent la visite des pauvres et des malades. Le 30 octobre de la même année, la communauté quitta la maison devenue trop exiguë et se transporta dans une nouvelle maison, avant d’ériger le premier monastère de la Visitation à Annecy.
Durant les premières années on ne songea à aucune autre fondation, jusqu’à ce que vînt une demande insistante de quelques personnes de Lyon en 1615. L’archevêque de cette ville ne voulait pas que les sœurs sortent de leur monastère pour les visites aux malades ; d’après lui, il fallait transformer la congrégation en un véritable ordre religieux, avec les vœux solennels et la clôture. Le fondateur dut accepter la majeure partie de ces conditions : la visite des malades fut supprimée et la Visitation devint un ordre quasi monastique, sous la règle de saint Augustin, tout en gardant la possibilité d’accueillir des personnes du dehors. Son développement fut rapide : on comptera treize monastères à la mort du fondateur en 1622 et quatre-vingt-sept à la mort de la mère de Chantal en 1641.
La formation sous forme d’entretiens
Georges Rolland a bien décrit la tâche de formation des « filles » de la Visitation à laquelle François de Sales s’est astreint au début du nouvel institut : « Il les assistait à leur commencement avec beaucoup de peine et il employait beaucoup de temps pour les éduquer et les styler au chemin de la perfection, toutes en général, et puis chacune en particulier. Pour cela, il y allait souvent deux ou trois fois le jour, et toutes les fois qu’elles lui donnaient avis de quelques affaires qui leur survenaient, soit pour le spirituel, soit pour le temporel. […] Il était leur confesseur, aumônier, père spirituel et directeur ».
Ce rôle du fondateur était encouragé par la mère de Chantal. En 1615 elle écrivait de Lyon, où elle travaillait à la fondation du second monastère de la Visitation, pour demander à son assistante d’Annecy de le faire parler à toutes les sœurs réunies après qu’il les aura rencontrées une par une en particulier : « Je vous prie, quand il vous viendra voir avec un peu de loisir, que vous le fassiez parler en commun, si toutefois il l’a agréable ». En réalité, ses filles avaient un grand désir d’entendre le fondateur, dont le rôle était en quelque sorte celui d’un maître des novices.
Le ton de ces « entretiens » était fort simple et familier. Un entretien est une agréable conversation, un dialogue ou colloque familier, non un sermon mais une « simple conférence en laquelle chacun dit son opinion ». Nous possédons une relation qui ne manque pas de pittoresque sur une de ces rencontres : « Le jour de Saint Laurent de l’année 1612, notre bienheureux Père vint voir notre vénérable fondatrice, toujours accompagné de M. Michel Favre son aumônier, car jamais il n’entrait sans lui. Toutes les sœurs descendirent au verger de la fontaine, on lui apporta une chaire, les sœurs se mirent à terre autour de lui ». Au bout d’un moment « il fut interrompu du tonnerre et de la pluie qui le contraignit de monter en une galerie, où les sœurs le suivirent ». À une des sœurs qui lui dit : Monseigneur, j’ai grand peur, il répondit : Ma fille, ne craignez point, le tonnerre ne tue que les saints et les pécheurs, vous n’êtes ni sainte, ni pécheresse ». Avec l’augmentation du nombre des sœurs, on passera du jardin ou de la chambre de la fondatrice au parloir.
Normalement, les questions étaient posées par les sœurs elles-mêmes, comme cela se voit clairement dans le troisième Entretien traitant De la confiance et abandonnement. La première question était celle de savoir « si une âme peut, ayant le sentiment de sa misère, aller à Dieu avec une grande confiance ». Un peu plus loin, le fondateur semble reprendre au bond une nouvelle question : « Mais vous dites que vous ne sentez point cette confiance ». Un peu plus loin il dit : « Maintenant passons à l’autre question, qui est de l’abandonnement de soi-même ». Plus loin encore on trouve des enchaînements de questions tels que : « Or maintenant vous demandez en quoi s’occupe intérieurement cette âme qui est tout abandonnée entre les mains de Dieu » ; « vous me dites à cette heure » ; « vous dites maintenant » ; « pour répondre à ce que vous demandez » ; « vous voulez encore savoir ». Il est très possible, voire probable, que les secrétaires ont supprimé les questions des interlocutrices pour les mettre dans la bouche de l’évêque. Les questions pouvaient aussi être formulées par écrit puisqu’on lit au début du onzième Entretien : « Je commence notre discours par la réponse à la question qui m’a été donnée en ce billet ».
