🕙: 6 min.
image_pdfimage_print

En 1995, il y a 28 ans, j’ai quitté mon Argentine bien-aimée pour l’Afrique missionnaire avec le même idéal que Zeffirino Namuncurà : devenir salésien et prêtre  » utile à mon peuple  » dans mon Afrique bien-aimée.
Et me voici, assis sous un noble arbre africain centenaire, avec une température de 36 degrés et un taux d’humidité de 70 %, en train de réfléchir à ma vie missionnaire. D’ici, je contemple la belle forêt tropicale peinte en mille nuances de vert infini, débordante de vie, pleine de mystères et de mille questions qui attendent une réponse. Une véritable fresque multicolore comme ma vie missionnaire : dessinée en mille couleurs, peinte en différents tons et nuances, bénie par des défis et des récompenses, par des projets et des rêves, par des coups de pinceau de lumière pour ombrager les tons plus sombres et plus difficiles de la mission.

Premiers pas
Mes premiers pas en Afrique ont été des pas de découverte et de révérence. Je me suis dit : « L’Afrique est riche ! » et, comme un adolescent, j’en suis tombé amoureux au premier regard…. Je suis tombé amoureux de la diversité de ses paysages et de sa géographie exubérante, de sa faune et de sa flore, de ses mers et de ses jungles, de ses immenses savanes et de ses déserts. Elle est riche en ressources naturelles : or, diamants, pétrole, uranium, bois, agriculture et pêche. J’ai tout de suite compris que l’Afrique n’est pas pauvre, mais qu’elle est très mal gérée. Je suis tombée amoureux de ses cultures, de ses langues, de ses couleurs, de ses odeurs et de ses goûts. J’ai été captivé par leurs rythmes, leurs musiques, la vibration de leurs tympans, le son de leurs instruments de musique, leurs chants et leurs danses pleines de vie. Et surtout, je suis tombé amoureux de son peuple et de sa jeunesse, car c’est certainement sa plus grande richesse : ses enfants, ses jeunes qui représentent le présent et l’avenir du continent de l’espérance.

La tentation missionnaire
Quand on est jeune, inexpérimenté, et que l’on arrive en terre de mission avec mille attentes et un cœur plein de rêves, la première tentation est de penser que l’on vient pour « sauver », que l’on est un « envoyé », appelé à « changer le monde », à « transformer », à « enseigner », à « évangéliser », à « guérir ». C’est là que votre terre promise vous enseigne la valeur de l’humilité. Et ton peuple t’apprend que, pour être missionnaire, tu dois te faire aussi petit qu’un enfant, tu dois naître de nouveau : tu dois apprendre à parler de nouvelles langues, à comprendre des coutumes nouvelles et différentes, à changer de style de vie, de façon de penser et de sentir. Dans la mission, on apprend à se taire, à recevoir des corrections, à accepter l’humiliation et à subir des chocs culturels. Le véritable missionnaire désapprend pour apprendre à nouveau, jusqu’à ce qu’il arrive à la plus belle des découvertes : c’est ton peuple qui t’ »éduque », qui t’ »évangélise », qui te « transforme », qui te « guérit ». Il devient ton « Kairos », ton « temps de Dieu », il est le « lieu théologique » où Dieu se manifeste à toi et finalement te « sauve ».

Les leçons africaines
Depuis l’hémisphère sud, l’Afrique a beaucoup à apprendre à l’Occident et au Nord, chrétiens et « développés ». Voici quelques leçons que j’ai apprises en Afrique.

La première leçon est « Ubuntu » : « Je suis, parce que nous sommes »
Les Africains aiment la famille, la communauté, travailler et faire la fête ensemble. Ils sont profondément généreux et attentionnés, toujours prêts à donner un coup de main à quiconque est dans le besoin. Ils savent que l’individualiste meurt dans l’isolement. La sagesse africaine le confirme : « Si tu marches seul, tu vas plus vite, mais si tu marches en groupe, tu vas plus loin ». « Il faut trois pierres pour maintenir la marmite sur le feu ». « L’arbre qui est seul se dessèche, l’arbre qui est dans la forêt vit ». « Il faut tout un village pour élever un enfant ». Et dans le même ordre d’idées : « Il faut tout un village pour tuer un chien enragé ». Si deux éléphants se battent, c’est l’herbe qui perd ». La vie fraternelle et la communauté maintiennent en vie la famille, le clan et la tribu.