Instructions et exhortations
L’autre méthode de formation excluait les questions et le dialogue : c’étaient les sermons que le fondateur faisait dans la chapelle du monastère. Le ton familier qui les caractérise ne permet pas de les ranger parmi les grands sermons pour le peuple, tels qu’on les entendait à l’époque ; c’étaient plutôt des exhortations. « Le discours que je m’en vais vous faire », disait-il au moment de commencer. Il lui arrivait de parler de son « petit discours », ce qui ne s’appliquait guère à la durée qui était ordinairement d’une heure. Une fois il dira : « Si j’ai du temps, je traiterai de… »
Même à la chapelle, le ton restait familier, comme pour une causerie. « Il nous faut passer outre, car je n’ai pas le temps de m’arrêter beaucoup sur ce sujet », disait-il ; ou encore : « avant de finir, disons encore ce mot ». « Mais je passe ce premier point sans en dire davantage, disait-il une autre fois, parce que ce n’est pas là où je me veux arrêter ». Quand il parle du mystère de la Visitation, il a besoin d’un temps supplémentaire : « Je finirai par deux exemples, et bien que le temps soit déjà passé, néanmoins un petit quart d’heure en fera la raison ». Parfois il parle de ses sentiments, disant qu’il a trouvé du « plaisir » à traiter de l’amour mutuel. Il ne craint pas de faire quelques digressions : « Je vous raconterai deux petites histoires que je ne dirais pas si j’étais en une autre chaire ; mais en ce lieu il n’y a point de danger ». Pour soutenir l’attention, il interpelle l’auditoire par un « dites-moi », ou par un « remarquez donc, je vous prie ». Il y avait souvent un lien avec le sujet qu’il avait développé précédemment puisqu’il dit : « J’ai désir d’ajouter encore un mot au discours que je fis l’autre jour ». « Mais je vois que l’heure s’en va passer, s’exclame-t-il, ce qui me fera finir et parachever le peu de temps qui reste sur l’histoire de cet évangile ». Au moment de conclure, il dit : « J’achève ».
Il faut croire que le prédicateur était désiré et écouté avec attention, ce qui l’autorisait à raconter parfois la même histoire : « Encore que l’aie jà dite, je ne laisserai pas de la répéter, parce que je ne suis pas devant des personnes si dégoûtées qu’elles ne puissent entendre deux fois une même chose ; car ceux qui ont bon appétit mangent bien d’une même viande deux fois ».
Les Sermons se présentent comme une instruction plus structurée que les Entretiens, où les sujets se suivent parfois rapidement au hasard des questions. Ici l’enchaînement est plus logique, les diverses articulations du discours sont mieux indiquées. Le prédicateur explique l’Écriture ; il la commente avec les Pères et les théologiens, mais c’est plutôt une explication méditée qui pourra alimenter l’oraison mentale des religieuses. Comme toute méditation, elle comporte des considérations, des « affections » et des résolutions. Tout son discours aboutissait en fait à une question essentielle : « Voulez-vous devenir une bonne fille de la Visitation ? »
L’accompagnement personnel
Il y avait enfin le contact personnel du fondateur avec chacune des sœurs. Lui-même avait une longue expérience de confesseur et de directeur spirituel individuel. De toute évidence, il fallait tenir compte de la « variété des esprits », des tempéraments, des situations particulières et des progrès dans la perfection.
Dans les souvenirs de Marie-Adrienne Fichet on trouve un épisode qui montre sa manière de faire. Un jour la mère de Chantal lui demanda : « Monseigneur, Votre Grandeur voudrait-elle bien nous donner à chacune une vertu pour notre application particulière » ? Peut-être s’agissait-il là d’un pieux stratagème inventé par la supérieure. Il répondit : « Ma Mère, je le veux bien, il faut commencer par vous ». Les sœurs se retirèrent et l’évêque les appela l’une après l’autre, et en se promenant il donna à chacune un « défi » en secret. Au cours de la récréation qui suivit, tout le monde sut ce qu’il avait dit à chacune en particulier. À la mère de Chantal il avait recommandé l’indifférence et l’amour de la volonté de Dieu ; à Jacqueline Favre, la présence de Dieu ; à Charlotte de Bréchard, la résignation à la volonté de Dieu. Les « défis » destinés aux autres religieuses à tour de rôle concernaient la modestie et tranquillité, l’amour de l’abjection, la mortification des sens, l’affabilité, l’humilité intérieure, l’humilité extérieure, l’oubli des parents et du monde, la mortification des passions. Avant de partir, l’évêque leur adressa des paroles d’encouragement à toutes ensemble.
La formation devait forcément s’adapter à la diversité des personnes sans pour autant cacher le fait que la vie religieuse est un combat dans lequel la victoire sur les passions et les inclinations exige un dur entraînement. Aux sœurs de la Visitation tentées de considérer la perfection comme un vêtement à enfiler, il rappelait avec une pointe d’humour leur responsabilité personnelle :
Vous voudriez que je vous enseignasse une voie de perfection toute faite, ou une méthode de perfection tellement faite qu’il n’y eût que la mettre sur votre tête comme vous jetteriez votre robe, et que par ce moyen vous vous trouvassiez toute parfaite sans peine, c’est-à-dire que je vous donnasse la perfection toute faite […]. Oh certes ! s’il était à mon pouvoir, je serais le plus parfait homme du monde, si je la pouvais donner aux autres sans qu’il fallût rien faire, car je la prendrais premièrement pour moi.
L’accompagnement était destiné surtout à soutenir les responsables. Jacqueline Favre, supérieure de la Visitation de Lyon, était préoccupée et accablée par plusieurs sœurs malades de sa communauté. Il la console dans une de ses lettres :
Je vous vois, ma très chère fille, toute malade et dolente sur les maladies et douleurs de vos filles. On ne peut être mère sans peine. Qui est celui qui est malade, dit l’Apôtre, que je ne le sois avec lui ? Et nos anciens Pères ont dit là-dessus, que les poules sont toujours affligées de travail* tandis qu’elles conduisent leurs poussins et que c’est ce qui les fait glousser continuellement, et que l’Apôtre était comme cela.
La mère de Blonay avait le zèle « un peu amer, un peu pressant, un peu inquiet, un peu pointilleux » ; il fallait lui inspirer un zèle « doux, bénin, gracieux, paisible, supportant ».
Comment concilier dans une communauté la nécessaire unité, voire uniformité, avec la diversité des personnes et des tempéraments qui la composent ? Il écrivait à ce propos à la supérieure de la Visitation de Lyon : « S’il se trouve quelque âme, voire même au noviciat, qui craigne trop d’assujettir son esprit aux exercices marqués, pourvu que cette crainte ne procède pas de caprice, outrecuidance, dédain ou chagrin, c’est à la prudente maîtresse de les conduire par une autre voie, bien que pour l’ordinaire celle-ci soit utile, ainsi que l’expérience le fait voir ». Comme toujours, obéissance et liberté ne doivent pas être opposées l’une à l’autre.
Force et douceur doivent en outre caractériser la manière dont les supérieures de la Visitation devaient façonner les âmes « ou par le marteau, ou par le ciseau, ou par le pinceau, pour les former toutes selon son bon plaisir ». C’est pour cela qu’il faut leur donner « des cœurs de pères, solides, fermes et constants, sans omettre les tendresses de mères qui font désirer les douceurs aux enfants, suivant l’ordre divin qui gouverne tout avec une force toute suave et une suavité toute forte ».
Les directrices des novices avaient droit à des attentions spéciales de sa part car « la conservation et le bonheur de la congrégation » dépend de la bonne formation des nouvelles recrues. Comment former les futures visitandines, alors que l’on est loin des fondateurs ? se demandait la maîtresse des novices de Lyon. Il lui répond : « Dites ce que vous avez vu, enseignez ce que vous avez ouï à Annecy. Hélas ! cette racine est petite, basse et profonde ; mais la branche qui s’en séparera périra sans doute, séchera et ne sera bonne que pour être coupée et jetée au feu ».
Un manuel de la perfection
En publiant en 1616 le Traité de l’amour de Dieu, un livre « fait pour aider l’âme déjà dévote à ce qu’elle se puisse avancer en son dessein », François de Sales reconnaissait tout ce qu’il devait à cette « bénite assemblée » de la Visitation et en particulier à la mère qui « y préside » et qui « n’a pas eu peu de pouvoir pour animer [mon âme] en cette occasion ».
Comme on le devine, le Traité propose une doctrine sublime de l’amour de Dieu, qui valut à son auteur le titre de « docteur de la charité ». L’auteur se propose, sur l’exemple de Marie et de Joseph, d’accompagner sur le chemin du plus haut amour une personne appelée Théotime, nom symbolique qui désigne « l’esprit humain, qui désire faire progrès en la dilection sainte ». Le but de l’auteur est de montrer « l’histoire de la naissance, du progrès, de la décadence, des opérations, propriétés, avantages et excellences de l’amour divin ».
Le Traité de l’amour de Dieu se révèle comme le manuel de l’école de la perfection que François de Sales a voulu créer. On y trouve même l’idée implicite de la nécessité d’une formation continue, qu’il illustrera au moyen de cette image végétale :
Ne voyons-nous pas par expérience que les plantes et fruits n’ont pas leur juste croissance et maturité que quand elles portent leurs graines et pépins, qui leur servent de géniture pour la production de plantes et d’arbres de pareille sorte ? Jamais nos vertus n’ont leur juste stature et suffisance qu’elles ne produisent en nous des désirs de faire progrès.
Il faut en somme imiter ce curieux animal qu’est le crocodile, « qui étant extrêmement petit en son commencement ne cesse jamais de croître tandis qu’il est en vie ». Face à la décadence et parfois à la conduite scandaleuse de nombreux monastères et abbayes de son temps, saint François de Sales traçait un chemin exigeant mais aimable. Par rapport aux ordres réformés, où régnaient une sévérité et une austérité telles qu’elles éloignaient un bon nombre de personnes de la vie religieuse, l’intuition profonde du fondateur de la Visitation fut de concentrer l’essence de la vie religieuse simplement dans la recherche de la perfection de la charité. Avec les adaptations nécessaires, cette « pédagogie des sommets » débordera largement les murs de son premier monastère et tentera d’autres « apprentis » de la perfection.
Saint François de Sales fondateur d’une nouvelle école de perfection
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