Le second est le respect de la vie et des anciens
Un fils ou une fille est toujours une bénédiction du ciel, une joie pour toute la famille, et des mains pour travailler la terre et récolter. La vie est un don de Dieu. C’est pourquoi on dit que « là où il y a de la vie, il y a de l’espoir » et que « la protection de la semence protège la récolte ». Et comme l’espérance de vie est faible, les personnes âgées sont appréciées, aimées et « soignées ». Il n’y a pas de maisons de repos ou de maisons de retraite ici. Les grands-parents sont le patrimoine du village. Les enfants s’assoient autour des anciens pour écouter les histoires ancestrales et la sagesse des ancêtres. C’est pourquoi nous disons ici que « la mort d’un ancien est comme une bibliothèque qui brûle » et que « si tu oublies tes anciens, tu oublies ton ombre ».

Le troisième thème est celui de la souffrance et de la résilience
La sagesse africaine dit que « la douleur est un hôte silencieux » et que « c’est par la souffrance que l’on acquiert la sagesse ». C’est pourquoi on dit que « la patience est le remède à toutes les douleurs ». Ils transforment les obstacles en opportunités. Ils n’ont pas peur du sacrifice ou de la mort. Pour eux, la perte d’une récolte, d’un bien matériel, d’un être cher est une occasion de recommencer, de créer quelque chose de nouveau. Ils savent que rien ne se fait sans effort et sans sacrifice, que le seul moyen de réussir est d’entrer par la porte étroite et ils bénissent Dieu qui donne et reprend en même temps.

La quatrième leçon concerne la spiritualité et la prière
Les Africains sont « spirituels » par nature. Ils sont prêts à donner leur vie pour ce en quoi ils croient. Dieu est omniprésent dans leur vie, dans leur histoire, dans leurs discours, dans leurs célébrations. Chaque activité commence par une prière et se termine par une prière. C’est pourquoi leurs proverbes disent : « Quand tu pries, bouge tes pieds », « ne te tourne pas vers Dieu seulement quand tu es dans le pétrin » et « là où il y a la prière, il y a l’espoir ». Si l’on ne prie pas, la vie devient fade et stérile. Ils prient comme si « tout dépendait de Dieu, sachant qu’en fin de compte tout dépend d’eux », comme le disait un grand saint africain.

Dans ma vie missionnaire, je suis mission
En trois décennies, nous avons construit des écoles et des centres de formation professionnelle, des églises et des sanctuaires, des chapelles et des centres communautaires, effectué des interventions d’urgence pendant les guerres civiles en Sierra Leone et au Liberia, ouvert des foyers pour les enfants soldats, aidé les orphelins d’Ebola, pris en charge les enfants des rues ou les filles qui se prostituent. Mais ces activités ne constituent pas la mission en soi. Les fruits de l’activité missionnaire se mesurent en termes de transformation de la vie. Et en ce sens, j’avoue avoir vu des miracles : j’ai vu des enfants soldats reconstruire leur vie, j’ai vu des enfants des rues devenir avocats à l’université, je les ai vus retrouver le sourire et retourner à l’école, j’ai vu des filles prostituées retourner dans leur famille, apprendre un métier et repartir à zéro.

Comme le dit le pape François, « nous n’avons pas une mission, nous ne faisons pas une mission ». Nous sommes la mission. Je suis la mission. Ma mission est d’être le « sacrement de l’amour de Dieu » pour les plus vulnérables. C’est-à-dire qu’à travers mes mains, mes yeux, mes oreilles, mes jambes, mon cœur, ils puissent faire l’expérience que Dieu les aime follement, qu’il leur donne la vie, à travers ma vie donnée à eux. C’est ce que signifie pour moi être missionnaire salésien. C’est pourquoi je suis missionnaire quand je m’agenouille devant l’Eucharistie pour demander leur salut ; je suis missionnaire quand je suis dans la cour ou à la maison pour accompagner les enfants, je suis missionnaire quand je voyage dans les zones les plus éloignées et dangereuses, je suis missionnaire quand je célèbre l’Eucharistie, quand j’écoute les confessions ou quand je baptise. Je suis en mission lorsque je m’assois pour lire ou étudier en pensant à eux. Je suis en mission lorsque j’élabore un plan stratégique avec mes frères et sœurs ou que je rédige un projet pour améliorer la qualité de vie de mon peuple. Je suis en mission lorsque je construis une école ou une chapelle. Je suis en mission lorsque je partage ma vie avec vous qui lisez ces lignes.

Nous sommes tous missionnaires par vocation
Chers amis, par le baptême, nous sommes tous appelés à être missionnaires, à être la mission. Nous n’avons pas besoin d’aller en Afrique pour être missionnaires. L’appel missionnaire est un appel intérieur à tout quitter, à tout donner là où Dieu nous a plantés. Non pas pour donner des choses, mais pour « me donner », pour « partager » mon temps, mes talents, ma foi, mon professionnalisme, mon amour, mon service avec les plus vulnérables. Si vous entendez cet appel, ne le remettez pas à plus tard. La charité du Christ et l’urgence du Royaume vous appellent.


Fr Jorge Mario CRISAFULLI, sdb, Inspecteur Afrique Niger Niger